Une chronique siamoise et sociétale de Patrick Chesneau
Comme un joyau brut et raffiné. Krungthep Maha Nakorn, de son nom thaï, témoigne d’une épopée tour à tour pudique, alanguie, débridée et frénétique. Ville-capharnaüm où la raison est prompte à s’égarer. Tout est tohu bohu. La mégapole vibre au gré des migrations pendulaires de ses quinze millions d’habitants. En toile de fond, elle est une bande son stridente, syncopée, obsessionnelle. En ces lieux tentaculaires, le lobe frontal se transforme en chambre d’écho.
Décibels de jour, décibels de nuit. Une nouvelle syntaxe audio, ponctuée de sensations expérimentales, s’écrit dans l’urgence. Pour survivre, il y a nécessité d’entrer en osmose. Tout repose alors sur l’éventualité d’une connivence avec les sortilèges d’Orient. Une alchimie céleste percutée par les vicissitudes souvent brutales des jours ordinaires. Pour le visiteur, commence invariablement une expérience initiatique. Plus qu’une fulgurance circonstancielle, un leitmotiv perpétuel.
Égrener les atouts de la » Grosse Mangue » prend l’allure d’un défilé haletant. Il y a d’abord l’énumération de quartiers tout en contrastes, délimités ça et là par le fleuve Chao Phraya.
Il convient d’ajouter la profusion des artères constamment sur le pied de guerre, la thrombose automobile, les rues assiégées par les foules bigarrées, les soï (prononcer so-i, ruelles ) trépidantes livrées aux carrioles brinquebalantes des petits métiers si besogneux. Les marchés, les centres commerciaux, les temples. Comment ne pas perdre pied dans cette succession de climats urbains? Vertiges et tournis s’empilent au diapason de pensées enchevêtrées.
Trop plein inextricable.
Et pourtant, au cœur du maelstrom tropical, le miracle s’accomplit. Du fatras naît l’épure. Du fouillis surgit la poésie. Dans l’impromptu des mots, une émotion originelle, instinctive, atavique se fraie un chemin. L’instant tient du miracle. Guidant vers l’accomplissement des sens. Un précipité d’images concassées laisse entrevoir une éblouissante mosaïque. Résonne le doux babil de quelques mythiques rivières de perles, habillées en blanc ivoire, dans une topographie tourmentée parcourue de reflets pourpres. C’est à ce moment que jaillissent les prolégomènes de l’harmonie.
Miraculeuse hybridité de la ville fusion. Même en plein charivari, flamboie une pulsion de vie.
Patrick Chesneau
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