Une chronique birmane de François Guilbert
Depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021, Chinois et Russes se sont montrés de constants soutiens au régime militaire birman. Mais voici celui-ci aujourd’hui confronté à un cyclone particulièrement dévastateur et auquel la junte ne s’attendait pas à ce qu’il provoque « une situation aussi mauvaise » selon les termes de son généralissime », qu’à cela ne tienne, rien ne se passe. Ce sont les États les plus critiques à la junte qui s’apprêtent à se montrer les mieux disposés à venir au secours des populations victimisées et à porter le sujet jusqu’à l’enceinte du Conseil de sécurité des Nations unies (19 septembre).
Pékin et Moscou sont aux abonnés absents de la solidarité
Aucune empathie pour les victimes n’a été exprimée par ces deux pays. Aucune aide humanitaire n’a été annoncée par l’un ou par l’autre. Silence radio du côté de la Fédération de Russie, pourtant les dialogues de haut niveau avec les dirigeants du gouvernement militaire sont nombreux ces temps-ci : ministres de l’Information et de la Santé, vice-ministre de l’Agriculture. Quant à l’ambassade de la République populaire, son porte-parole n’a pas trouvé à s’employer ces derniers jours sur d’autres thèmes que les accusations d’ingérence dans les affaires intérieures birmanes, suite aux pressions exercées depuis la province du Yunnan sur les groupes ethniques armés du nord-est de l’État Shan. Parmi les soutiens au Conseil de l’administration de l’État (SAC), seule l’Inde s’est montrée réactive et solidaire pour faire face aux effets dramatiques du typhon Yagi qui a provoqué les plus vastes inondations connues par la Birmanie depuis 2008.
L’Inde est déjà pied d’œuvre pour venir en aide
Dans le cadre de l’opération « Sadbhav » au nom des politiques de New Delhi « Agir à l’Est » et « Le voisinage d’abord », l’armée de l’air a dépêché par gros porteurs 10 tonnes de fret dans les heures qui ont suivies l’appel à l’aide de Nay Pyi Taw. Le 17 septembre, un deuxième affrètement aérien de 32 tonnes a été opéré : abris temporaires, générateurs électriques, kits hygiéniques, riz et stations de purification.
De son côté, la marine a acheminé avec une frégate multirôle furtive (INS Salpura) 10 tonnes de dons composées de médicaments, de rations sèches et de vêtements. Des aides concrètes, rapidement transportées et sans être dédiées à une zone géographique particulière ; autrement dit à la main de la junte qui récupère tous les biens sur les zones aéro-portuaires de Rangoun. Une exception parmi les acteurs internationaux qui pour la plupart ont décidé de s’engager de manière très précautionneuse, après mûre réflexion et par d’autres voies en faveur des déshérités.
Les aides annoncées sont fortement multilatéralisées
La Corée du sud a divulgué un concours financier conséquent (13 millions de dollars) mais cette aide n’a pas été directement accordée à l’administration de la junte. Elle est appelée à transiter par le Comité international de la Croix Rouge, les agences spécialisées des Nations unies (ex. BCAH, HCR, PNUD, UNICEF) et de l’ASEAN (AHA). La Norvège a fait de même en versant 500 000 US$ au Bureau des Nations unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS).
Les Etats-Unis agissent également mais ils ne disent pas explicitement par quel canal l’USAID interviendra. L’Union européenne fait de même pour les 1,2 million d’euros accordés. Du côté de l’ASEAN, on ne se montre guère plus transparent. Le Centre de coordination de l’assistance humanitaire pour la gestion des catastrophes (AHA) s’est contenté de préciser que sa donation (appareils de cuisine, bâches, moustiquaires, purificateurs d’eau) a été prélevée en Thaïlande dans l’entrepôt logistique dédié aux opérations de l’organisation régionale (DELSA).
Elle a été acheminée à moindre coût par voie aérienne civile et une liaison de la compagnie Myanmar National Airlines (MNA). Singapour a mobilisé des moyens aériens puisant dans les stocks de ses forces armées et en prenant en charge du fret offert par des organisations caritatives et l’AHA, mais sans aller plus loin dans l’explication de son modus operandi. Qui distribuera les biens ? Où et à qui ? Aucune information officielle ne filtre à ce stade.
