L’éditorialiste suisse André Crettenand publie chaque semaine une lettre internationale «Genève Vision» dont nous vous recommandons la lecture. Cette semaine, son éditorial porte sur la leçon de pragmatisme infligée par Xi Jinping à Vladimir Poutine. A lire !
L’homme se penche, se concentre sur des notes qu’il ne déchiffre plus, il cherche les mots justes, qui ne viennent pas, et lâche, vaincu : « Nous comprenons vos questions et vos inquiétudes, j’expliquerai tout en détails… ». En face, Xi Jinping écoute la promesse, hiératique, avec ce sourire de Joconde lointaine dont on ne sait s’il sourit, ou s’il désapprouve. Il a dit ce qu’il avait à dire. Pas plus. Ce petit homme embarrassé qui lui fait face n’a plus qu’à encaisser. Xi ne lui fera pas grâce de lui livrer des armes, ni de le célébrer. La Chine puissante a accordé une audience, accepté une photo. Il ne faudrait pas lui en demander davantage.
Poutine s’incline. Il bout, mais il s’incline.
Après Xi, voici l’Indien Narendra Modi qui lui raconte que l’heure est à la démocratie, à la paix, en tous cas pas à la guerre, que le monde a changé. Il s’inclinait, là il explose : « Même pas sa faute ! ». Incroyable, il les a tous rejoints ici à Samarcande, avec impatience, les croyant tous dans le même allant belliqueux, et voilà qu’ils lui font la leçon. Ils lui expliquent le monde. Il croyait être le bras armé de la guerre à l’Occident, le fer de lance d’une imposante coalition. On le juge va-t-en-guerre irascible. Il doit se justifier, en rabattre. Les empereurs l’ont rappelé au cruel statut de vassal. Les revers en Ukraine comptent moins pour lui que cette humiliation diplomatique.
Tout cela a été capté par les caméras. Brièvement. Mais, pour une fois, les extraits autorisés en ont laissé passer plus qu’il n’en fallait. Le communiqué final n’efface pas le ressenti des images. Les sinologues viendront certifier, ou non, ce moment.
L’alliance de la Chine et de la Russie inquiète. Mais la Chine conduit une réflexion subtile, réaliste. Elle ne goûte guère les aventures inconsidérées. Ce n’est pas comme cela qu’elle envisagerait la conquête de Taïwan, par exemple. Elle n’a pas de raison de mettre à mal son marché mondial, elle ne veut pas sacrifier quelques pour cent de son PIB pour un Russe en mal de méridiens.
Poutine est un idiot utile, un adversaire encombrant pour l’Occident, mais pas question d’en faire un allié trop puissant, qui aurait des exigences, des velléités, du sans-gêne. On ignore aussi ce que les USA et la Chine ont convenu dans leurs contacts discrets. Les Grands ont parfois de ces cachotteries communes. Poutine ne maîtrise pas l’usage du monde.
Consulter ici la lettre Genève Vision: https://www.genevevision.ch/lusage-du-monde/