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BIRMANIE – ÉCONOMIE : L’incapacité des militaires à redresser le pays est patente

Date de publication : 08/09/2024
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Huile de cuisson Birmanie

 

Une chronique birmane de François Guilbert

 

Voilà une mauvaise nouvelle de plus pour les ménages birmans et les milieux d’affaires : au 1er septembre, les prix de l’électricité se sont envolés par décision administrative. + 240 % pour les particuliers. + 280 % pour les entreprises. Un comble alors que les coupures de courant n’ont de cesse, faute d’entretiens du réseau, d’investissements nouveaux et d’une guerre civile qui ne facilite guère la production et la distribution de l’énergie. Une situation critique qui n’est pas près de s’améliorer dans les mois qui viennent, ni même dans les cinq prochaines années, tant la junte au pouvoir depuis février 2021 à désagréger l’économie.

 

Sur l’avenir, les entrepreneurs ne sont pas optimistes

 

L’indice des directeurs d’achat (PMI) qui sert de référence pour évaluer la santé du secteur manufacturier d’un pays est au plus bas (43,4 points). Il a chuté de 10,3 % en un mois, la plus brutale des dégringolades depuis décembre 2022. Les perspectives de croissance chez les plus optimistes des conjoncturistes ne dépassent pas 1 % pour l’année budgétaire en cours. L’inflation est soutenue, supérieure même à 30 % en rythme annuel. Les produits de première nécessité ont, eux, augmenté de 200 % en trois ans et demi. Ceux qui ont des proches à l’étranger voient une partie de leurs revenus confisqués puisque 25 % des salaires doivent être versés via une banque publique qui convertit les devises étrangères à un taux artificiellement bas. Quant à ceux qui ont un travail local, ce n’est pas la récente hausse de 1 000 kyats par mois des rémunérations qui est susceptible de relancer la demande intérieure. Les investissements étrangers non plus ! Ils se sont massivement taris : 150 millions de dollars pour les sept premiers mois de 2024.

 

Les milieux d’affaires s’inquiètent également, des règles d’importations toujours plus strictes, d’une monnaie qui a perdu 81 % de sa valeur face au dollar américain, de la réintroduction des pratiques de troc dans le commerce avec l’étranger et de nouvelles réglementations castratrices, telle celle sur les transactions électroniques, susceptible de compliquer plus encore la vie quotidienne des acteurs économiques. Des mesures qui impactent au plus haut point le vécu quotidien de tous, que les habitant vivent dans des zones ou non troublées. Les contrôles instaurés stimulent la corruption et la fuite des capitaux vers l’étranger. Ils suscitent de vives tensions avec les hommes les plus riches et leurs entreprises ; les mettant à distance les uns après les autres des cercles de décision du Conseil de l’administration de l’Etat (SAC). Effets induits, les exportateurs n’hésitent pas à sous-déclarer leurs ventes pour échapper à des impôts croissants et pour cacher des actifs à l’étranger. Cette fuite en avant est préjudiciable et augure une dégradation tendancielle.

 

Là où des affrontements sanglants se déroulent ou sont sur le point de s’enclencher, la situation est la pire. A Mandalay, les militaires viennent d’interdire les commerces de rues, sans offrir bien évidemment la moindre compensation aux vendeurs et une visibilité sur la durée de la mesure. N’oublions par ailleurs que de mi-juin à mi-août 2024, le nombre des déplacés intérieurs en Birmanie a augmenté, selon les estimations de l’agence des Nations unies pour les réfugiés, de 176 700 personnes soit + 6,3 % au cours des deux derniers mois. Ceux-ci sont non seulement partis avec peu de biens mais ils sont transplantés dans un pays où les rationnements se renforcent.

 

Les militaires gèrent l’économie par à-coups et contraintes

 

Depuis quelques jours, le contingentement des huiles de cuisson a été imposé. Cela pourrait devenir également rapidement le cas pour l’essence automobile, les conducteurs se voyant par-dessus le marché remis une carte à puce pour mesurer, pour ne pas dire restreindre, leur dynamique de consommation. Dans cette logique d’encadrement réglementaire au plus strict des produits nécessitant des devises pour être importés, le secteur de la santé ne manque pas à l’appel.

