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BIRMANIE – CONFLIT : La poussée insurrectionnelle se confirme

Date de publication : 19/01/2025
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Une chronique du conflit Birman par François Guilbert

 

Fort de son contrôle de 82,3% des subdivisions de l’État Rakhine, l’Armée de Arakan (AA) se projette depuis le début de cette année au-delà des limites de la province frontalière du Bangladesh. Associée aux combattants des Forces de défense du peuple (PDF), elle s’engage militairement vers les régions de Magway où sont sis nombre d’usines d’armements. C’est vrai aussi du côté de l’Ayeyarwady, la province adjacente à Rangoun. Le conflit rakhine s’étend vers l’Est. Conscient que là s’ouvre un nouveau champ conflictuel, le numéro 2 de la junte, le général Soe Win, s’est rendu le 27 décembre dernier auprès du commandement sud-ouest. Il s’agit d’éviter qu’une troisième pièce maîtresse de l’état-major ne disparaisse. Au second semestre 2024, les PC de Lashio (État Shan, 3 août 2024) et d’Ann (État Rakhine, 20 décembre 2024) sont tombés manu militari aux mains de l’ennemi.

 

Aujourd’hui, le temps n’est plus à la planification opérationnelle. Il faut faire face à des combattants qui avancent. L’AA a mis un pied dans une nouvelle aire territoriale. Elle submerge au passage de premiers postes de police et de l’armée. Après quelques jours d’inactions, la Tatmadaw a fait le choix d’engager la bataille. Elle mobilise pour cela des moyens militaires très importants. Les généraux putschistes ne s’attendaient pourtant pas à l’ouverture de ce nouveau front, tout au moins à si court terme.Première surprise tactique pour les généraux : depuis le 29 décembre 2024 et la prise du canton de Gwa, le plus méridional des townships de l’État Rakhine, l’AA a poursuivi son avancée.

 

Beaucoup pensaient que l’AA se « contenterait » à court terme d’achever sa conquête territoriale en s’emparant des trois derniers townships qui lui échappent encore (Kyaukpyu, Munaung, Sittwe). Puis, elle limiterait ses ambitions politico-militaires à la gestion de son État et du township chin de Paletwa dont elle s’est saisie en janvier 2024. N’avait-elle pas récemment esquissé la mise en place d’un Gouvernement révolutionnaire du peuple de l’Arakan et appelé au développement du territoire, y compris en accueillant favorablement les investissements étrangers, chinois et indiens ?

 

Deuxième surprise pour la junte : le gouvernement d’opposition (NUG) et ses affidés affichaient urbi et orbi des velléités offensives immédiates ailleurs qu’à proximité de l’État Rakhine. Il était publiquement affirmé des objectifs combattants plus septentrionaux. Les alentours de l’ancienne capitale royale de Mandalay apparaissaient les objectifs premiers de 2025. Cependant, c’était ô combien sous-estimer les liens de connivence qui se sont noués sans beaucoup de publicité depuis trois ans entre guérilléros. Chacun des acteurs insurgés ayant un intérêt politique et stratégique majeur à ne pas mettre en lumière les coopérations opérationnelles construites.

 

A bas bruit ce qui s’est mis en place est une ligne de poussée insurrectionnelle courant le long d’un arc s’étalant du golfe du Bengale aux confins de la province chinoise du Yunnan. Certes, le champ de bataille est discontinu. Mais il impose aux planificateurs de Nay Pyi Taw de disperser leurs faibles moyens d’infanterie. Plus préoccupant encore pour eux, sur le front ouest, les territoires libérés dans les États Chin, Kachin et Rakhine peuvent et pourront servir de points de départs à de nouvelles opérations des PDF et du NUG vers la Birmanie centrale, tout en facilitant l’émergence de zones tampons entre les États ethniques et ce qui reste des territoires sous contrôle du SAC. Cela réduira d’autant les impacts immédiats que ne manqueraient pas d’avoir sur les territoires libérés des contre-offensives de la junte. Une réalité opérationnelle qui existe également plus à l’Est, de l’État Shan à l’État Kayin.

 

Front sud-ouest

 

Cette menace est d’ailleurs susceptible de peser militairement très directement sur le district de la capitale Nay Pyi Taw.La junte est menacée sur son front sud-ouest Comprenant le caractère extrêmement dangereux d’une implantation et d’une tête de pont d’insurgés sur son flanc le plus occidental, la junte mobilise des moyens conséquents. Elle y attire des forces mises jusqu’ici en réserve sur Rangoun. Des troupes fraiches comprenant nombre de jeunes conscrits sont acheminées vers le théâtre d’opération sud-ouest.

