Une chronique du conflit birman par François Guilbert
Non grata aux sommets de l’ASEAN depuis la fin de l’année 2021, le chef de la junte ne voyage guère à l’étranger. Depuis sa prise de pouvoir, il ne s’est rendu qu’en Indonésie pour un sommet exceptionnel de l’ASEAN et en Russie. Du 6 au 10 novembre, changement de programme. Une nouvelle destination s’est inscrite à son agenda : la Chine. A Kunming d’abord, à Chongqing (province du Sichuan) et Shenzhen (province du Guangdong) ensuite ; pour parler de coopérations économiques et d’investissements. Des entrepreneurs birmans ont été envoyés sur place en amont pour dénicher d’éventuels partenaires dans les domaines agricoles ou énergétiques. Pas sûr que les hommes d’affaires chinois se précipitent dans un pays où à l’heure du départ du leader de l’armée, l’insurrection a été capable pour attenter à sa vie de lâcher par drone une bombe entre la piste et le parking de l’aéroport international.
Le général Min Aung Hlaing n’a toujours pas rencontré le numéro 1 chinois
Contrairement au déplacement de septembre 2022 à Vladivostok où le général Min Aung Hlaing eut l’opportunité de s’entretenir avec le président V. Poutine en marge du Forum économique de l’Est (EEF), en Chine, il n’a pas croisé le chemin du chef de l’État. Ce n’est d’ailleurs pas lui qui l’a invité à venir. Le généralissime devra donc encore patienter pour un tête-à-tête avec le président Xi Jinping. Les sujets bilatéraux sensibles à aborder ne manque pourtant pas (ex. gestion de la frontière commune ; lutte contre les centres d’escroquerie en ligne ; protection des biens, des personnes et des projets chinois ; suite à donner à l’attaque du consulat de Mandalay le 18 octobre, une première pour un établissement diplomatique depuis 1967 ; avenir de la zone économique spéciale de Kyaukphyu menacée par les insurgés de l’Arakan Army ; mise en œuvre du corridor économique Chine – Birmanie, relance des importations de terres rares ; coopérations économiques et de défense ;….).
Une visite non-politique donc ? Certainement pas. Du côté chinois, on n’a pas manqué d’en appeler à « la réconciliation nationale et à la transformation ». Du côté birman, l’invitation à se rendre en Chine a été une victoire en soi. Elle s’est faite attendre si longtemps. Il est vrai qu’avant le leader du Conseil de l’administration de l’État (SAC), l’ancien président de la République, le général Thein Sein, les généraux Soe Win (vice-premier ministre), Tin Aung San (ministre de la Défense) et Yar Pyae (ministre de l’Intérieur), tous ont été conviés à faire le voyage de la République populaire : un invité de taille manquait jusqu’ici à l’appel, le numéro 1 de la junte, le chef de l’État par intérim et premier ministre du conseil militaire lui-même.
La Chine s’affiche dorénavant en partenaire incontournable du chef de la junte
Depuis trois ans et demi, Pékin entretient des relations tendues avec la junte et son promoteur. Le séjour à Kunming du général Min Aung Hlaing n’a pas tout changé bien que 7 accords bilatéraux de coopération aient été signés. La République populaire n’a pas déroulé le tapis rouge d’une visite d’État. Le généralissime n’a pas été invité dans la capitale de l’Empire du Milieu mais en provinces, et en premier lieu au Yunnan voisin. Preuve s’il en est, la première personne qu’il a rencontré à son hôtel a été le secrétaire provincial du parti communiste Wang Ning. Autrement dit, la raison d’être de cette visite du numéro 1 du SAC a donc été un déplacement à l’invitation du gouvernement chinois mais principalement pour des sommets multilatéraux, et non pour une visite bilatérale. Cela n’a cependant pas empêché quelques têtes-à-têtes bienvenus avec les premiers ministres cambodgiens et laotiens par exemples.
Du côté chinois, le général Min Aung Hlaing s’est entretenu avec le premier ministre Li Qiang mais il n’a pas été le seul ces jours-ci. Tous les dirigeants ayant participé au 8ème sommet des leaders de la Sous-région du grand Mékong (GMS), au 10ème sommet de la Stratégie de coopération économique Ayeyarwaddy – Chao Phraya – Mékong (ACMECS) et au 11ème sommet Cambodge – Laos – Birmanie – Vietnam (CLMV) ont eu cet honneur.
