Un chroniqueur de talent sait revenir sur ses écrits précédents et les revisiter à l’aune de l’actualité. C’est le cas de notre ami Yves Carmona qui redoutait la loi du silence en Birmanie après le coup d’État militaire du 1er février. Depuis, le peuple birman est resté debout face à l’armée. Voici ses conclusions…
Une chronique d’Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal
Que faire en Birmanie ? L’auteur de ces lignes l’a déjà écrit début février et malheureusement la réalité ne l’a pas démenti : l’armée birmane a la situation bien en main malgré les manifs héroïques qui se déroulent dans plusieurs grandes villes de Birmanie.
Le mouvement en faveur d’élections libres avec comme porte-drapeau Aung Sang Suu Kyi (ASSK), déjà icône en 1988 et au pouvoir de 2016 à aujourd’hui, s’est amplifié et, malheureusement, le sang a coulé. On ne sait pas combien sont tombés et combien vont tomber, victimes des balles d’abord censées être non-létales mais de plus en plus à balles réelles. Le mouvement de désobéissance civile s’est étendu à une bonne partie des grandes villes – Naypitaw, Rangoon et Mandalay sont citées.
Déclarations de soutien
Tous les pays ont publié des déclarations soutenant les manifestants. Même la Chine, sans aller jusque là, a indiqué que le pouvoir de l’armée birmane devait éviter les affrontements inutiles. Comme on pouvait s’y attendre, elle joue double jeu car ses intérêts – elle est un des principaux fournisseurs d’armes à la junte – sont là. Elle a refusé depuis le début de la crise de condamner la junte militaire et a bloqué une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies visant à condamner le coup d’État militaire.
Les autres puissances rapatrient leurs ressortissants, plus ou moins nombreux selon les pays (on parle de plus de 400 entreprises japonaises et la France, avec Total, a toujours veillé à garder un contact ouvert avec les militaires). L’administration Biden, à travers le secrétaire d’État Blinken, se montre particulièrement vocale.
Mais la question que tous se posent est de savoir si ces puissances iront jusqu’à faire usage de leurs troupes pour chasser la junte au pouvoir.
Volonté américaine
Pour certaines, l’absence d’armée ou le fait qu’elle est lointaine rendent l’hypothèse peu ou pas crédible. Pour d’autres, notamment les États-Unis, l’instrument militaire est redoutable mais le nouveau Président américain ira-t-il jusque là ?
Quant aux Rohingyas, leur attitude est restée ambigüe, une partie au moins d’entre eux se refusant à voir en ASSK, qui ne les a pas défendus quand elle était au pouvoir, la défenseure des droits humains qu’on pouvait espérer.
Si l’on pense à une sortie de crise, les hypothèses sont nombreuses. Le général Min Aung Hlaing, au pouvoir aujourd’hui, pourrait-il être remplacé par un autre militaire ou par un civil mieux contrôlé ?
Il faut en tout cas souhaiter qu’un bain de sang soit évité car dans un pays où la Covid a aggravé la situation, surtout pour les 60% du peuple birman qui a basculé dans la pauvreté, les problèmes économiques sont prioritaires.
On n’a pas fini de voir se développer dans les pays prospères comme Singapour dans les années 2008 une véritable « Rangoon town » où les forces vives de Birmanie ont montré toute leur agilité en même temps que ce pays, adepte d’une économie prospère, accueillait dans ses hôpitaux les généraux birmans qui, déjà, avaient le pouvoir et les moyens financiers nécessaires.