Depuis mars 2023, l’emblématique Robot Building situé à Sathorn a disparu sous une bâche géante qui cache un vaste chantier. Rénovation ? Démolition ? Le projet annonce plutôt la « défiguration » du bâtiment comme l’exprime son concepteur, l’architecte et artiste thaïlandais Sumet Jumsai na Ayudhaya.
Notre chroniqueuse Solange Bailliart nous raconte l’histoire de ce « robot » monumental.
Symbole du patrimoine architectural « moderniste » de Bangkok, désigné comme l’un des 50 bâtiments les plus importants du XXème siècle par le Musée d’art contemporain de Los Angeles, l’iconique Robot Building est-il lui aussi voué à disparaître à jamais de la mémoire des Thaïlandais ?
La mobilisation des organisations culturelles, de l’aménagement urbain et de la conservation des bâtiments
De nombreuses voix s’élèvent pour protéger la transformation du Robot building, un des derniers symbole de l’architecture « moderniste » de la ville de Bangkok.
Début mars, la banque UOB (Thaïlande) et le cabinet d’architecture Design 103 International Limited lancent les travaux de rénovation du bâtiment selon un projet d’aménagement extérieur qui fera disparaître l’identité unique du Robot Building pour le transformer en un quelconque immeuble de bureaux.
Une « défiguration » inacceptable pour l’architecte Sumer Jumsai qui, dans un courrier aux dirigeants de la banque UOB, s’oppose à la nature des travaux en cours en demandant que l’identité originale extérieure, icône architecturale et culturelle du paysage urbain de la ville, soit préservée.
La réponse apportée par l’UOB aux différents recours qui se sont succédé ne laisse pas de doute pour le groupe d’action « We Love the Robot Building » tout juste créé. L’UOB ne reconnait pas la valeur iconique du bâtiment et pour eux l’objectif du nouveau projet est de donner « la priorité au bien-être des personnes et à la durabilité de l’environnement (…) et de redessiner l’aspect extérieur par un ensemble vitré du building afin de réduire les émissions de carbone et promouvoir l’éco-responsabilité ».
Une réponse qui a choqué les acteurs de la mobilisation par « son irresponsabilité vis-à-vis de la société thaïlandaise et son indifférence à l’égard de la conservation de la valeur internationale du patrimoine architectural contemporain le plus important » explique Pongkwan Lassus, présidente de docomomo Thai*.
De son côté, docomomo Singapour soutient docomomo Thai et appelle l’UOB à respecter l’identité spécifique du bâtiment « Il serait contraire au remarquable bilan de l’UOB en matière de mécénat artistique et architectural de modifier insensiblement et d’endommager irrémédiablement l’extérieur de l’un des bâtiments modernistes les plus importants d’Asie du Sud-Est. Toute modification non réfléchie de sa forme originale et unique porterait un préjudice irréparable au patrimoine bâti moderniste de la Thaïlande et de l’Asie du Sud-Est » peut-on lire dans leur dernière déclaration.
En moins d’un mois, la mobilisation a pris de l’ampleur et a attiré l’attention du Gouverneur de Bangkok, Chadchart Sittipunt, qui a écouté et discuté avec les différents intervenants lors de la conférence de presse tenue par « We Love the Robot Building » au BACC vendredi 28 avril. Tout en ne s’opposant pas au projet de réaménagement intérieur, le groupe demande fermement à UOB Thaïlande de « cesser de défigurer notre icône bien-aimée, le Robot Building ».
Suite à la disparition de bâtiments emblématiques (la Cour suprême, le cinéma Scala, le Parlement national) et les menaces qui pèsent sur beaucoup d’autres, y compris le Robot Building, il est urgent de légiférer pour la mise en place de politiques d’identification et de financement pour la préservation du patrimoine architectural moderne thaïlandais.
Le Robot Building, un édifice audacieux devenu la mascotte de la ville de Bangkok
À la fin des années 80, la Bank of Asia est une toute nouvelle institution financière dirigée par une jeune génération de banquiers. Pour son nouveau siège social, elle veut un bâtiment avec une forte et unique identité qui reflète la nouvelle ère de l’introduction de l’informatisation des services bancaires. Comment répondre à une telle demande sans tomber dans le néoclassique ou le high-tech post-moderne ? L’architecte Sumet Jumsai va trouver l’inspiration en observant son fils jouer avec son dernier robot japonais. Sans trop y croire, il envoie ses croquis et à sa grande surprise le concept est approuvé.
Le sommet du bâtiment, surmonté de deux antennes, représente la tête du robot qui abrite l’exécutif symbolisant le lieu où les décisions sont prises. Les yeux mi-clos en verre réfléchissant aux paupières en lamelles métalliques étaient conçus pour s’illuminer tous les soirs. Le corps du bâtiment est représenté par une succession d’étages dégressifs ornés d’écrous géants en acier.
Inauguré en 1987, le Robot Building était, avec ses 20 étages, le seul immeuble à dominer Sathorn avant d’être englouti par la frénésie du « toujours plus haut ». Si la construction du BTS lui a retiré sa stature, Sumet Jumsai observe l’évolution avec humour « pour moi c’est un jouet regardant passer un autre jouet ! »
En sortant l’aspect Hi-Tech pour le rendre visible dans la conception même du bâtiment, Sumet Jumsai a créé un édifice audacieux qui, pendant 36 ans, a fait sourire le passant en ajoutant un air de « sanuk » dans la ville de Bangkok.
Pour soutenir la défense du Robot Building, vous pouvez signer la pétition en ligne, cliquez ici.
Solange Bailliart
*Docomomo Thai appartient à l’organisation docomomo International qui agit pour la valorisation et la protection de l’architecture, de l’urbanisme et des paysages du XXe siècle.
Page Facebook docomomo Thai.