On ne sait pas très bien pourquoi, les médecines orientales sont parfois efficaces, là où la médecine moderne a échoué. Encore faut-il accepter de changer radicalement son mode de vie, et prendre certaines précautions… Retrouvez cet article déjà publié dans notre magazine et extrait de nos archives.
Marcel est étendu sur le dos, vêtu dune simple serviette éponge au niveau de la ceinture. Dans la pièce sombre, règne une douce odeur d’encens. II a fermé les yeux, pour mieux supporter la douleur. Voilà maintenant près de trente minutes qu’il supporte les cinq aiguilles plantées dans ses chevilles, près du genou, et au niveau de l’estomac.
Au sommet de ces aiguilles, une petite coupelle dans laquelle brûle de l’absinthe… C’est aujourd’hui sa troisième séance d’acupuncture. Souffrant dune inflammation chronique de la prostate — un mal qui touche selon Iui 30% des hommes, il a subi pendant 5 mois des traitements antibiotiques violents. « Non seulement ces médicaments ne m’ont pas soigné, mais ils ont attaqué mon organisme : je vais devoir porter des lunettes ! », explique-t-il. En désespoir de cause, il suit le conseil d’un ami et se tourne vers l’acupuncture. « J’ai ressenti un mieux des la première séance, dit-il. Depuis j’ai arrêté les antibiotiques, sans recrudescence d’infections… ».
Marcel n’est pas un cas isolé. Comme lui, de nombreux Occidentaux se tournent vers les médecines orientales. D’origine chinoise ou indienne, ces médecines alternatives naturelles (acupuncture, massages ayurvédiques, réflexologie, shiatsu, reiki…) connaissent un regain d’intérêt, aussi bien auprès des Thaïs que des expatries. En Thaïlande, ou l’arrivée de la médecine moderne les a longtemps marginalisées, elles n’ont été à nouveau légalisées en tant que moyens thérapeutiques qu’en 1999 : c’est seulement depuis cette date que les médecins chinois par exemple ont pu obtenir des licences pour exercer dans le pays. De fait, l’acupuncture est aujourd’hui pratiquée dans des hôpitaux comme le BNH ou le Bumrungrad, au sein des départements de rééducation et de kinésithérapie. A Bangkok, les centres de médecine naturelle se sont aussi multiplies : aux cotés du Balavi Natural Health Center, qui existe depuis plus 20 ans, ont ouvert de nouvelles cliniques comme New Beginnings Holistic Development Centre ou Suchada Marwah Centre. De même, les formations aux médecines traditionnelles se sont développées : Institut de Medecine Traditionnelle Thale (qui dépend du ministère de la Santé), l’Institut Ayurvédique, ou encore le Wat Po proposent des cycles complets d’enseignement. « Nous proposons un cursus de 3 ans sur la médecine traditionnelle thaï, et un autre d’un an sur la pharmacopée par les plantes. Et nous allons crée prochainement une formation longue aux massages thérapeutiques, puisqu’ils sont désormais autorises », explique Preeda Tangtrongchitr, manager de l’école de médecine traditionnelle du Wat Po.
