Une chronique de François Guilbert
Les Birmans se préparent à vivre des violences exacerbées dans les semaines et les mois qui viennent. Dans les grandes villes, l’inquiétude est grandissante. A Bhamo, Mandalay, Rangoun, Taunggyi, la tension est palpable. Non seulement la saison sèche est propice à des opérations de grande envergure mais le Conseil de l’administration de l’État (SAC) ne cache pas qu’il veut regagner une partie du terrain perdu depuis la fin 2023. Un objectif politico-militaire majeur avant les élections générales prévues en – ou à partir de – novembre 2025. Dans cette perspective, des renforts militaires se préparent. Des unités se mobilisent et se dirigent vers les États Chin, Kayah, Kayin et Môn. Mais pour intensifier le cours des opérations militaires encore faut-il disposer de ressources combattantes en nombre suffisant.
L’armée de Nay Pyi Taw manque d’hommes et en cherche tous azimuts
Chaque mois, la Tatmadaw est pourtant censée enrôlée une cohorte de 5 000 hommes et avoir vu bondir ses effectifs de 20 à 25 000 depuis avril 2024. Mais, elle peine manifestement à atteindre l’objectif quantitatif qu’elle s’est fixée. Elle doit donc trouver des moyens pour parvenir à cette fin et combler les vides de ses sous-effectifs passés, un rappel sans grand résultat de ses réservistes, une modification de la loi sur la détention d’armes pour ses affinitaires sans effet majeur, sans parler des désertions récentes et des pertes conséquentes des derniers temps sur les champs de bataille.
Pour éviter les stratégies d’éviction, les contrôles aux sorties du pays ont été renforcés. La mobilité des plus jeunes est particulièrement visée, sans même parler de certaines communautés qui à l’image des Kokangs, Palaungs et Was se voient désormais interdire l’achat de tout titre de transport (inter)national quand leurs ressortissants présentent leur carte d’identité avec le code « 13/V » distinctif pour l’État Shan. De manière plus générale, les visites sociales hors du pays voire même pour les traitements médicaux sont devenus difficiles. Par ailleurs, pour contraindre et gagner quelques recettes monétaires supplémentaires, le coût de la délivrance des 9 catégories de passeport a été augmenté de 15 % à compter du 1er septembre.
La perspective des élections sert également de moyen de coercition pour remplumer les rangs des unités de l’armée. Sous couvert du recensement de la population, les employeurs ont été instruits par le département de l’administration générale (DAG) de transmettre les données personnelles de leurs salariés pour identifiés les enrôlables, parfois y compris pour les jeunes femmes. A ce titre, les zones industrielles sont dans le viseur des autorités.
C’est si vrai que des ouvriers de l’industrie de la confection entendent dénoncer ces faits auprès de l’Organisation internationale du travail afin qu’ils soient condamnés voire sanctionnés internationalement. Quant aux agences de placement des travailleurs à l’étranger, elles font, elles aussi, l’objet de mesures de contrôles afin de s’assurer que leurs employés reversent bien 25 % de leurs revenus dans le système bancaire contrôlé par l’État et n’ont pas migré pour échapper à la conscription instaurée en février 2024.
Tous ces mécanismes de coercition sont extrêmement corrupteurs. Hiérarchies et forces de sécurité en retirent de substantiels revenus. Quant à ceux qui n’ont pas les moyens de s’en affranchir, ils n’ont pas d’autres choix que fuir ou se soumettre à la prise d’uniforme. Une chose est sûre, de tels hommes feront de bien piètres combattants, des soldats sans connaissance et sans motivation profonde. Nonobstant cette réalité, la Tatmadaw a urgemment besoin de ressources humaines mais semble encore hésiter à enrôler massivement les femmes, ce que la loi de 2024 lui permet pourtant.
Pour combler son manque de soldats, le SAC multiplie les recours à la constitution d’unités de miliciens.
Afin d’employer ses soldats dans leur cœur de métier, le général Min Aung Hlaing a décidé de recourir à une nouvelle forme de conscription. Celle-ci est censée s’appuyer sur les hommes de 35 à 60 ans. Dans chaque quartier et village du pays, des Comités populaires de sécurité et de lutte contre le terrorisme sont appelés à se constituer très vite. Combien d’hommes rassembleront-ils ? Personne ne le sait. Aucun objectif d’effectif n’a été détaillé pour les échelons nationaux et provinciaux. Les modes de rétribution n’ont pas été non plus précisés, ainsi que les critères d’exemption s’il en existe (ex. moines, soutiens de famille,…).
Ces milices de proximité seront supervisées par un comité de pilotage (NPSATCSC) placé sous l’autorité du général Tun Tun Naing, ministre chargé des frontières, secondé dans sa responsabilité par deux vice-ministres venus de la Défense et de l’intérieur. Si des missions de gardes statiques ont été publiquement évoquées, elles ne se limiteront pas à des tâches « passives ». Elles couvriront également très officiellement des patrouilles, des tenues de check-points et des opérations d’appui feu en première ligne. Autrement dit, ces miliciens seront appelés à agir dans des actions aussi bien défensives qu’offensives. Reste à savoir de quels équipements les hommes seront pourvus et de quelle formation guerrière ils bénéficieront.
La valeur militaire des individus rassemblés dans de telles circonstances sera bien incertaine pour leur commandement. L’interopérabilité de ces groupes isolés sera certainement difficile, faute de moyens de télécoms en propres, et d’interlocuteurs identifiés du côté de la police, de l’armée voire d’autres groupes miliciens (ex. gardes-frontières ralliés, Pyu Saw Htee,…).
En tout état de cause, ces milices ne devraient pas changer significativement les capacités opérationnelles de l’outil militaire.
Six mois après l’instauration de la loi de conscription, cette nouvelle mesure dénote ô combien le SAC est dans une logique de guerre totale. Cependant, il est dépourvu de partisans susceptibles de rejoindre en nombre les rangs de ses unités. Cette « milicisation » du conflit entraînera de nouveaux crimes de guerre, bien des victimes civiles innocentes ainsi que des obstacles à la vie économique, en particulier là où les conflits armés font rage. Ainsi, elle semble, d’ores et déjà, devoir s’opérer dans les lieux d’affrontements les plus chauds des provinces de Mandalay et Sagaing, mais également de l’État Môn.
Les recrutements forcés étant dévolus aux relais du SAC dans les quartiers et les villages, ceux-ci se feront peut-être quelques fortunes mais comme tout recruteur de soldats au service du conseil militaire ils seront autant de cibles pour les ennemis de la junte. Toute chose égale par ailleurs, ce n’est pas avec de tels supplétifs que le régime né du coup d’État de février 2021 va restaurer l’État de droit et la stabilité du pays. C’est pourtant deux des objectifs affichés avec ostentation par le général Min Aung Hlaing pour expliquer la mise en place de cette nouvelle campagne de recrutement à vocation militaire et « anti-terroriste ».
François Guilbert
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