Depuis des mois circulait l’idée parmi les spécialistes des questions de défense de la région Indo-Pacifique que la Birmanie était en train de chercher à se doter d’un sous-marin à propulsion classique. C’est chose faite maintenant avec la plus grande certitude. Le 15 octobre 2020, le General Min Aung Hlaing a présenté au monde l’engin acquis en présidant une manœuvre interarmées de la Tatmadaw, où pour la première fois est apparue le navire tant attendu. Dénommé Minyetheinkhathu, il s’agit d’une plateforme Kilo de 3000 tonnes livrée par les Soviétiques à l’Inde en 1988.
Avant de changer de pavillon, le bâtiment a été officiellement rénové par le chantier naval Hindustan Shipyard Limited. Cette révision – modernisation, dont on ne connaît pas les tenants et aboutissants, devrait permettre à Nay Pyi Taw de disposer d’une capacité sous-marine jusqu’à l’horizon 2035. Toutefois, aussi spectaculaire soit cette livraison, elle ne devrait pas changer, à court terme, les grands équilibres militaires aux confins de l’Asie du Sud et du Sud-Est.
Soixante marins embarqués
Dans les années qui viennent, la soixantaine de marins embarquée va d’abord continuer apprendre à naviguer, se familiariser avec des fonds marins à cartographier et à opérer avec d’autres éléments de la flotte birmane. Mais force est de constater que, peu à peu, les Birmans se dotent d’une véritable marine de haute mer et le chef de l’armée ne cache pas que telle est son ambition. Une première dans l’histoire du pays ! Il est vrai que la Birmanie était jusqu’ici la seule nation du pourtour du golfe du Bengale et de la mer d’Andaman à ne pas être dotée d’un ou plusieurs sous-marins, alors que les autres pays de la région ont constitué de telles capacités avec l’aide de la Russie, de la Chine mais aussi la France (Inde, Malaisie), même si l’on peut douter des capacités opérationnelles de certaines marines.
Dans le cas birman, il est d’autant plus difficile de se faire une idée du plus opérationnel de cette acquisition que l’état-major s’est bien gardé de préciser les armements embarqués et les missions qui pourraient être confiées à cette unité, encore bien faible pour faire face à un adversaire exercé et disposant d’un groupe de combat autour de son sous-marin.
Sous marin stationné à Thanintharyi
Le port d’attache reste lui aussi incertain. Bien que les Indiens aient été intéressés à la modernisation du port de Sittwe dans l’État Rakhine (Arakan), il semble que le submersible sera stationné plus à l’est, dans la région du Thanintharyi, non loin des eaux thaïlandaises. En décembre dernier, le chef d’état-major thaïlandais disait, devant la presse, suivre avec attention un tel projet de déploiement. En tout cas, le commandant-en-chef de l’armée birmane ne cache pas, lui, souhaiter consolider l’outil de sa défense en acquérant d’autres sous-marins et entraîner son armée avec celles de la région.
Si la Russie bénéficie depuis quelques années d’un accord d’escales pour ses navires de la flotte du Pacifique, ils viennent trop peu souvent dans cette partie de l’océan Indien pour constituer un partenaire très structurant. Il est probable qu’une fois encore ce soit vers l’Inde que Nay Pyi Taw se tournera. Le général Min Aung Hlaing a reçu, début octobre, le secrétaire d’État aux affaires étrangères, Harsh Shringla, et le chef de l’armée indienne, le général MM Naravane, pour évoquer l’ensemble d’une coopération de défense qui court de la lutte contre les insurgés nagas, à la sécurisation de la rivière Kalandan en passant par la lutte anti-terroriste, sans oublier évidemment les approvisionnements en armements, en particulier pour l’armée de terre.
Si la dimension matérielle de la coopération est d’importance, le général Min Aung Hlaing semble attacher une importance toute particulière aux ressources humaines et à leur nécessaire montée en gamme. Une nécessité qu’il souligne aux journalistes étrangers qui l’interrogent comme à ses interlocuteurs étrangers. C’est pourquoi, il est très attaché aux formations que peuvent offrir les Russes notamment pour ses pilotes d’avions de combat et d’hélicoptères mais également pour ses marins dont il n’a pas hésité à porter l’uniforme lors de la manœuvre « Fleet Exercise-2020 ». A ce titre, un exercice multinational comme celui conduit avec l’Inde l’année dernière dans le golfe du Bengale (IMNEX-2019) peut concourir à la modernisation d’une armée aux insuffisances opérationnelles et éthiques très nombreuses.
D’autres partenariats avec les Etats-membres de l’ASEAN, et en premier lieu Singapour et le Vietnam, peuvent apporter d’utiles compléments en attendant que s’intensifient, peut-être, de nouvelles relations avec les États-Unis alors que leurs rivalités avec la Chine ne cessent de grandir dans l’océan Indien. Une chose est sûre, en matière économique comme de défense, les militaires birmans ne veulent pas se retrouver seuls en tête-à-tête avec l’Armée populaire de libération chinoise et Pékin.
François Guilbert
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