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BIRMANIE – CONFLIT : Entre l’exode des déplacés et la chute du Kyat, jusqu’où la junte militaire peut aller ?

Date de publication : 02/06/2024
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réfugiés birmanie

 

Une analyse d’actualité de François Guilbert

 

Rien ne va vraiment en Birmanie : ni en matière de sécurité, ni en matière économique et monétaire. Le nombre des déplacés et des réfugiés est au plus haut. La pauvreté s’accentue. Les investissements sont en berne. La monnaie est au plus bas. A la vérité, le Conseil de l’administration de l’État (SAC) ne réussit rien de ce qu’il entreprend. Ni son action militaire énergique, ni sa politique économique ne lui permet de redresser la barre et de s’assurer d’une légitimité (inter)nationale très enracinée.

 

Les déplacés intérieurs sont toujours plus nombreux

 

Signe que les combats continuent de produire leurs pires effets : selon les dernières données rendues publiques par le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR), le nombre des déplacés internes a atteint un nouveau niveau record. Plus de trois millions de personnes ont été contraintes de fuir leur foyer, dont près de la moitié au cours du dernier semestre.

 

L’État Chin et les provinces de Magway et Sagaing ont accueillis le plus grand nombre de ces migrants de l’intérieur, soit près de 1,5 million de personnes. Les mouvements de populations concernent également les pays voisins, notamment l’Inde. Depuis le putsch du 1erfévrier 2021, 60 400 individus ont trouvé refuge sur le sol indien et plus de 6200 ont été enregistrés à New Delhi.

 

A la différence du reste du pays, les nouveaux venus sur le sous-continent sont des hommes (70 % contre 49 % des déplacés intérieurs) et des adultes (74 % contre 51 %). A l’étranger, leur situation n’est pas nécessairement des meilleures et les aides internationales pour y faire face sont bien en deçà des besoins. A la fin avril, le HCR jugeait le taux de couverture à 21 % seulement. Pour autant, ces fuites de femmes et d’hommes n’ont guère de raison de se ralentir. La Tatmadaw bombarde ses cibles par voie aérienne au moins 6 fois par jour, ce qui développe un climat général de peur propice aux déplacements massifs de populations.

 

À l’approche de la saison de la mousson, les besoins humanitaires des arrivants s’affirment partout, notamment dans les États indiens du Mizoram et du Manipur. Les fugitifs nécessitent davantage d’assistance, en particulier en matière de santé et d’alimentation.

 

Les flux sont non seulement constants mais ils peuvent connaître régulièrement des pics. Cela a été le cas la semaine dernière. En deux jours, 15 000 personnes ont fui en toute hâte les combats et les destructions opérées dans certaines parties de la ville de Tedim (État Chin).

 

Plus au sud, dans l’État Rakhine, des mouvements d’ampleur s’observent également. Les populations déplacées sont en situation plus que précaire et beaucoup de familles sont au bord de la famine, ce qui explique pour partie les appels récents à l’ouverture de corridors humanitaires du Bangladesh vers les territoires contrôlés par l’Armée de l’Arakan (AA).

 

Là où les combats sont intenses, les populations résidentes et déplacées ont des ressources économiques limitées. Pire, il est souvent devenu difficile pour elles d’accéder au peu qu’elles possèdent. Les plus aisées quant à elles, elles ne peuvent plus rien retirer de leurs comptes de dépôts. Aux confins du Bangladesh, les établissements sont purement et simplement fermés. Pire, les sommes qui y dorment perdent progressivement toute valeur.

 

Le kyat est à son historique le plus bas

 

Certes, toutes les devises d’Asie du Sud-Est fléchissent en ce moment par rapport au dollar mais la dégringolade la plus sévère est celle qui impacte l’économie birmane. Le kyat continue de se dévaluer jour après jour. Il a perdu 16 % de sa valeur au cours du premier trimestre 2024 et a connu une variation à la baisse de 28,5 % depuis le début mai.

 

Quant à l’or qui constitue la valeur refuge par excellence des ménages, son prix ne cesse de s’envoler (+ 22 %). Il connaît même ces jours-ci des records. Le tical (16,3 grammes) se négociait à 2500 dollars le 29 mai. Le régime militaire explique ces variations par la multiplication de rumeurs et fausses nouvelles propagées via les plateformes Facebook et Telegram. Pour y remédier, il met en cause l’avidité des vendeurs d’or et la malhonnêteté de certains bureaux de change, les mesures économiques restrictives occidentales et pratique sa politique de terreur, en retirant les licences des uns et en poursuivant d’autres devant les tribunaux.