Les partenaires internationaux se montrent très précautionneux et méfiants
Plus de dix jours après les meurtrières montées des eaux, l’action internationale se cherche encore. L’Australie ne cache pas à ce titre être toujours dans la phase évaluative des besoins et des supports à donner à son assistance. Le Japon ne dit pas non plus ce qu’il entend faire. Instruits par les expériences passées, les partenaires étrangers demandent aux autorités militaires de faciliter l’accès aux populations le plus dans le besoin. États-uniens et Canadiens se montrent particulièrement vocaux sur ce point. C’est une exigence morale et politique qui si elle n’est pas respectée aura pour conséquence de limiter les solidarités, retarder les mises en œuvre et l’abondement des budgets des agences onusiennes, financées aujourd’hui en Birmanie à hauteur du quart de leurs programmes courants.
Le rappel à l’ordre est loin d’être infondé comme l’a démontré en 2023 la gestion erratique des aides aux sinistrés du cyclone Mocha. Certaines pratiques en cours sur le terrain sont très alarmantes. Ces derniers jours dans la province de Bago et dans l’État Kayah, la Tatmadaw s’est opposée à des transports de denrées vivrières et de médicaments vers des régions suspectées d’être sous le contrôle de ses ennemis. Une pratique courante depuis des mois dans les zones d’affrontements armés. Elle relève même de la doctrine d’emploi des forces armées depuis des décennies (tactique dite des 4 coupures).
Les soldats du conseil militaire ont fait de la délivrance des aides un instrument de ségrégation et une arme. Cette praxis devra être prise en compte par les donateurs s’ils veulent éviter que leur générosité ne soit détournée de leur objet. A commencer par le Programme alimentaire mondial qui a annoncé vouloir toucher un demi-million de personnes en leur fournissant pour un mois des rations alimentaires d’urgence, comprenant du riz, des biscuits enrichis et des compléments nutritionnels.
La junte veut que l’aide internationale passe sous ses fourches caudines
Si le régime militaire en a appelé à l’aide internationale, il le fit déjà par le passé en 2008 puis en 2023, il n’entend manifestement pas à ce que les donations arrivent ailleurs qu’à Rangoun (pourtant bien loin de l’épicentre des inondations) et ne soient pris en charge par d’autres que son appareil d’État, des plateformes logistiques aux bénéficiaires. Il veut également que l’aide soit délivrée sur une courte durée et sans présence étrangère renforcée sur son sol.
Le général Min Aung Hlaing a demandé à ce que les opérations de secours et de réhabilitation soient toutes achevées d’ici six mois. Une perspective bien improbable à la vue de l’ampleur des dévastations. De plus, le SAC s’est bien gardé de détailler qu’elle va être sa propre contribution aux aides à la personne, au redressement économique et agricole. Tout au plus, on sait que les familles endeuillées percevront 160 dollars par victime, versées à hauteur de 60 % par le Fonds du comité national de gestion des catastrophes et 40 % au nom du ministère de la protection sociale, des secours et de la réinstallation.
Au 20 septembre, le SAC s’apprête donc à verser à peine plus de 45 000 dollars aux familles des victimes qu’il dit avoir identifiées. Le conseil militaire ne se montre guère généreux. Il est vrai que le ministère de la protection sociale a vu sa part ne pas cesser de diminuer dans le budget de l’Etat depuis 2021 au profit des allocations faites à l’effort de guerre.
La junte n’annonce aucun engagement financier significatif pour les secours d’urgence et la réhabilitation
Aucune valeur d’engagements budgétaires n’a été esquissée jusqu’ici publiquement. Les besoins sont évalués avec une certaine « approximation ». Selon les sources officielles, le nombre des townships victimisés varient ainsi d’une source à l’autre, d’une cinquantaine à plus de 80. Il en est de même pour les populations affectées. Le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires parle de plus de 887 000 personnes là où la junte n’en dénombre, tout au plus, que 400 000, dont 163 170 ayant des besoins de secours d’urgence. Un différentiel de plus de 50 % qui augure des discussions difficiles sur ce qu’il conviendra de faire sur le court et le moyen terme.
Certaines données de la junte sont carrément fantaisistes.
