Une chronique internationale de Ioan Voicu, ancien Ambassadeur de Roumanie en Thaïlande
Les médias grand public ont omis de mentionner deux événements importants dans le domaine de la diplomatie multilatérale. Le premier était la célébration du soixantième anniversaire du Groupe des 77 et de la Chine et le deuxième était la quarante-huitième réunion annuelle des ministres des Affaires étrangères du Groupe des 77 et de la Chine. Les deux événements ont eu lieu à New York, le 27 septembre 2024, et ont été finalisés par l’adoption par consensus de deux déclarations ministérielles totalisant 69 pages, publiées par le Secrétariat de l’ONU dans toutes les langues officielles de l’organisation mondiale.
Il y a de nombreuses raisons de se souvenir et de célébrer la naissance du Groupe des 77 lors de la première session de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED I), qui s’est tenue à Genève, du 23 mars au 16 juin 1964.
Je me souviens très bien d’avoir assisté, en tant qu’étudiant en doctorat, aux délibérations de la CNUCED I depuis une galerie du Palais des Nations à Genève. Il s’agissait du premier grand rassemblement diplomatique après la Seconde Guerre mondiale, auquel ont participé plus de 1 200 délégués et experts de 120 États. Le document le plus important de cette réunion était l’Acte final de la Conférence, formellement adopté le 16 juin 1964.
L’esprit fondamental de l’Acte final était inspiré par la nécessité pour l’ensemble de la communauté internationale de conjuguer ses efforts pour garantir que tous les pays – quelle que soit leur taille, leur richesse ou leur système économique et social – puissent bénéficier des avantages du commerce international pour leur développement économique et leur progrès social. La gravité de la détérioration de la situation commerciale internationale des pays en développement a été fortement soulignée.
Le trait le plus marquant et le plus important de la Conférence de Genève a été la démonstration d’unité des pays en développement, qui a conduit à la création du Groupe des 77 (G77), considéré par beaucoup à l’époque comme peut-être le phénomène politique le plus important de l’histoire de la diplomatie multilatérale. Cette coalition n’existait pas avant la CNUCED I.
60 ans plus tard, le 27 septembre 2024, le Groupe des 77 et la Chine, qui comptent aujourd’hui 134 États membres, dont les dix membres de l’ASEAN, ont adopté une déclaration ministérielle dans laquelle ils ont solennellement déclaré ce qui suit : « Réaffirmons notre unité et notre solidarité qui nous guident depuis l’adoption de la Déclaration commune à la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement le 15 juin 1964. »
Dans la même déclaration du 27 septembre 2024, le Groupe des 77 et la Chine, qui représentent les deux tiers des nations du monde et de toute l’humanité, affirment qu’ils : « Sont fiers de l’héritage et des grandes réalisations du Groupe dans la défense et la promotion des intérêts des pays en développement et dans la poursuite du développement durable et de la prospérité partagée ».
Promouvoir le multilatéralisme
La deuxième Déclaration ministérielle de la quarante-huitième réunion annuelle des ministres des Affaires étrangères du Groupe des 77 et de la Chine est plus élaborée et se concentre sur les questions mondiales d’intérêt majeur pour l’ensemble de la communauté des nations. Nous évoquerons quelques aspects fondamentaux sélectionnés tout en respectant la terminologie de ce document original.
Dès son tout premier paragraphe, les ministres notent qu’ils sont « pleinement convaincus de l’impératif de continuer à agir dans la solidarité et l’unité pour un monde pacifique, durable et prospère qui réponde à leurs aspirations » et « réaffirment leur engagement envers l’esprit et les principes du Groupe des 77 et de la Chine, ainsi que la défense et la promotion de leurs intérêts collectifs dans une véritable coopération internationale pour le développement ».
Le document est réaliste par son contenu et souligne que « malgré les progrès réalisés, les déséquilibres de l’économie mondiale et les structures et résultats inéquitables des systèmes commerciaux, financiers, monétaires et technologiques qui ont conduit à la création du Groupe persistent à ce jour ». Les ministres ont souligné la pertinence continue de leur effort commun pour faire progresser un ordre international juste dans l’économie mondiale et pour défendre le multilatéralisme et le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international.
Le multilatéralisme est mentionné six fois dans les deux documents examinés. La première fois, les ministres réitèrent leur appel à « une coopération internationale renforcée, au multilatéralisme et à la solidarité internationale comme le meilleur moyen de relever les défis mondiaux ».
Le multilatéralisme est à nouveau mentionné dans un contexte plus large. Les ministres ont réaffirmé qu’« il ne peut y avoir de développement durable sans paix et pas de paix sans développement durable. Ils ont souligné l’importance de construire une culture de la paix en renforçant le multilatéralisme fondé sur le droit international, en développant des relations amicales entre les nations, en promouvant le règlement pacifique des différends et en prenant d’autres mesures appropriées pour renforcer la paix universelle et assurer le respect, la promotion et la protection de tous les droits de l’homme, y compris le droit au développement. Ils ont reconnu que la paix n’est pas seulement l’absence de conflit, mais nécessite également un processus participatif positif et dynamique où le dialogue est encouragé et les conflits sont résolus dans un esprit de compréhension mutuelle et de coopération ».
