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BIRMANIE – CONFLIT : 95% de la population de l’état Rakhine condamnée à la pauvreté

Date de publication : 23/11/2024
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état rakhine

 

Une chronique du conflit Birman par François Guilbert

 

Depuis l’indépendance de la Birmanie en 1948, l’État Rakhine a toujours été la ou l’une des deux provinces les plus pauvres du pays. Malheureusement, la situation n’est pas près de changer. Aucun redressement n’est en vue. Pire, dans un rapport alarmant du 7 novembre 2024, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a annoncé que la région fait désormais face à une « menace de famine ». Deux millions de personnes sont en danger si rien n’est urgemment fait. Mais on n’en prend guère le chemin, tant la situation semble bloquer sur le terrain, et le Conseil de sécurité des Nations unies inopérant comme on a pu le constater une nouvelle fois le 20 novembre lors de sa dernière session fermée sur la Birmanie.

 

A la mi-2025, 95% de la population de l’État Rakhine vivra dans la pauvreté

 

Une paupérisation qui ne s’atténuera pas de sitôt. L’économie rakhine est à l’arrêt et tout particulièrement les secteurs agricoles, du commerce et de la construction. La production de riz s’est effondrée faute aux calamités naturelles et plus encore à celle des hommes. Les engrais ne sont plus importés. Les semences manquent. Les paysans ne cultivent plus leurs champs et fuient les combats. A l’horizon de la fin du premier trimestre de l’année prochaine, seuls 20 % des besoins alimentaires seront couverts par les récoltes locales, contre 60 % en 2023. Mais comment compenser le gap alors que les échanges internes et externes ne cessent de se raréfier depuis un an ? Aucune réponse crédible n’est apportée.

 

L’État Rakhine s’avère plus isolé que jamais

 

Les approvisionnements venus autrefois vers le centre de l’État depuis les régions limitrophes de Bago et Magway se sont réduits en quelques mois à peau de chagrin. Il en est de même dans le township méridional de Thandwe où les livraisons en provenance des régions de l’Ayeyarwady et de Rangoun ont quasiment disparu. Les routes sont non seulement coupées par les combats opposant la Tatmadaw à l’Armée de l’Arakan (AA) mais les généraux au service du Conseil de l’administration de l’État (SAC) ont décidé de limiter drastiquement les aides humanitaires et de faire obstacle depuis plus de huit mois à toutes les livraisons à destination des territoires passés sous le contrôle des nationalistes rakhines. La tactique de combat dites des 4 coupures fait payer au prix le plus fort tout soupçon d’allégeance aux rebelles d’un territoire et de ses habitants.

 

La raréfaction des biens entraîne une hausse vertigineuse des prix.

 

En un an les coûts d’un panier de riz ont explosé. Dans la capitale provinciale, Sittwe, ils se sont envolés de 411 %. Tout au nord, dans le canton de Maungdaw, la situation est pire encore. On atteint des sommets encore plus élevés : + 944 %. Pour tout dire, plus on est proche des combats, plus les prix flambent. Dans la ville de Ann où siège le commandement régional ouest de la Tatmadaw, le panier était avant octobre vendu entre 90 et 100 000 kyats (23 – 26 euros), aujourd’hui il est proposé dans une fourchette de 270 à 300 000 kyats (71 – 79 euros).

 

La principale graminée céréalière consommée n’est pas le seul produit qui connaît une inflation galopante. L’huile de cuisson affiche, là comme ailleurs en Birmanie, des records : + 687 % par rapport aux tarifs pratiqués avant le coup d’État du 1erfévrier 2021. Pas question de se précipiter vers des lieux où la tendance haussière serait plus limitée, les frais de transport sont, eux aussi, devenus stratosphériques : + 523 %. Quant au nombre des expéditions maritimes de Rangoun vers l’État Rakhine, elles ont été divisées par cinq en douze mois. Pas question non plus de compter sur des flux venant du Bangladesh voisin, ils ont été scindés par trois depuis 2022 et rien n’indique qu’ils vont reprendre à court terme. 

 

Les succès militaires de l’AA et sa prise de contrôle des postes frontières avec les pays du sous-continent indien ont eu pour effets de tarir les échanges, à une exception près toutefois : des biens semblent se faufiler de l’État du Mizoram (Inde) vers le sud via l’État Chin et recourir à la voie fluviale de la Kalandan pour descendre. Cependant les volumes en question ne sont pas à mêmes de changer la donne à l’échelle de l’État Rakhine et limiter les pénuries auquel il fait déjà face.

 

La situation est d’autant plus préoccupante que l’État Rakhine connaît un nombre grandissant de personnes déplacées internes. Les bombardements aériens sont incessants, 70 rien que pour le mois de septembre. Les accrochages armés sont multiples (121 en septembre). Ils nourrissent les fuites durables des foyers. Dans un tel contexte, les déplacés intérieurs sont désormais plus d’un demi-million mais peu d’entre eux bénéficient d’une aide humanitaire.

 

Dans 9 des 16 townships de l’État Rakhine aucune aide humanitaire n’est offerte.