Une évolution politique chinoise en trompe l’œil
Autant dire que pour cette première visite chinoise du putschiste du 1er février 2021, la République populaire n’a pas mis les petits plats dans les grands. Le général Min Aung Hlaing n’en a certainement pas moins goûté le moment. Il a pu afficher urbi et orbi qu’il a toute sa place parmi les plus hauts responsables de l’Asie du sud-est continentale, tous au moins les chefs de gouvernement à défaut de se voir associer aux chefs d’État. Il a pu leur exposer ses vues sur son projet électoral de 2025 voire ses attentes vis-à-vis des groupes armés pour un retour à la paix civile, en particulier en demandant aux Kokangs (MNDAA), aux Palaungs (TNLA) et aux Rakhines (AA) de ses plier à ses vues. Mais les premiers ministres cambodgien, laotien, thaïlandais et vietnamien n’étant pas à une contradiction près, ils ont accepté de s’afficher au côté du patron du SAC, la même personne qu’ils empêchent pourtant de siéger aux sommets de l’ASEAN où seul un représentant non-politique de la Birmanie est convié depuis trois ans.
Certes, Bangkok, Hanoï, Phnom Penh et Vientiane se montrent depuis plusieurs années moins ostracisant vis-à-vis du patron de la Tatmadaw que les cinq autres capitales de l’association régionale mais elles ont contrevenu à Kunming à la sacro-sainte unité de l’ASEAN. Toutes choses égales par ailleurs, elles aspirent à établir un relationnel de confiance avec le cœur du pouvoir de Nay Pyi Taw mais avec un homme qui n’entend jusqu’ici céder aucune once de son pouvoir conquis par la force. Le général Min Aung Hlaing et ceux qui l’entourent ne souhaitent pas mettre en œuvre les 5 points de consensus édictés en présence des pairs aseaniens en avril 2021. Pas sûr que cette démarche « bienveillante » des pays de la région du grand Mékong ouvre la voie à une quelconque conciliation !
En soulignant combien l’ASEAN se divise en deux blocs sur le dossier birman, cela n’aide en rien la présidence malaisienne qui prendra son tour pour un an le 1er janvier 2025. La présidence laotienne en cours n’en sort pas non plus grandie. D’ailleurs Vientiane aurait dû organiser sur son sol le 10ème sommet de l’ACMECS. Cela avait été arrêté très officiellement par les États-membres le 9 décembre 2020. Son gouvernement n’a été en rien à la manœuvre ayant conduit le général Min Aung Hlaing à Kunming. Pire, les pays de l’ASEAN présents laissent transparaître l’idée qu’ils s’en remettent de plus en plus à la Chine pour trouver une solution négociée à la crise birmane. Pas sûr que les intérêts de l’ASEAN, à commencer par ceux des États immédiatement riverains de la Birmanie (Laos, Thaïlande), convergent totalement avec ceux de la Chine.
Si la visite chinoise du général Min Aung Hlaing a eu un fort relent multilatéral, elle a eu également pour objectif d’attirer de nouveaux acteurs économiques. Certes, il ne s’agit pas de leur vanter les atours des États Kachin et Shan. Le général Min Aung Hlaing a d’ailleurs dit tout le bien qu’il pensait du verrouillage de la frontière avec le Yunnan, exigeant même de pouvoir reprendre le contrôle des postes frontières tombés aux mains de ses adversaires depuis la fin de l’année dernière. Une attente qu’il avait d’ailleurs exprimé au Conseiller d’Etat Wang Yi quand celui-ci avait fait une étape surprise à Nay Pyi Taw, dix jours à peine après la prise de la ville de Lashio. Se plaçant en garant du droit, le général Min Aung Hlaing a dénoncé le commerce transfrontalier illégal, y voyant un pilier à abattre des groupes insurgés.
Le voyage en Chine aura également été vu comme une manière de redorer le blason économique du régime militaire
Accompagné de ses ministres des relations économiques extérieures, le Dr Kan Zaw, et de l’énergie, U Ko Ko Lwin, le leader de la junte n’a toutefois pas évoqué les grands axes de sa politique économique, les réformes qu’il souhaiterait engager. Il s’est simplement contenté d’évoquer les secteurs où il souhaiterait une assistance chinoise. En matière monétaire, il a dénoncé les sanctions financières occidentales pour se faire le chantre d’échanges kyat-yuan, kyat-baht et kyat-rupee, ce qui est un peu juste au regard de la crise bancaire qui frappe le pays. Sur les infrastructures, il s’est montré taiseux, se limitant à mentionner le projet ferroviaire devant relier Muse à Kyaukpyu via Mandalay.
Mais en précisant qu’il commencera « là où ce sera possible », le général Min Aung Hlaing a énoncé des propos bien peu rassurants. De manière générale, le commandant-en-chef de l’armée en est resté à des formules très générales, vantant les ressources nationales en bambou et en caoutchouc, le potentiel touristique, les besoins en produits pharmaceutiques, en engrais et en ciment, ou encore les espaces disponibles pour produire du coton. Trop de généralités pour constituer un discours à même de convaincre des communautés d’affaires, birmanes et étrangères, déjà dans le doute quant à l’avenir macroéconomique de la République de l’Union du Myanmar.
François Guilbert
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