Dans un pays où les exactions contre les civils ne cessent d’être perpétrées, la dernière ordonnance de la Cour internationale de justice (CIJ) du 6 avril 2023 enjoignant la Birmanie de respecter ses obligations est passée inaperçue. Il y avait pourtant bien des raisons de la commenter affirme notre collaborateur François Guilbert.
Cette ordonnance constitue en effet, une fois encore, un rappel à l’ordre juridique international mais elle est également un énième camouflet politico-juridique et, pour tout dire, une nouvelle déconvenue diplomatique pour la junte parvenue au pouvoir par la force en février 2021.
Dans la perspective de la remise à la fin du mois d’avril du contre-mémoire qu’il doit produire en réponse aux accusations de violations de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide présentées par la Gambie avec le soutien de l’Organisation de Coopération Islamique, le régime du général Min Aung Hlaing a essayé de gagner du temps pour se soustraire au calendrier de ses juges. En toute discrétion, il a saisi La Haye d’une demande de report de son obligation de réponse. A cette fin, il a fait parvenir un courrier le 14 mars 2023 avec ses arguments. Selon les responsables du Conseil d’administration de l’État (SAC), ses experts et fonctionnaires ont besoin de plus de temps pour préparer, de manière complète et documentée, leur exposé. A leurs yeux, ils seraient utiles de bénéficier d’un délai de grâce jusqu’au 24 février 2024.
Le 6 avril, les magistrats internationaux ont décidé de ne pas accorder les dix mois demandés. En droit et en pratique, ils ont donné raison à Banjul. Dès le 21 mars, la capitale gambienne s’est en effet opposée par courrier à la manœuvre dilatoire de Nay Pyi Taw. Certes, les pièces d’accusation contre l’État birman constituent un corpus volumineux, plus de 500 pages, mais la Birmanie a eu, depuis des mois, le temps de préparer sa réponse. Dans les faits, elle a même disposé de trois fois plus de temps pour sa défense que la partie adversaire pour constituer son dossier d’accusation.
Si la CIJ a bien voulu accorder un mois de sursis à la remise du rapport au nom de l’Union du Myanmar, elle n’a pas suivi les arguments avancés par l’équipe politico-administrative constituée autour du ministre des Affaires étrangères du SAC. Sans rappeler que ce sont les mêmes généraux responsables des violences de masse de 2017 contre les Rohingyas qui, aujourd’hui, cherchent à retarder le plus possible l’heure du jugement de leur pays, la présidente Joan E. Donoghue n’a pas considéré recevable le raisonnement avancé par les officiels pro-SAC. Plusieurs de leurs arguments étaient, il est vrai, pour le moins fallacieux. Au premier rang d’entre eux, l’entrave qu’aurait constituée « la mise en place d’un nouveau gouvernement en février 2021 » ; jolie figure de style pour parler du putsch qui a renversé voici 26 mois le gouvernement civil élu et dont la Conseillère pour l’État était venue, elle-même fin 2019, dans la capitale néerlandaise portée la contradiction à la procédure intentée pour le compte de l’OCI.
Autre argutie hypocrite mise en avant par le SAC, la surcharge de travail d’une administration aux ressources limitées.
Certes, Nay Pyi Taw s’est mis dans la situation de devoir soumettre des rapports semestriels sur la mise en œuvre des mesures conservatoires indiquées par la Cour mais de là à affirmer que cela « grève déjà grandement ses ressources », il ne faudrait pas exagérer. La charge de travail induite pour la rédaction d’un rapport détaillant semestriellement les mesures prises pour protéger la population rohingya, pour une administration d’un pays de la taille de la Birmanie et pour un appareil d’État qui est tout sauf hypertrophié, n’est pas démesurée. Loin s’en faut ! Quant à exciper les contraintes posées par les règles de la lutte contre la pandémie de COVID-19 pour ne pas avoir pu accéder aux témoins, cela frise le ridicule car il y a bien longtemps que le SAC ne se montre plus soucieux de leur application à l’échelle de tout le pays.
Mais en ayant un dossier aussi peu convaincant pour obtenir la bienveillance de la CIJ, pourquoi diantre le SAC a-t-il sollicité une mesure dérogatoire à l’obtention si incertaine ?
Faute d’explication officielle, on peut avancer deux explications. La première relève de l’ordonnancement du pouvoir. Dorénavant, le ministre en charge de la coordination des réponses à la CIJ est U Than Swe. Le détenteur du portefeuille des Affaires étrangères depuis le 1er février 2023 pilote, seulement depuis le début avril, l’équipe juridique interministérielle de 14 membres. On peut penser qu’il a besoin de temps pour bien mesurer toutes les conséquences judiciaires et politiques que pourra avoir le contre-mémoire attendu. Il faut être prévoyant car ses éléments pourront se voir réemployés devant d’autres juridictions que la CIJ, à commencer par la Cour pénale internationale où se sont des personnes et non plus l’État qui seront susceptibles d’être poursuivies et condamnées. Une épée de Damoclès suspendue depuis longtemps au-dessus de la tête du général Min Aung Hlaing et qui n’est, peut-être, pas totalement étrangère à l’une des origines du pronunciamiento de février 2021.
François Guilbert
On verra ça.