Les ministres des Affaires étrangères et du développement du G-7 réunis à Londres le 5 mai se sont exprimés une nouvelle fois sur la Birmanie. Contrairement à leurs homologues de l’ASEAN le mois dernier, ils ont redit haut et fort que le régime mis en place le 1er février 2021 par le général Min Aung Hlaing est le fruit d’un coup d’État et qu’il s’est traduit par la mise en place d’une véritable junte militaire.
Une analyse de François Guilbert
Les responsabilités premières de la Tatmadaw et de la police dans les exactions contre les manifestants, les opposants et tous ceux qui ont de la sympathie pour eux ont également été soulignée sans la moindre ambigüité, voire parfois dans le détail. Il a ainsi été demandé aux soldats de respecter les installations médicales et les personnels de santé. Il est vrai que l’appareil de répression n’a pas hésité à stationner ses hommes dans les hôpitaux, à s’approprier sans raison particulière des équipements de soins et à malmener y compris jusqu’à mort s’en suive des soignants des secteurs publics et privés.
Un langage peu diplomatique
Contrairement au langage diplomatique employé le 24 avril dans le communiqué du sommet de l’ASEAN à Jakarta, dans la capitale britannique il n’y a pas eu de contorsions de langage pour tenter de faire porter le poids des événements sanglants sur les manifestants et leurs soutiens. Les violences sont le fait des forces de sécurité ont proclamé les ministres réunis autour de Dominic Raab. Et si l’armée ne change pas d’attitude, de nouvelles mesures à leurs encontre seront prises par les pays du G-7. Celles-ci n’ont pas été détaillées mais sous-entendues. Elles viseront à ce que les personnes responsables des violations de droits de l’Homme rendent des comptes devant la justice internationale. Elles seront aussi susceptibles de frapper les ressources financières de l’armée voire les familles et enfants des leaders en uniforme.
Mission de médiation de l’ASEAN
En attendant cette nouvelle incrémentation des pressions, les chefs des diplomaties du G-7 ont rappelé leurs trois attentes primordiales (fin immédiate de l’état d’urgence, restauration du gouvernement élu, libération de toutes les personnes arbitrairement détenues) pour une sortie de crise négociée et sans plus d’effusions de sang. Dans cette perspective, ils veulent croire en une mission de médiation de l’ASEAN et entendent l’appuyer autant que possible, tout comme celle conduite par l’Envoyée spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, Christine Schraner Burgener. Cependant, plus de deux semaines après le sommet de Jakarta, elle tarde à se mettre concrètement en place et à définir son ordre de marche. Le ou les Envoyés spéciaux de la présidence brunéienne ne sont toujours pas officiellement désignés. Ils n’ont donc pas entamé leurs travaux. Quant au calendrier de mise en œuvre des cinq points de consensus agréés par les chefs d’État et de gouvernement d’Asie du sud-est, il est toujours dans les limbes.
Entrer en contact avec toutes les parties
La perspective d’une mission diplomatique de conciliation à Nay Pyi Taw n’est pas envisagée à Bandar Seri Begawan et Jakarta avant la fin du Ramadan. A supposer que le pouvoir exécutif birman donne son accord, ce qu’il dit ne vouloir envisager qu’une fois le pays ayant retrouvé sa « stabilité », il paraît donc peu probable que les émissaires désignés par le sultan Hassanal Bolkiah soient sur le sol birman avant la fin mai. Une fois réglée la question du calendrier encore faudra-t-il que ces derniers se trouvent en situation d’entrer en contacts avec toutes les parties prenantes à la crise. Rien de moins sûr ! Compte tenu de cette incertitude, les dirigeants du G-7 ont voulu mettre les points sur les i. Il ne saurait y avoir de solution pacificatrice et durable sans l’association de « toutes les personnes qui défendent une démocratie inclusive et agissent en ce sens, notamment les membres du Comité représentant le Parlement de l’Union (CRPH) et d’autres dirigeants favorables à la démocratie, ainsi que les membres du Gouvernement d’unité nationale (NUG), du mouvement de désobéissance civile et d’autres personnes », le dernier considérant visant à prendre en compte les groupes ethniques armés.