Ces idées sont développées plus en détail dans un paragraphe séparé qui dit : « Les ministres ont souligné que ces objectifs et principes inspirent l’engagement total en faveur du multilatéralisme et la recherche d’un système économique international plus juste et plus équitable qui offre des possibilités d’élever le niveau de vie de nos peuples. »
Dans le domaine de l’organisation diplomatique, « Les ministres ont salué l’initiative de convoquer la première réunion des ministres des Affaires étrangères du G-20 au siège des Nations Unies, ouverte à tous les États membres. Les ministres ont également salué l’initiative de création d’une alliance mondiale contre la faim et la pauvreté. Les ministres ont souligné l’importance de joindre les efforts mondiaux pour relever les défis communs de la sécurité alimentaire et de la nutrition et du développement social. Ils ont réaffirmé le rôle central des Nations Unies dans la conduite des discussions sur les réformes de la gouvernance mondiale et dans la résolution des défis urgents auxquels est confrontée la communauté internationale, qui peut être complété par le G-20. Ils ont souligné que « l’ONU reste le forum le plus inclusif et le plus légitime pour faire avancer les objectifs de développement durable et la réforme de l’architecture financière internationale. »
L’actualité du multilatéralisme a également été soulignée dans une perspective politique urgente. Dans un langage clair et fort, « les ministres ont appelé à un monde multipolaire égalitaire qui permette aux pays en développement de jouer un plus grand rôle dans la gouvernance mondiale et dans le maintien du multilatéralisme avec l’ONU au centre. Ils ont soutenu une mondialisation économique universellement bénéfique et inclusive. Ils ont souligné que le développement devrait être inclusif et apporter des avantages à tous, et ont réaffirmé l’importance de respecter les voies de développement choisies indépendamment par les différents pays, de respecter le droit de tous les pays à une participation égale aux affaires internationales et au développement, la nécessité de répondre aux préoccupations de développement des pays en développement par des actions concrètes, et de réduire les inégalités entre les pays et au sein des pays, en ne laissant aucun pays ni aucune personne de côté. »
Conclusion
La nécessité évidente de créer un esprit multilatéral au niveau mondial est rappelée avec pertinence. « Les ministres ont souligné les valeurs, les réalisations et l’esprit multilatéral des Nations Unies. Plus important encore, ils ont souligné que la communauté internationale doit reconnaître l’importance cruciale de l’ONU pour aider les pays à résoudre les problèmes et les défis présents et futurs auxquels l’humanité est confrontée, et à trouver des solutions dans un cadre global convenu au niveau multilatéral, de manière démocratique et équitable, et inspiré par les intérêts et les aspirations communs de « nous, les peuples des Nations Unies », qui devons travailler, coopérer et exister ensemble dans l’harmonie, la solidarité et la paix. »
Toutes les références au multilatéralisme et à la coopération multilatérale contenues dans un document de 407 paragraphes ne peuvent être résumées dans cette courte chronique. Cependant, il est important de noter que la toute dernière référence au multilatéralisme dit : « Les ministres ont réaffirmé l’importance de soutenir et de renforcer le multilatéralisme et, à cet égard, ont reconnu que le Plan d’action global commun (PAGC) entre la République islamique d’Iran et les autres parties est un exemple concret d’action multilatérale réussie pour résoudre les problèmes mondiaux en suspens, soulignant qu’un tel modèle constitue un véritable exemple pour accélérer davantage la réalisation du développement durable, notamment en renforçant la coopération internationale, grâce à des moyens de mise en œuvre améliorés. »
Il est également instructif de retenir que la dernière phrase du document a le mérite de rappeler que « Les ministres ont déclaré leur ferme engagement à poursuivre leurs actions communes pour atteindre les objectifs de développement durable, en particulier l’éradication de la pauvreté sous toutes ses formes et dimensions, de manière inclusive. »
Les diplomates des 193 États membres de l’ONU peuvent s’inspirer de l’étude attentive de ce document tout en abordant plus de 40 points à l’ordre du jour qui seront discutés en séance plénière et dans les six comités fonctionnels de la 79e session de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Les délibérations sur la base de ce document seront influencées par la grave préoccupation que seuls 17 % des objectifs de développement durable sont en voie d’être atteints et qu’à seulement 6 ans de l’échéance de 2030, il est évident que la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable dans de nombreux pays en développement est à la traîne, ce qui menace de plus en plus l’engagement collectif de la communauté internationale de ne laisser personne ni aucun pays de côté.
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Sous sommes régulièrement conviés, pour notre bonheur et notre salut, à une messe verbale régulièremnt chroniquée qui tient du latin (de cuisine) de nos proches ancêtres. Depuis plus de soixante an, on assiste à la répétition consensuelle des vœux éternels inlassablement répétés et proclamés au pied des autels du “nouvel ordre international, si possible juste…
La logomachie fait l’objet d’un “narratif” immuable : Les États réaffirment, affirment,, notent, soulignent,; les ministres réitèrent, saluent, re- soulignent, appellent… vox clamantis in…
Une succession d’intentions caractéristiques de ce “droit mou ” et incantatoire qu’est le droit international public quand il n’est pas formalisé dans les traités, le socle dur des engagements comme le théorisait, naguère, G.I.,Tunkin dans son ouvrage “droit international Public, problèmes théoriques, si hostile à la source coutumère et à la notion de “jus cogens”, édité par les éditions Pedone en 1965 et que nous lisions en même temps que M. Virally et C.de Visscher sur les “effectivités en droit international public”.
Les cascades verbales consensuelles ont le “mérite” de dissimiler les profondes divergences entre les États que la litanie des expressions toutes faites transforment en liturgie et en léthargie en attendant que le miracle de la transsubstantiation se produise : la transformation d’un “droit mou” en un “droit dur”