 

Les menaces édictées par la Banque centrale à l’endroit du commerce illégal et la spéculation ne ralentissent pas la baisse des cours. C’est pourquoi les autorités exécutives viennent de tenir à Nay Pyi Taw une réunion secrète sur les mesures économiques d’urgence à adopter. Mais l’opacité du processus de décision et des adaptations monétaires envisagées aggravent la situation. La Banque centrale aurait ainsi adopté depuis Thingyan, sans le dire publiquement, un taux de change « officieux » d’environ 3 000 kyats pour un dollar. Un ratio bien en deçà des réalités du marché mais aussi très loin des 2 100 fixés autoritairement en août 2022.

 

De telles distorsions tirent les prix à la hausse comme on peut le constater depuis le 24 mai. Un facteur amplifié par la non transparence du budget de l’État. Si l’on en croit le réseau mondial de l’International Budget Partnership (IBP), la Birmanie se classe au 120ème rang des 125 pays étudiés. Elle est la moins transparente des 10 nations de l’ASEAN. Par ailleurs, la mise à la disposition du public des documents budgétaires est même aujourd’hui inférieure à ce qu’elle était en 2012. Comment dans un tel contexte faire confiance aux politiques publiques définies par les militaires ?

 

Le SAC n’a pas de réponse économique satisfaisante et cela se voit.

 

Globalement, la junte manque de liquidités. Les affrontements armés engagés depuis novembre 2023 lui ont fait perdre des recettes considérables. Sur le plan douanier, elle ne contrôle plus que 11 points frontaliers. Sur certains d’entre eux, elle ne peut plus espérer que de maigres revenus. Ceci est notamment la conséquence que leur environnement (ex. Muse à la frontière chinoise) est passé sous le contrôle des groupes armés ennemis. Très concrètement, en avril 2024, le commerce frontalier national était inférieur de 32,5 % à ce qu’il était l’année dernière. Dans le même temps, les forces de la résistance contrôlent désormais 16 % de la valeur du commerce extérieur.

 

Au total, toutes les rentrées financières du SAC s’amenuisent. L’activité des entreprises elles-mêmes diminue, fautes de marchés, d’énergies et souvent de matières premières. Selon la Banque mondiale, les sociétés fonctionnaient déjà l’année dernière à 56 % de leurs capacités, soit 16 % de moins qu’en 2022, et c’est pire présentement. Les recettes fiscales ne sont donc pas au rendez-vous alors que les dépenses de défense et de sécurité ne cessent, elles, de progresser. Dès lors, seules les exportations de gaz, des terres rares et autres ressources naturelles procurent encore des revenus conséquents aux militaires.

 

Cette situation macroéconomique dégradée fait passer les perspectives de croissance 2024 de la Banque Mondiale (+ 1 %) pour une projection bien optimiste. Face à une inflation qui galope (ex. en avril, la viande et le poisson ont augmenté de 10 à 20 %, l’huile de cuisson de 15 %, les aubergines de 40 % et les détergents de 22 %), la Banque centrale pourrait bien être tentée prochainement de recourir à la planche à billets. Ce choix n’a pas été fait depuis l’arrivée au pouvoir du général Min Aung Hlaing mais s’il advient cela pourrait avoir pour effet d’accélérer encore l’inflation et la dégradation des taux de change.

 

Dans ce contexte, la pauvreté devient criante un peu partout. Les prix des denrées alimentèrent ont triplé depuis le pronunciamento. Or, d’ores et déjà, près de la moitié de la population se doit de survivre avec 76 cents par jour. Signe des temps, même la classe moyenne urbaine s’étiole. Selon le principal organisme des Nations Unies pour le développement (PNUD), sa taille s’est contractée de 50 % en moins de trois ans. Même si la junte se montre bien peu explicative sur ses choix de politiques publiques, la situation économique dégradée impose au SAC de trouver des responsables.

 

Plusieurs généraux (cf. le ministre de l’Union Aung Naing Oo, le vice-ministre du Plan et des finances Maung Maung Win) ont d’ailleurs été relevés de leurs fonctions le 27 mai. Officiellement, ils ont été autorisés à faire valoir leur droit à la retraite. Néanmoins, il ne fait pas de doute qu’ils ont été, dans les faits, limogés faute de résultats. Il est vrai qu’ils étaient en place depuis longtemps et servirent même à des fonctions économiques clés le gouvernement civil de Daw Aung San Suu Kyi.

 

François Guilbert

 

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