Forces naturelles
Pourquoi un tel succès ? D’abord, en raison de l’échec patent de la médecine classique dans certains cas. Cette dernière a pour principe de soigner une maladie en éliminant sa cause. Mais quelle est la cause de ces maux diffus qui nous pourrissent parfois la vie : migraines, insomnies, mal de dos, problèmes digestifs, allergies, maladies chroniques… ? On ne sait pas très bien pourquoi, mais les médecines orientales marchent souvent dans ces cas-là. « J’ai soigné par le Reiki une amie proche qui souffrait de migraines depuis 20 ans, raconte Thérèse Levanngoc, maître de Reiki. Elle était traitée tous les ans dans un centre de médecine classique en France, sans grand résultat. Je lui ai fait une séance de Reiki : sa migraine est passée instantanément et n’est plus jamais revenue. C’était il y a 7 ans ». Autre raison invoquée, la réticence croissante à prendre trop de médicaments lorsqu’un traitement naturel peut faire l’affaire. « La médecine moderne écrase des mouches avec des marteaux-pilon », estime Pascal Jalabert, psychothérapeute naturopathe (New Beginnings Centre). Qu’elles soient d’origine chinoise ou indienne, les médecines orientales reposent sur un même principe : les maladies résultent d’un déséquilibre du terrain, c’est-à-dire de l’organisme humain dans son ensemble. Et c’est en rétablissant les équilibres fondamentaux et les flux d’énergie que l’on peut guérir un malade. Ainsi, la médecine chinoise repose sur le Qi (prononcer « chi »), l’énergie vitale qui retient les organes entre eux. Les forces naturelles du Qi sont reparties entre le Yin et le Yang, correspondant aux différents organes et aux cinq éléments de la nature (eau, bois, feu, terre, vent), qui eux aussi doivent être équilibrés entre eux. Si l’énergie vitale ne circule plus, s’il y a des blocages ou des déséquilibres, le corps ne fonctionne plus correctement. On tente alors de rétablir l’équilibre grâce à différentes techniques : acupuncture, acupressure, phytothérapie… « Par exemple, si le patient a un problème rénal, c’est que son corps est devenu trop Yin : il n’élimine pas assez l’eau. II faut donc lui donner un traitement Yang pour stimuler le rein », indique Dan Ouyang, spécialiste d’acupuncture chinoise.
Le principe est le même pour la médecine ayurvédique, d’origine indienne. « Elle repose sur l’équilibre des trois doshas, correspondant à trois groupes de personnalités : Vata (le vent, correspondant aux personnes grandes et minces, portées sur le mental), le Pitta (le feu, correspondant aux hyperactifs), et le Kapha (la terre et l’eau, correspondant aux personnes petites et trapues, difficiles à faire changer d’avis) », explique Pascal Jalabert. Pour rééquilibrer les doshas, la médecine ayurvédique s’appuie essentiellement sur la diététique, les massages a base d’huile de sésame, et plus généralement l’hygiène de vie.
Comme la médecine chinoise, c’est une médecine de longue haleine, basée avant tout sur la prévention. Car traiter les symptômes ne suffit pas. « Auparavant les médecins chinois ne se faisaient payer que si leurs patients restaient en bonne santé », rappelle Pascal Jalabert. Comme la bonne santé repose sur l’équilibre de l’organisme dans son ensemble, il s’agit de maintenir cet équilibre grâce à une alimentation adaptée à son organisme, voire à des jeunes réguliers pour le purifier de ses toxines, ainsi qu’à la pratique quotidienne d’une gymnastique appropriée, telle que le yoga, le Qi Gong, ou encore le Taichi. La plupart des praticiens prônent aussi la méditation. « Elle permet de purifier l’esprit, de le libérer de tout stress ayant une influence néfaste sur le corps», insiste le Dr Banchob Junhasavasdikul, directeur du Balavi Centre. Quelle que soit la maladie, quelle que soit la façon dont elle a été traitée, elle reviendra si la personne ne change pas son mode de vie, insistent donc les tenants de la médecine à l’orientale.
Point de vue scientifique
Ces médecines vieilles comme le monde (4500 ans, dit-on, pour la médecine chinoise, et 5000 ans pour la médecine ayurvédique) permettent-elles pour autant de tout soigner ? « Oui, » répond le Dr Banchob Junhasavasdiku, « A condition d’avoir le temps ! Dans le cas d’une appendicite par exemple, ou d’une infection, j’envoie immédiatement les patients à l’hôpital », poursuit-il. « Mais nous avons eu des résultats étonnants, là ou la médecine classique ne pouvait rien ». Par exemple, il a traité un homme atteint d’un cancer du pancréas, très avancé et impossible à traiter par la chimiothérapie ou une opération : diète anti-cancer (riz bio, fruits frais et légumes, sans viande ni gras), traitement à base d’herbes, bains d’herbes thaïes, yoga, Qi Gong, méditation… Alors que statistiquement son espérance de vie était de onze mois, il est toujours la quatre ans plus tard.