Complexité birmane
La formulation employée par les ministres du G-7 pour énumérer tous les acteurs indispensables nous remémore la complexité de l’espace politique birman. Une ambition pas si aisée à mettre en œuvre au regard du nombre de parties prenantes ou quand il s’agit d’associer une mouvance comme celle de la désobéissance civile (DCM), n’ayant pas à proprement parlé de leaders. La démarche montre aussi l’attachement des pays occidentaux et du Japon aux enceintes politiques nées du fait du coup d’État militaire (CRPH, NUG) et les crédits politiques qu’ont su gagner ces instances nouvelles en quelques semaines alors qu’elles opèrent dans la clandestinité ou depuis des pays tiers. Si les ministres du G-7 n’ont pas ouvert à proprement parler la voie à une reconnaissance juridique du Gouvernement d’unité nationale en en faisant la seule institution dépositaire de la légitimité du pays, ils n’en soulignent pas moins son caractère incontournable, toute comme d’ailleurs la plateforme parlementaire instituée par les élus du 8 novembre 2020 (CRPH). Face à cette expression politique et diplomatique explicite du G-7, le général Min Aung Hlaing et ses affidés répondent par la surenchère et, au fond à ce stade, par une fin de non-recevoir.
Solution multipartite
Ayant déjà refusé de facto la venue prochaine des émissaires aseaniens 48 heures à peine après le sommet de Jakarta ait édicté les 5 points de consensus ; c’est trois jours après le message du G-7 que les autorités militaires ont fait connaître leur « réponse » sur la manière dont une partie de la communauté internationale aborde une solution politique multipartite. Pour eux, les choses sont simples : il n’existe qu’un seul acteur sur la scène birmane, le Conseil d’administration de l’Etat (SAC). Pour que les choses soient entendues encore plus clairement, le CRPH, le NUG et le mouvement de désobéissance civile ne sont ni des partenaires possibles aujourd’hui, ni pour ou demain. Afin de fermer toute perspective en la matière, le 8 mai ces structures politiques sont passées du statut d’éléments illégaux à celui de « groupes terroristes ». Il ne peut être nié plus brutalement leur statut de partenaires de dialogue et construction de la paix ou d’un chemin vers le retour à la transition démocratique. Dorénavant, urbi et orbi, la junte les accuse d’être des instigateurs d’attentats à la bombe, d’incendies criminels, d’assassinats ciblés et d’intimidations à l’endroit de l’appareil d’État et de ses agents. Pour donner un semblant de base légale à cette affirmation tonitruante, la décision a été prise par le Comité central anti-terroriste (notification n°2) sous la présidence exécutive du ministre de l’Intérieur, l’un des chefs les plus influents de la Tatmadaw et en accord avec le SAC, autrement dit avec l’agrément du général Min Aung Hlaing lui-même.
Le qualificatif de «terroriste»
Le qualificatif infamant de terroriste adossé aux opposants au putsch s’inscrit dans la stratégie de délégitimation de toute forme d’opposition et de refus de tout dialogue avec des tierces parties. Le 11 mars 2021, le Conseil d’administration de l’État, l’organe exécutif du pouvoir militaire, avait pourtant pris le contrepied d’une telle démarche en retirant l’Arakan Army (AA) de la liste des groupes terroristes entérinée un an plus tôt par le gouvernement civil ( 2 ), laissant espérer un cheminement plus irénique pour le nord de l’Etat Rakhine. En adoptant une posture de non-dialogue à l’échelle nationale, le commandant-en- chef des services de défense nourrit les risques grandissant d’une guerre civile d’ampleur sur une large partie du territoire birman.
Pour donner plus de consistance encore à cette stratégie de criminalisation de toute forme d’opposition dans l’opinion birmane, à proximité des commissariats de police ont été affichés ces derniers jours des panneaux de grand format avec les portraits des personnalités les plus recherchées par les forces de l’ordre dont bon nombre de responsables du CRPH et du NUG. En affichant un tel maximalisme et en appelant à la dénonciation des criminels par les citoyens, les putschistes ne font pas le moindre geste de conciliation, d’apaisement et de recherche d’une solution politique pacifique et durable. Ils demeurent dans une lutte à mort avec leur société et ceux que celle-ci s’est choisie lors des élections générales de novembre 2020.
François Guilbert
Notes
Communiqué des Ministres des Affaires étrangères et du Développement : cliquez ici
L’Arakan Army a été qualifiée de groupe terroriste un an plus tôt, le 23 mars 2020 par le même organisme présidé alors par le lieutenant-général Soe Htut.