Notre collaborateur Ioan Voicu, ancien ambassadeur de Roumanie en Thaïlande, est un observateur aigu des réalités régionales en Asie. Il a longtemps suivi les réunions de l’APEC, le forum économique de l’Asie Pacifique crée en 1989. Quels enseignements doit on tirer de la dernière réunion de ses pays membres, entièrement virtuelle ? Voici ses réponses.
Une analyse de Ioan Voicu, ancien Ambassadeur de Roumanie en Thaïlande, Professeur invité à l’université de l’Assomption (Bangkok)
La diplomatie régionale et interrégionale tente d’atténuer en 2020 les conséquences négatives du dangereux déclin du multilatéralisme mondial. À preuve: le succès de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), forum économique régional créé en 1989 et sujet important parmi les principales nouvelles et commentaires dans les grands médias.
Les raisons de cette grande publicité s’expliquent par le fait original que le récent sommet de novembre à Kuala Lumpur était le tout premier entièrement virtuel des dirigeants économiques de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC). La participation personnelle des présidents des États-Unis, de la Chine et de la Russie a généré une grande visibilité politique et diplomatique pour l’APEC.
Interdépendance croissante
L’objectif officiel de l’APEC est de tirer parti de l’interdépendance croissante de la zone Asie-Pacifique en créant une plus grande prospérité pour les populations de la région, en favorisant une croissance équilibrée, inclusive, durable, innovante et sûre et en accélérant l’intégration économique régionale.
21 économies
L’APEC est composée de 21 «économies» et ses participants sont impliqués dans un processus de coopération qui s’intéresse principalement aux questions commerciales et économiques, tous les participants agissant en tant qu’entités économiques. Les 21 “économies” de l’APEC, avec leurs noms officiels dans ce forum, sont: l’Australie; Brunei Darussalam; Canada; Chili; La République Populaire de Chine; Hong Kong, Chine; Indonésie; Japon; République de Corée; Malaisie; Mexique; Nouvelle-Zélande; Papouasie Nouvelle Guinée; Pérou; Les Philippines; La Fédération Russe; Singapour; Taipei Chinois; Thaïlande; Les États-Unis d’Amérique; Vietnam.
Dans la pratique, l’APEC permet aux biens, aux services, aux capitaux et aux personnes de traverser facilement les frontières. Pour y parvenir, les participants à l’APEC prennent entre autres des mesures pour accélérer les procédures douanières aux frontières; par des climats d’affaires plus favorables et par l’alignement des réglementations et des normes dans toute la région.
Forum économique et commercial
Depuis sa création en 1989, l’APEC fonctionne comme un forum économique et commercial multilatéral et coopératif. Sur le plan diplomatique et juridique, les participants de l’APEC travaillent sur la base d’un dialogue ouvert et prennent des décisions par consensus sans adopter d’engagements contraignants ou d’obligations conventionnelles.
Le forum de l’APEC dispose d’un secrétariat permanent basé à Singapour.
La substance
L’APEC 2020 s’est achevée le 20 novembre avec l’adoption de deux documents importants: la Déclaration de Kuala Lumpur 2020 et l’APEC Putrajaya Vision 2040. Une brève analyse de leur contenu s’impose, sans entrer dans les détails des documents, mais en respectant leur terminologie spécifique.
Le premier document, la Déclaration de Kuala Lumpur 2020, est remarquable par son fort accent sur la détermination de l’APEC à permettre à la région Asie-Pacifique de se remettre avec succès de la pandémie Covid-19 et de ses impacts économiques.
De l’avis d’APEC, la Covid-19 est l’une des crises sanitaires et économiques les plus difficiles de notre époque.
Un rappel important de la Déclaration de Kuala Lumpur concerne le thème complexe de l’APEC 2020 formulé comme suit: Optimiser le potentiel humain vers un avenir résilient de prospérité partagée. L’APEC a aligné ses efforts sur les priorités suivantes: Améliorer le récit du commerce et de l’investissement; Participation économique inclusive grâce à l’économie et à la technologie numériques; promouvoir une durabilité innovante.
Impacts de la Covid-19
La majeure partie de la Déclaration est consacrée à la lutte et à l’atténuation des impacts de la Covid-19. Dans la pratique, l’APEC a réaffirmé la nécessité de coopérer de manière constructive sur la Covid-19, y compris par la recherche, le développement, la production, la fabrication, la distribution des tests de diagnostic, de produits essentiels, des services médicaux thérapeutiques et des vaccins.
L’APEC a souligné dans ce contexte l’importance de faciliter un accès équitable à des vaccins sûrs, de qualité, efficaces, abordables et à d’autres contre-mesures médicales qui sont vitales pour protéger la santé et le bien-être des populations, tout en encourageant l’innovation.