Alors que le nombre des victimes est encore incertain, faute d’accès à toutes les zones sinistrées (le ministre des situations d’urgence du gouvernement d’opposition évoque un millier de mort et de disparus soit près de cinq fois plus que le bilan affiché par Nay Pyi Taw), l’administration de la junte sait, elle, à l’unité près le 19 septembre que le nombre des animaux décédés des fermes est de 129 150, celui des habitats submergés, 168 704, et le nombre d’hectares de cultures gâtées, 310 226. Tout ceci vise à faire valoir le degré de mobilisation du SAC mais il n’en est rien.
Sur le terrain, les chefs de la junte sont toujours aussi peu visibles. Il aura fallu attendre près de dix jours pour que le général Min Aung Hlaing soit au contact de quelques victimes triées sur le volet dans le township de Pyinmana, tout en prenant soin au cours de ce séjour de visiter une infrastructure militaire endommagée, comme si les biens de la Tatmadaw avaient été plus détériorées que d’autres.
Ce biais « militaire » met en lumière quelles sont les préoccupations immédiates de la junte. D’ailleurs pour venir en aide aux populations, le généralissime n’entend pas mobiliser les fonds de l’État mais capter ceux spontanément mobilisés par les donateurs privés, les entreprises, les associations, sans même parler des transferts suspectés être destinés à des bénéficiaires en zones sous contrôles des opposants. Des comptes KPay ont été ainsi suspendus sans explication alors que la banque a elle-même mobilisé 1,8 million d’euros pour les sinistrés.
La junte s’accapare la générosité de la société civile
Le général Min Aung Hlaing se félicite de la charité de ses concitoyens mais pour se l’approprier. Les entreprises ont été enjointes de verser leurs oboles via les ministères des Affaires économiques des provinces afin qu’elles puissent être distribuées dans le cadre du plan de secours de l’armée. Au sein de la Fédération des chambres de commerce et d’industrie de Birmanie (UMFCCI), l’attitude captatrice de la junte provoque des remous. Les entrepreneurs privés birmans craignent d’être assimilés au régime militaire en place, un risque réputationnel mortel. C’est pourquoi, nombre d’entre eux privilégient des petites structures associatives de proximité et qu’ils connaissent. L’évergésie ne s’en trouve pas moins pénalisée dans les sommes collectées.
Toutefois, certains efforts peuvent être très conséquents.
Ainsi, la compagnie aérienne privée MAI opère du transport de fret humanitaire gratuitement depuis Bangkok mais également à l’intérieur du pays, à destination de Heho, Keng Tung, Mandalay, Nay Pyi Taw et Tachileik. Des sociétés de télécoms ont accordé des temps de communication et des SMS gratuits pendant une dizaines de jours pour faciliter les échanges avec les familles victimisées (ex. ATOM Myanmar, MPT, Mytel, Ooredoo).
Néanmoins, ce sont les financements participatifs et les aides spontanées offertes par les familles, les connaissances, les associations locales qui ont amorti le plus les situations vécues par près de 700 000 Birmans. Mais des efforts plus conséquents encore seront nécessaires pour réhabiliter, à fortiori rapidement, les infrastructures détruites ou fragilisées, et pour relancer les plantations agricoles totalement détruites. Eux relèvent essentiellement de l’État central même si des acteurs comme la Fédération des producteurs de riz fait des dons de semences (20 000 USD). Cependant, il n’est pas sûr que telle sera la priorité à venir de la junte. Elle n’a déjà pas apporté de soutiens conséquents à ceux qui ont déjà été frappés par les précédents épisodes d’inondations de la saison des pluies (ex. juillet).
Preuve de plus s’il en fallait, le SAC entend bien tenir du 1er au 15 octobre à l’échelle nationale le recensement de la population afin d’établir au plus vite la liste des électeurs qui seront appelés aux urnes en novembre 2025. Dès le 17 septembre par la voix du général Min Aung Hlaing, les réfugiés installés chez des proches (officiellement 243 535) ou dans des sites d’accueil temporaires (163 573) ont été priés de rentrer chez eux « au plus tôt » pour respecter l’échéance d’enregistrement arrêtée depuis plus d’un an. Un empressement militaire qui n’est pas sans rappeler celui du régime du général Than Shwe en 2008 quand celui-ci imposa de tenir le référendum sur la constitution le 10 mai alors que le pays venait de subir le 2 mai avec Nargis, le plus meurtrier des cyclones de son histoire (140 000 morts).
François Guilbert
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