Notre ami et chroniqueur Yves Carmona, ancien ambassadeur de France au Laos et au Népal, suit pour Gavroche les évolutions politiques des pays de la région. Il s’est épanché sur la situation en Birmanie, aux mains d’une junte militaire depuis 2021.
Par Yves Carmona
Oh non, pas de faux espoir, la junte est toujours au pouvoir – a-t-elle jamais vraiment cessé de l’exercer ? Aung San Suu Kyi (ASSK), malgré une grâce partielle, reste en résidence surveillée et les procès pleuvent sur la Dame du Lac qui, à 78 ans finira ses jours, sauf bouleversement, sans connaître la liberté.
Ce ne sont ni l’ASEAN, incapable de trouver une solution au drame birman, la junte lui refusant de rencontrer ASSK ou le Gouvernement d’Unité Nationale, ni le rapporteur spécial des Nations Unies, certes un connaisseur de longue date de la Birmanie (il a même été consultant du gouvernement birman en exil) qui y peuvent quoi que ce soit : il faut l’accord de la junte pour que l’une ou l’autre puisse seulement visiter, sous contrôle, le pays ou rencontrer ses dirigeants légitimes.
Pourtant, quelques signaux laissent entrevoir un espoir, qui ne peut qu’être mesuré, d’une moindre brutalité du régime.
Mais d’abord, le portrait du drame en Birmanie
La situation générale ne cesse de s’y dégrader
Situation humanitaire d’abord, bien qu’il soit impossible de savoir combien de victimes a fait et continue de faire la répression. La junte bien sûr ne souhaite pas communiquer sur ce point mais il y a déjà eu au moins 5 000 morts civils dans la guerre qui l’oppose à la NLD (National League for Democracy).
Le fait récent, c’est que celle-ci a fait alliance avec les minorités en guerre de longue date contre la majorité birmane. Les ethnies sont très nombreuses, certaines comme les Rohingyas musulmans ne sont pas reconnues par le gouvernement, aucun recensement crédible n’a eu lieu récemment, leur proportion ne peut donc être quantifiée. Ce qui est certain, c’est que dans cette guerre civile menaçante, la junte réagit par la destruction systématique de villages au mépris des populations civiles.
Il faut y ajouter les victimes de la COVID. Dans un pays dont le système de santé s’est effondré, beaucoup meurent sans soin, on disait même que la Tatmadaw (l’armée birmane) tuait les malades à vue…
En tout cas, les sites officiels évoquent le nombre de 20 000 morts.
Combien de réfugiés hors de la Birmanie ? Là aussi, toute comptabilité serait hasardeuse et les experts préfèrent le terme plus englobant de « diaspora » car le statut de réfugié ne décrit pas la totalité de l’exil volontaire. L’auteur de ces lignes se souvient d’un « Little Myanmar » à Singapour où les Birmans les plus dynamiques se livraient avec succès à des activités très variées – études, restaurants, commerce de tissus, activités financières etc, permettant entre 50 000 et 100 000 personnes de mieux vivre qu’en Birmanie et d’y envoyer des virements (remittances). En ce temps-là (2008), les généraux de la junte aimaient à s’y faire soigner : à quelques encablures de « Little Myanmar », les hôpitaux les accueillaient généreusement : l’argent n’a pas d’odeur.
Aujourd’hui, face à un blocage apparemment sans issue, la junte vient pour la première fois d’expulser un diplomate sous prétexte que son gouvernement parlait avec le Gouvernement d’Unité Nationale (NUD). Ce n’est sans doute pas un hasard qu’elle ait choisi pour ce faire un pays faible, Timor Leste, encore pauvre mais démocratique, candidat non encore agréé à l’adhésion à l’ASEAN.
L’espoir économique ?
De fait, et c’est ce qui nourrit l’espoir, la crise économique est telle que la junte est consciente des risques qu’elle court. Avec un PIB par tête estimé en PPA (parité du pouvoir d’achat) par la Banque mondiale à 4 870 $ en 2022, le plus bas des pays de l’ASEAN, la situation se dégrade.
Surtout, le « bruit du tiroir caisse », principale musique singapourienne selon un ami disparu depuis, ne fonctionne plus comme autrefois.
Depuis peu, la principale banque singapourienne, United Overseas Bank (UOB) vient d’indiquer aux banques birmanes des restrictions sur les mouvements de fonds qui porteront aussi sur les cartes de crédit et comprendront également la fermeture de comptes permettant les transactions avec la Birmanie, situés à Hong Kong.
Or UOB est la banque privilégiée en Birmanie par les généraux, grandes entreprises et riches particuliers, ainsi que les investisseurs agissant en Birmanie à partir de la cité-État. Selon certains analystes, ce tour de vis sans précédent à Singapour serait le résultat de pressions américaines, l’ile ayant tout fait pour que le régime militaire birman contourne les sanctions imposées par Washington. Ce serait également le résultat de coûts croissants et des risques pour la réputation de l’ile-État. Celle-ci joue un rôle important dans les ventes d’armes à la Birmanie, or son autorité monétaire (Monetary Authority of Singapore, MAS) vient d’indiquer que ce ne serait plus le cas. Le nouveau régime bancaire entre en vigueur dans les principales monnaies, y compris USD, Euro et Sing dollar, le 1er septembre. Les plus grandes banques commerciales birmanes ont commencé à prévenir leurs clients.
A noter que plusieurs visites américaines de haut niveau à Singapour ont eu lieu au cours des derniers mois et cela a sans doute fait partie des entretiens à Washington du premier ministre Lee Hsien Loong en mai 2022.
UOB, qui a ouvert un bureau de représentation à Rangoon en 1994 et faisait partie des premières banques étrangères à obtenir un permis d’activité bancaire complet en 2014 était de plus en plus mal à l’aise avec ses activités birmanes. Elle a prévenu en juillet la compagnie Myanmar International Airways, proche du régime, qu’elle fermerait ses comptes mi-août.
Un analyste financier fait aussi observer que le GAFI (organisme international basé à Paris pour lutter contre le blanchiment d’argent sale et la lutte contre le terrorisme) a ajouté la Birmanie à une liste comprenant déjà la Corée du Nord et l’Iran.
Le débat sur la Birmanie s’est intensifié à Singapour ces derniers mois. On répugnait à l’usage de la manière forte, eu égard aux riches clients chinois et moyen-orientaux. « Être la « Suisse de l’Asie » était un motif de gloire, mais désormais le risque en matière de réputation l’emporte sur les bénéfices ». Beaucoup, se préparent à une action similaire de la part des deux autres grandes banques, OCBC et DBS.
Certes, des banques thaïlandaises seraient prêtes à les remplacer mais les intérêts birmans sont à tous égards en risque d’isolement.
Commentaires personnels :
1/ le drame birman dure au moins depuis le général Ne Win en 1962 (cf www.yvescarmona.fr le 30 mai 2022 « Aung San »)
2/ Le ministre français des affaires étrangères était venu à Singapour en 2007 dans l’espoir que la pression des Occidentaux sur la cité-État permettrait de faire plier la junte birmane et y a vite renoncé. La puissance américaine y parviendra-t-elle ?