Il a également été reconnu que le rôle de la vaccination extensive contre la Covid-19 est essentiel pour mettre fin à la pandémie.
Multilatéralisme
Du point de vue du multilatéralisme, il convient de mentionner en particulier l’engagement collectif de l’APEC à soutenir les travaux en cours à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), y compris à travers sa nécessaire réforme visant à améliorer son fonctionnement.
Pour des raisons évidentes, le thème de la participation économique inclusive grâce à l’économie et à la technologie numériques ne pouvait être absent de la Déclaration. À cet égard, il est nécessaire de signaler l’engagement collectif à favoriser un environnement propice au développement de l’économie numérique, ainsi qu’à promouvoir des politiques économiques et une croissance qui soutiennent les efforts mondiaux visant à lutter contre le changement climatique, les conditions météorologiques extrêmes et les catastrophes naturelles, et à renforcer la préparation aux urgences.
Putrajaya vision 2040
La lecture attentive de la Déclaration révèle le fait que les Nations Unies et l’Organisation mondiale de la santé ne sont jamais mentionnées par leur nom dans le texte, malgré le rôle reconnu de ces institutions dans la lutte contre la Covid-19. Tout en citant le Programme de développement durable à l’horizon 2030, l’organisation mondiale de parrainage, qui est l’ONU, est absente du nom officiel de ce programme.
Le deuxième document officiellement intitulé APEC Putrajava Vision 2040 commence par le rappel important que «Notre vision est une communauté Asie-Pacifique ouverte, dynamique, résiliente et pacifique d’ici 2040, pour la prospérité de tous nos peuples et des générations futures». Comment atteindre cet objectif ?
La réponse courte est: «Rester attaché à la mission de l’APEC et à ses principes volontaires, non contraignants et de recherche de consensus.» Pour ce faire, les trois moteurs suivants sont énumérés: le Commerce et l’investissement; l’innovation et la numérisation; Une croissance forte, équilibrée, sûre, durable et inclusive.
Plus précisément, l’APEC souhaite «faire en sorte que l’Asie-Pacifique reste l’économie régionale la plus dynamique et la plus interconnectée du monde…. et continuera de travailler ensemble pour créer un environnement commercial et d’investissement libre, ouvert, juste, non discriminatoire, transparent et prévisible».
En outre, l’APEC «poursuivra des réformes structurelles et des politiques économiques saines pour promouvoir l’innovation et améliorer la productivité» tandis que les partenaires de l’APEC «renforceront l’infrastructure numérique, accéléreront la transformation numérique, réduiront la fracture numérique et coopéreront pour faciliter la circulation des données et renforcer la confiance des consommateurs et des entreprises dans les transactions numériques ».
De plus, les participants de l’APEC «veilleront à ce que la région Asie-Pacifique résiste aux chocs, crises, pandémies et autres urgences»
Perspectives
Les derniers paragraphes du document APEC Putrajava Vision 2040 sont les preuves d’un forum orienté vers l’optimisme. Ils contiennent l’engagement ferme de l’APEC «à favoriser une croissance de qualité qui apporte des avantages palpables et une meilleure santé et un plus grand bien-être à tous». L’APEC est prête «à promouvoir des politiques économiques, la coopération et la croissance qui soutiennent les efforts mondiaux visant à relever de manière globale tous les défis environnementaux, y compris le changement climatique, les conditions météorologiques extrêmes et les catastrophes naturelles, pour une planète durable».
L’objectif fondamental de ce forum diplomatique original est clairement formulé et mérite d’être cité in extenso: «Maintenir la position unique de l’APEC en tant que premier forum de coopération économique régionale ainsi qu’un incubateur d’idées moderne, efficace et efficient… l’amélioration continue de l’APEC en tant qu’institution grâce à une bonne gouvernance et à l’engagement des parties prenantes… dans un esprit de partenariat égal, de responsabilité partagée, de respect mutuel, d’intérêt commun et d’avantage commun ». À cette fin, l’APEC «réalisera la Vision de 2040, avec un plan de mise en œuvre approprié et un examen de ses progrès». La première évaluation diplomatique de cette Vision optimiste aura lieu en Nouvelle-Zélande, une «économie» qui accueillera et présidera le sommet de l’APEC 2021. En se préparant à cet événement, les participants ne doivent pas oublier que le multilatéralisme sert à lier des nations puissantes, décourage l’unilatéralisme et donne aux petits États une voix et une influence qu’ils ne pourraient autrement exercer sur la scène mondiale.
Le Dr Ioan Voicu est professeur invité à l’Université de l’Assomption à Bangkok.
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