Depuis le 23 mars 2020, date de l’apparition des premiers cas de COVID-19 en Birmanie, l’État Rakhine et la région de Rangoun ont dénombré 87,3 % des cas enregistrés dans tout le pays. Triste record, la région du sud-ouest dénombre depuis les derniers jours d’août parmi ses 3,2 millions d’habitants le plus grand nombre de malades. Explications de notre analyste François Guilbert.
Avec 361 personnes porteuses du virus, l’Etat Rakhine (6,2 % de la population nationale), c’est 45,9 % des cas de coronavirus. Une situation qui depuis le 16 août ne cesse d’être toujours plus préoccupante, en particulier pour la région chef-lieu de l’État. Au 31 août, 51 % des cas déclarés concernaient des habitants de Sittwe. Non seulement 184 résidents sont sous surveillance médicale mais c’est près de 600 personnes qui sont dorénavant en quarantaine dans 13 établissements et 4 hôtels. Dans ce contexte, les besoins médicaux se font de plus en plus pressants.
L’université de Sittwe transformée en hôpital
En une semaine, Nay Pyi Taw a dû dépêcher sur place deux équipes de renfort. Il semble qu’il faille maintenant aller plus loin encore. Les autorités rakhines ont fait savoir qu’elles se prépareraient à transformer l’université de Sittwe en hôpital voire à utiliser d’un point de vue clinique le bâtiment du parlement régional si nécessaire. Pour le gouvernement, la situation n’en est pas encore au stade où il lui faille faire appel aux moyens de l’armée. Il est vrai que celle-ci s’occupe de son côté de ses propres personnels. Mais dorénavant, c’est tout l’Etat Rakhine qui vit une situation de crise. 15 des 17 townships (1) ont au moins un cas de COVID-19 comptabilisé par le ministère de la Santé et des Sports. Le choc dans l’opinion publique, locale et nationale, est aujourd’hui d’autant plus grand que pendant les premières semaines de la pandémie l’Etat Rakhine ne fut nullement touché.
Éviter une panique générale
Il fallut en effet attendre le 18 mai pour qu’un homme de 35 ans revenant de Malaisie soit déclaré positif dans le township de Thandwe et devienne le cas dit numéro 188. La situation présente n’en doit pas être moins gérée avec beaucoup de doigtée. D’un côté, il convient d’éviter une panique générale et la stigmatisation des populations rakhines. De l’autre, il faut expliquer que la poussée de COVID-19 n’est pas l’expression d’une propagande orchestrée par le gouvernement pour effrayer les gens de l’ethnie Rakhine qui vivent dans un État multiethnique déchiré par les conflits. La gestion de la crise est d’autant plus délicate que les dolents sont pour la plupart asymptomatiques. Phénomène nouveau en outre, ils ont probablement été infectés localement. Autrement dit, la Birmanie ne semble plus exposée à quelques cas d’individus revenant de l’étranger (ex. Bangladesh, Inde, Malaisie, Thaïlande,..) mais bien à des transmissions plus localisées (ex. le marché de Sittwe).
Inquiétude humanitaire
Cette situation nouvelle préoccupe les acteurs humanitaires d’autant qu’ils doivent déjà faire à des centaines de milliers de personnes regroupées dans des camps de fortune du fait des violences intercommunautaires passées ou des combats opposant depuis deux ans les insurgés de l’Arakan Army à l’armée régulière (Tatmadaw). Personnels des agences des Nations unies ou responsables d’organisations non gouvernementales vont devoir se protéger eux-mêmes (2), tout en veillant à la sécurité sanitaire des déplacés. Pour contenir la propagation de la maladie, le gouvernement central confine l’État tout entier. Les liaisons aériennes vers Rangoun ont été rompues. Un couvre-feu de 9h00 du soir à 04h00 du matin a été instauré. Les écoles ont été refermées pour au moins plusieurs semaines. Les familles sont appelées à rester à demeure. Une seule personne par foyer est autorisée à sortir pour faire les courses, seuls les magasins « essentiels » sont autorisés à ouvrir. Quant aux personnes qui seront surprises à tousser sans masque dans la rue, elles encourent des amendes de 1 000 kyats. Les voyageurs s’étant eux rendu, depuis le 10 août, dans un des townships où un cas a été déclaré ils leur appartient de se déclarer immédiatement auprès des autorités sanitaires.
Renforcement des contrôles
Aux frontières de l’État, dans les régions de l’Ayeyawady, Bago et Magway, les contrôles des personnes ont été renforcés afin que personne ne puisse fuir des mesures de confinement appelées à se prolonger pendant deux mois. Les noms des personnes ayant récemment voyagé par avion ont même été publiés dans les quotidiens nationaux le week-end dernier pour s’assurer qu’ils respectent scrupuleusement la quarantaine qui s’impose dorénavant à eux. Mais au-delà des mesures administratives, l’État doit faire face à une situation économique et sociale dégradée dans une des régions les plus pauvres de la Birmanie. Afin d’éviter à très court terme des ruptures d’approvisionnements, vendredi, comme s’y était engagée Daw aung San Suu Kyi auprès du Chief Minister (gouverneur) dans une visioconférence largement retransmise, un premier chargement de 250 tonnes de riz et 250 tonnes d’huile de cuisine a quitté le port de Rangoun pour l’État Rakhine. Pour venir en aide aux plus démunis, le gouvernement régional a lui fournis la semaine dernière une aide exceptionnelle en espèces. 20 000 kyats (15 USD) ont été remis à plus de 29 000 familles qui n’ont pas de revenu régulier dans le centre-ville de Sittwe, selon le porte-parole du gouvernement de l’État et ministre des Affaires municipales, U Myint Win. Ces mesures généreuses vont devoir être entretenues dans le temps et sans distinction d’ethnicité ou de religion. Une attente dont la Conseillère pour l’État et prix de Nobel de paix a bien conscience.
Aung San Suu Kyi rejette les discriminations
Lors d’une allocution télévisée au pays lundi dernier, Daw Aung San Suu Kyi a promis qu’il n’y aurait pas de discrimination fondée sur la foi ou l’appartenance ethnique dans la lutte du gouvernement contre la COVID-19 dans l’État de Rakhine. Une politique qui sera suivie, dans sa mise en œuvre, avec beaucoup d’attention par la communauté internationale. Cette dernière, trois après les violences qui ont conduit plus de 700 000 personnes à trouver refuge au Bangladesh, continue d’accorder la plus grande attention à l’État Rakhine et la situation politico-humanitaire de ses habitants. Sur le plan de la politique intérieure, les dispositions adoptées sont d’autant plus contraignantes que le gouvernement veut se prémunir, coûte que coûte, d’une pandémie nationale à la veille des élections générales du 8 novembre. Mais pour l’heure, aucune des 13 formations politiques qui concourront aux scrutins dans l’Etat Rakhine ne demande un report de la votation mais il sera bien difficile dans de telles conditions de mener campagne à partir de son lancement officiel le 8 septembre. Dans 68 jours, ce sont 1,64 million d’électeurs qui seront appelés à choisir dans les urnes leurs élus régionaux et nationaux dans pas moins de 2 600 bureaux de vote. A l’échelle nationale, ce sont 6 899 candidats appartenant à 92 partis politiques qui s’apprêtent à se lancer dans la course électorale et qui pourraient bien arguer de la situation Rakhine dans leurs batailles politiques.
François Guilbert
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