 

Selon les derniers chiffres établis par l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 49 % des déplacés intérieurs ne reçoivent aucune assistance internationale. Or leur nombre ne cesse de croître : +63% d’octobre 2023 à novembre 2024. Signe de l’intensification brutale des violences dans l’État Rakhine, cette catégorie de la population ne s’était étendue « que » de 2% entre février 2021 et octobre 2023.

 

Désormais, la survie de milliers de personnes est en jeu. Sur place, la famine ne fera pas de distinguo religieux et/ou ethniques. Il y a urgence car dans trois des cinq townships rakhines ayant plus de 30 000 déplacés (Ponnagyun (65 512), Pauktaw (47 510), Rathedaung (44 202)), aucun Birman déplacé de son foyer par la guerre civile ne peut s’appuyer aujourd’hui sur une quelconque assistance internationale.

 

Là où un grand nombre de Rohingyas réside encore, la situation est toute aussi inquiétante. 7,8% des déplacés de Maungdaw peuvent compter sur les institutions multilatérales. Ce ratio explique en bonne partie pourquoi les Rohingyas fuient vers l’ouest. Ils y sont par ailleurs incités par les groupes armés musulmans (ARSA, RSO) qui combattent les rebelles de l’AA.

 

Tout en faisant miroiter aux familles dans la détresse la possibilité qu’elles reçoivent nourritures et soins une fois parvenues au Bangladesh, ils n’en cherchent pas moins souvent à les détrousser pour les « aider » à franchir la ligne de démarcation internationale avec la complicité des gardes-frontières bangladais (BGB). Il en coûterait actuellement de 500 000 à 1 million de kyats (131,5 à 263 euros) par personne pour tenter de franchir la frontière. Dans bien des cas, en dépit des sommes versées, les BGB chassent manu militari les migrants. Une praxis qui existait déjà en début d’année sous le régime renversé de Sheikh Hasina mais dont aurait pu espérer qu’elle s’estompe puisque le chef du gouvernement intérimaire, le Dr Muhammad Yunus, a admis récemment sur les ondes de la Deutsche Welle que « Repousser [les Rohingyas] signifie que nous les poussons à la mort ».

 

Cette voie étant bien incertaine, les routes conduisant à la frontière étant par ailleurs de plus en plus infestées de mines anti-personnel terrestres posées par la Tatmadaw et l’Armée de l’Arakan (p.i. l’AA a ouvert de nouveaux chemins au travers des champs de mines installés par la junte mais elle se fait payer pour guider ceux qui s’enfuient), de nombreux départs se font par voie maritime vers l’Asie du sud-est. Cette route n’est pas plus sûre. Loin s’en faut !

 

Sur le littoral, la rivière Naf et ses berges, les voyageurs sont aussi exposés aux mines et autres engins non explosés. Un danger à prendre en considération si des opérations humanitaires transfrontalières par voies terrestres ou navales voient le jour, l’Assemblée générale des Nations unies vient en effet tout juste d’annoncer son souhait de voir organisé, dès que possible en 2025, une conférence internationale sur la situation des Rohingyas et des autres minorités.

 

Le nombre des boat people à destination de l’ASEAN est en hausse

 

Sur les dix premiers mois de l’année 2024, le HCR estime que plus de 7 000 personnes ont pris la voie des mers. Au 1ernovembre, ils étaient déjà 1,6 fois plus nombreux qu’en 2023 et 90 % plus nombreux qu’en 2022. Signe supplémentaire que l’on est dans des stratégies de survie : 74 % de ces boat people sont des femmes et des enfants. Les hommes adultes ne représenteraient cette année que 27% des partants, alors même qu’ils constituent 49% des personnes recensées dans les camps bangladais. Ces fuites ne sont pas sans risque.

 

Depuis le 1er janvier, les froides statistiques nous disent qu’1 de ces migrants sur 30 a péri au large. Ces martyrs constituent des cohortes de victimes invisibles. Ils ne sont pas usuellement numériquement décomptés par les organisations de défense des droits humains. Eux n’auront pas la chance de trouver un refuge dans un des nombreux appartements acquis récemment par des Birmans notamment en Thaïlande, principalement Bangkok et Chiang Mai.

 

Si le marché des passeurs est juteux, il semble que celui de l’immobilier au profit des Birmans le soit également.

 

Les ressortissants de la République de l’Union du Myanmar sont devenus les 2èmes acquéreurs du marché immobilier thaïlandais après les Chinois. Parmi les acheteurs figurent toutefois de nombreux expatriés n’ayant plus de projets de retour ou de transferts financiers dans leur pays d’origine. Selon les professionnels du secteur du Royaume, bien content de cette manne dans un marché local en repli, sur les neuf premiers mois de l’année 2024 les transactions avec les Birmans ont été 3 fois plus nombreuses qu’au cours de la même période en 2023 et ont tendance à s’accélérer +65% entre juillet et septembre. Cette dynamique ne constitue pas, pour le moins, un signe de confiance dans la stabilité et la prospérité promises par les généraux de Nay Pyi Taw.

 

François Guilbert

 

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