 

Preuve que les affrontements sont envisagés en plusieurs points, des plots d’héliportages sont mis en place. Ils ont vocation à accueillir chasseurs-commandos et armements.Hommes et matériels des armées de terre, de l’air et de la marine sont mobilisés. La région de l’Ayeyarwady devient, après l’État Rakhine, le deuxième lieu des conflits armés où les trois armées sont appelées à combiner ensemble sur un théâtre d’opération. Par ailleurs, le commandement recourant chaque jour un peu plus aux ciblages depuis le ciel, les premières frappes aériennes se font entendre ces jours-ci. Là comme ailleurs, elles frappent indistinctement civils et militaires. Du jamais vu depuis des décennies dans cette partie du pays ! Sur le plan terrestre, signe de la détermination des autorités de Nay Pyi Taw, une bonne vingtaine de blindés, venus d’Hmawbwi au nord de Rangoun, ont fait route vers l’ouest. Jusque-là, la Tatmadaw a eu très peu recours à de tels plateformes de combat.

 

Certes, le terrain plat et la saison sèche sont favorables à l’emploi de ce type d’armement mais le déploiement d’une telle puissance de feu montre surtout combien la junte n’entend pas être défaite à quelques dizaines de kilomètres du principal poumon démographique et économique de la nation.En renforçant ses lignes de défense dans la région de l’Ayeyarwady et le long des plages du golfe du Bengale (Chaung Thar, Ngwe Saung), c’est à la défense de Rangoun que s’emploie, aujourd’hui, le général Min Aung Hlaing.

 

Les habitants de la plus grande agglomération urbaine l’ont bien compris. Ils désertent désormais les week-ends les deux sites balnéaires les plus proches de l’ex-capitale. C’est vrai pour le plus populaire d’entre eux (Chaung Thar), comme pour le plus huppé (Ngwe Saung). L’extinction touristique à l’heure où les grandes chaleurs s’annoncent va s’avérer un véritable désastre économique pour un secteur économique déjà très malmené depuis les temps du COVID-19, et devant se passer depuis une demie décennie de vacanciers étrangers. Un de plus !Les conflits armés se rapprochent tout simplement de Rangoun.

 

Au-delà des conséquences économiques immédiates, c’est à l’impact psychologique sur ses soldats et les populations civiles rangounaises que le SAC devrait penser. Dans une ville relativement épargnée par les violences depuis plus de deux ans, le sentiment d’une proximité physique des affrontements armés se fait progressivement sentir. Cela pèse sur le moral des soldats en cours de redéploiement. Voilà des femmes et des hommes qui se pensaient loin des champs batailles. Or ils pourraient bien s’y voir bientôt plonger, et cela sans expérience combattante ou préparation particulière.

 

Une chose est sûre : ils savent qu’ils risquent d’aller au-devant d’adversaires aguerris qui ont, ces derniers temps, victimisé 700 des leurs. Le moral est d’autant plus bas qu’ils sont dans une impasse : les troufions se voient pousser vers la ligne de front, à défaut la guerre viendra à eux.Cette perspective est anxiogène pour les troupes mais également leurs familles. L’anxiété vis-à-vis du lendemain est aggravée par un encadrement politico-militaire qui se montre incapable d’apporter les concours idoines aux proches des personnels tués au feu ou portés disparus. Les indemnités de réconfort ne sont pas toujours versées ou à la hauteur des engagements pris contractuellement. Détournements de pactoles, arguties administratives, actes de procrastination de la chaîne de commandement sont légion. Ces comportements, humiliants, pénalisants se répandent sans phare sur les réseaux sociaux. La hiérarchie n’y peut rien.


Autant d’anecdotes et de rumeurs qui ternissent, en interne et à l’externe, l’image de la junte et de ses chefs.S’il est un groupe social sur qui la guerre conduite dans et depuis l’État Rakhine pèse aussi, ce sont les Rakhines eux-mêmes
.

 

Dans une cité marquée par la multiethnicité comme Rangoun, les Rakhines résidents et plus encore ceux de passage ou ayant récemment fui les combats sont l’objet de suspicions. On leur prête d’éventuelles collusions avec l’AA ou sa branche politique. Sur la chaîne Telegram des discours de haine anti-Rakhine des pro-juntes se déploient. Des politiques sont également menacés. Fin novembre, un ancien leader de la jeunesse du Parti national de l’Arakan (ANP), Ko Gambari, a été condamné à 12 ans de prison pour terrorisme. Plus généralement, les arrestations semblent se multiplier depuis la mi-décembre. Elles visent des jeunes de la communauté vus comme participant ou pouvant s’engager dans de la guérilla urbaine. Il serait toutefois erroné de croire que sur Rangoun les tensions opposent simplement les Rakhines au groupe dominant.

 

Le conflit génère des brouilles intracommunautaires. Il se dit ainsi que le vice-ministre des Affaires ethniques de l’Union, ex-ministre des Affaires rakhines de la province de Rangoun, n’est pas étranger à la coercition en cours. Un facteur de plus dans une guerre civile qui ne cesse de s’étendre géographiquement et de s’approfondir entre les communautés ethniques. Comme l’année 2024, 2025 pourrait bien s’avérer une nouvelle annus horribilis pour la junte. Mais ses revers militaires, le pays le paie au prix du sang de nombreux civils et d’un effondrement économique toujours plus profond.

 

François Guilbert

 

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