Les médecins classiques eux-mêmes sont troublés. « Mon neurologue en France veut apprendre le reiki !», témoigne Isabelle, atteinte d’une grave maladie nerveuse, qui a réussi en pratiquant le reiki à réduire sa prise de médicaments quotidienne de 14 à 4, tout en évitant les crises. Difficile pourtant de connaître précisément les résultats de ces thérapies. Il n’existe pas d’études scientifiques permettant de mesurer leurs effets : impossible en effet de réaliser des études dites «en double aveugle», comme dans la médecine moderne, ou ni le médecin ni les patients ne savent quel groupe témoin prend un placebo. Et il est tout aussi facile de trouver des témoignages négatifs, ou ces thérapies n’ont eu aucun effet… D’un strict point de vue scientifique, rien n’explique leur efficacité. « Les méridiens sur lesquels repose l’acupuncture, ou encore les zones réflexes, base de la réflexologie, n’ont aucun fondement physiologique », remarque un médecin généraliste français. « Mais certains faits sont troublants : on nous apprend que les symptômes d’un infarctus comprennent une douleur à la mâchoire et dans le bras gauche, sans nous donner d’explication physiologique. Or le méridien du cœur passe précisément par ces endroits-la. » Pour certains, ces médecines n’agissent que par pur effet placebo : il est relativement admis que la psychologie d’un malade peut avoir une incidence sur sa guérison. Celui qui se bat a plus de chances de guérir. « Même dans la médecine classique, certains médicaments ont jusqu’à 40% d’effet placebo », poursuit-il. D’autres ont des explications plus Ésotériques : le reiki, la plus troublante de ces thérapies, serait d’origine divine…
En Belgique, plusieurs dizaines de personnes ont dû subir des greffes du rein ou des dialyses pour avoir consommé une plante chinoise sensée aider à maigrir, vendue librement en parapharmacie. Souvent considérées comme inoffensives, puisque naturelles, elles comportent aussi des dangers. Ceux des plantes sont désormais bien connus : aux États-Unis, plusieurs personnes sont mortes après avoir pris de l’éphédra, une plante utilisée en Chine en traitement ponctuel des congestions respiratoires. L’acupuncture ou la réflexologie peuvent aussi présenter quelques risques. En dehors même des problèmes d’infections en cas d’utilisation d’aiguilles non-stériles, il est arrivé que l’acupuncture provoque des paralysies partielles, et la réflexologie des fausses-couches. D’où l’importance de la qualification des praticiens, d’autant plus difficiles à vérifier que ces thérapies ne sont pas toutes réglementées : les charlatans sont nombreux.
De tels effets secondaires sont toutefois très rares. Aux yeux des médecins modernes, dit allopathiques, c’est plutôt leur inefficacité qui constitue le principal danger des médecines alternatives. «Selon moi, le risque essentiel est de passer à côté d’une maladie grave, comme une tumeur cancéreuse, qui doit être traitée rapidement par la médecine moderne », insiste Bao Le Thai, chirurgien formé en France, et consultant au Bumrungrad Hospital. « Par exemple, les médecines orientales sont fréquemment utilisées pour soigner les ulcères gastriques, car elles ont une certaine efficacité pour combattre le stress qui est une des causes des ulcères. Or 10% des ulcères peuvent être cancéreux, et nécessitent une fibroscopie et une biopsie pour les détecter le plus tôt possible. » En laissant une tumeur évoluer avec une médecine parallèle, on peut perdre une chance de se guérir. » En d’autres termes, mieux vaut en cas de doute faire établir un diagnostic classique, pour choisir ensuite sa médecine douce en toute connaissance de cause…
ANNE FEITZ