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BIRMANIE – CONFLIT : Les Was, à la conquête de nouveaux territoires

Date de publication : 22/07/2024
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UWSA

 

Une chronique géopolitique de François Guilbert

 

Si depuis novembre 2023 l’Alliance des trois fraternités (3BA), sous la conduite principalement de l’Armée de libération nationale Ta’ang (TNLA) et de l’Alliance nationale démocratique de Birmanie (MNDAA), mène la vie dure en pays shan à l’armée du général Min Aung Hlaing, les Was semblaient, eux, se tenir à distance des conflits armés.

 

L’apparence était peut-être très trompeuse. En effet, à Nay Pyi Taw, on suspecte, depuis des mois, l’Armée unie de l’Etat Wa (UWSA) d’approvisionner en armes et en munitions les réseaux de résistance qu’ils appartiennent aux groupes ethniques insurgés ou à ceux nés du côté bamar depuis le coup d’État de février 2021.

 

On la soupçonne également de fournir un soutien hospitalier aux guérilléros blessés, de la logistique à ceux qui participent à l’opération 1027 et de la formation militaire aux jeunes révolutionnaires. Néanmoins, jusqu’ici les troupes was n’étaient guère sortie physiquement de leurs bastions bien que cela soit devenu plus fréquent en 2024 (février, juin). Somme toute, elles ne cherchaient manifestement pas à profiter avec de grandes ambitions de l’affaiblissement de la Tatmadaw dans tout le nord de l’Etat Shan.

 

Dans ces circonstances, la junte s’est montrée peu réactive aux activités de soutien wa aux ennemis des putschistes Elle n’a pas envenimé ses relations avec l’UWSA. Très concrètement, elle n’a pas attaqué ou bombardé ses infrastructures civiles et/ou militaires. Elle n’a même pas dénoncé avec ostentation ses complicités guerrières et cherché à contrecarrer militairement ses solidarités. Une prudence orale et comportementale qui visait en réalité à ne pas froisser une entité militairement puissante, crainte, capable de se projeter en nombre et historiquement liée la République populaire de Chine, son parti communiste ou encore ses forces armées.

 

L’armée wa a néanmoins décidé de passer à l’action

 

Depuis le début du mois de juillet 2024, la situation a bien changé. Avec les hommes du Parti progressiste de l’État Shan (SSPP), l’UWSA s’est mise en mouvement. Plus de 5 000 soldats sont sortis de leurs casernes et ont été engagés sur le terrain. Sur le plan tactique, l’armée wa semble avoir pour objectif de limiter voire stopper les avancées des combattants de la TNLA vers le sud de l’État Shan. Toutefois, cette action d’obstruction si elle s’est traduite par des escarmouches, elle n’a pas provoqué un véritable embrassement entre les groupes armés. Les parties au conflit se sont d’ailleurs rapidement retrouvées sous l’égide du Comité fédéral de conciliation politique (FPNCC) le 13 juillet à Pangkham à la frontière chinoise pour des pourparlers de désescalade ; avec succès semble-t-il.

 

Il n’en demeure pas moins que l’UWSA se déploie désormais bien au-delà de sa région autonome de Kokang. Ses unités se sont introduites jusqu’au sud de la ville de Lashio assiégée par la 3BA. Un glissement territorial qui s’est toutefois fait sans coup férir. Certes, l’UWSA est l’un des groupes armés les plus puissants de Birmanie, avec un effectif sous son drapeau de 20 à 30 000 personnels en armes, des bataillons « frais » puisqu’ils n’ont eu sérieusement à combattre personne ces trois dernières années et bien dotés en armements modernes mais la campagne militaire en cours est d’autant plus aisée qu’elle bénéficie du repli des bataillons commandés par les généraux du Conseil de l’administration de l’État (SAC). Elle tire aussi avantage d’une influence et d’une attractivité croissante entretenue depuis deux ans de l’UWSA à la périphérie de ses terroirs.

 

L’UWSA, un facteur de stabilité pour l’État Shan ?

 

A la vérité, après avoir aidé la Tatmadaw à se replier sous les coups de butoir de l’Armée de l’Alliance nationale démocratique de Birmanie, l’UWSA prend aujourd’hui la place territoriale de la junte avec l’assentiment tacite des putschistes qui ont renversé le gouvernement de Daw Aung San Suu Kyi. L’armée wa apparaît dans ce contexte de plus en plus centrale dans la gestion des rapports de force politico-militaires dans l’État Shan. Chacun doit compter avec elle. En s’interposant entre la TNLA et le SSPP, de facto, elle prévient de nouveaux affrontements intercommunautaires. En prenant la place des casernements de la Tatmadaw, elle permet au commandement du nord-est du SAC de ne pas connaître immédiatement de nouvelles déconvenues militaires graves face à la 3BA.

 

En réfrénant les ambitions de la MNDAA, elle fragilise les synergies opérationnelles de l’Alliance des trois fraternités qui furent clés dans les succès fulgurants des opérations conjointes lancées le 27 octobre 2023. Quant à l’installation des soldats de l’UWSA à l’ouest des rivages de la Salween, elle lui offre de nouvelles sources de revenus liés à la gestion du cours du fleuve tout en sécurisant l’un des derniers axes routiers terrestres reliant les territoires sous le contrôle du SAC à la province chinoise du Yunnan.

 

Toute la recomposition politico-militaire territoriale en cours dans l’Etat Shan offre en sus de la légitimité à la direction de l’UWSA qui s’est installée au pouvoir au cours de l’année écoulée. Reste à savoir si son action est inspirée de l’extérieur et d’un mentor chinois qui s’inquiète de la dégradation sécuritaire à ses frontières ! En attendant d’avoir une claire réponse à cette interrogation, à Pékin, on ne peut que se satisfaire de la décision de la MNDAA de suspendre son offensive du 19 au 31 juillet.

 

Certes, la Chine peine à imposer un nouveau cessez-le-feu aux groupes shans agissant à ses confins mais au moins l’un d’entre eux se montre aujourd’hui officiellement moins belliciste que les autres en adoptant en quelques jours une deuxième suspension des hostilités et n’en cachant pas que c’est pour complaire à la République populaire. N’oublions pas en effet que la MNDAA a présenté sa pause opérationnelle du 14 au 18 juillet comme ayant étant liée à la réunion concomitante du 3èmeplénum du XXème Comité central du Parti communiste chinois.

 

Si les nationalistes Kokangs se montrent explicitement à l’écoute de leurs « protecteurs » chinois, cela n’empêche pas la Tatmadaw de poursuivre ses actions terrestres et aériennes contre eux et leurs alliés. En conséquence, cela n’augure rien de très rassurant pour l’avenir de la stabilité de l’État Shan, au nord comme au sud. Le SAC cherche coûte que coûte à garder le contrôle de la ville de Lashio mais c’est au prix d’enkyster à sa périphérie une administration des territoires confiée à l’UWSA et au SSPP. Un morcellement politico-militaire de plus de la république birmane !

 

François Guilbert

 

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