 

Là aussi, de nouvelles règles sont entrées en vigueur le premier de ce mois. Désormais, les importateurs de produits pharmaceutiques doivent présenter des garanties fondées sur leurs recettes d’exportation pour se voir autoriser l’entrée sur le sol birman des médicaments. Ce mécanisme brutalement érigé par l’administration du SAC met en danger la santé et l’espérance de vie de dizaines de milliers de Birmans. Les pénuries de remèdes vont s’accentuer indubitablement dans les officines du pays, dans les grandes villes et plus encore dans les zones rurales. La mesure arrêtée va, elle aussi, générée de la corruption pour obtenir les droits à commercer, favorisant au passage tous les acteurs liés à l’institution militaire et ses chefs.

 

Le secteur de la santé n’est pas le seul à être durement impacté. Régulièrement, les pompes à essence manquent de carburant. Cette pénurie est le fruit d’une politique de change qui s’est bâtie non pas dans l’intérêt des habitants mais de ceux immédiats de l’armée. Elle enrichit les généraux aux manettes des décisions, leurs affidés et les conglomérats liés institutionnellement à la Tatmadaw (Myanma Economic Corporation (MEC), Myanma Economic Holdings Limited (MEHL)).

 

L’appareil d’État lui-même n’en tire que peu d’avantages. C’est si vrai que dans plusieurs provinces, les fonctionnaires sont payés avec retard voire sans salaire depuis des mois (ex. un trimestre dans l’État Chin). Quant aux militaires qui doivent impérativement placer une partie de leurs soldes auprès des holdings MEC et MEHL, ils n’ont reçu en contrepartie aucun dividende depuis le putsch. Indéniablement, le coup d’État n’est pas une bonne affaire ! Mais la situation budgétaire et macroéconomique dégradée tient tant à la pratique gouvernementale qu’aux défaites répétées sur les champs de bataille.

 

Défaites militaires et raréfaction des ressources économiques sont liées

 

Bien que le général Min Aung Hlaing ait déclaré la semaine dernière que les revenus d’exportation agricoles sont supérieurs à ceux des ressources naturelles, la faible croissance économique des deux dernières années a été tirée par l’exploitation irraisonnée des matières premières. Or, ces derniers mois, de nombreux sites de production et d’extraction sont tombés aux mains des groupes ethniques armés et de leurs alliés bamars. La résistance kachin s’est emparée de mines de jade. Mogok et son faramineux potentiel en pierres précieuses sont aux mains de la résistance. Le port de Kyaukphyu dans l’État Rakhine est à la merci de l’Armée de l’Arakan. Les Forces de défense du peuple (PDF) se sont installées sur des lieux de production chinois ou à proximité d’infrastructures critiques reliant la Birmanie au Yunnan.

 

Chacun des acteurs politico-militaires s’opposant à la junte n’ayant pas pour stratégie d’établir un chaos économique national, ils entendent bien tous tirer de substantiels revenus de leurs gains territoriaux ; obligeant au passage de potentiels soutiens étrangers à la junte de composer avec eux. Cette tactique économico-militaire s’accompagne d’une volonté farouche d’attrition des revenus générés par les usines sous l’autorité des généraux et de celles en co-entreprises instaurées avec des partenaires asiatiques. Les opérations de boycott de l’opérateur téléphonique Mytel avec le Vietnam, des entreprises propriétés de la descendance du général Min Aung Hlaing, des bières et cigarettes mis sur le marché par les conglomérats de l’armée sont des cibles qui ont identifiées avec succès. Elles réduisent considérablement les revenus de la junte, de ses hommes et de son appareil d’État.

 

Dès lors, dans un espace économique en voie de rétrécissement rapide, la politique de change est devenue une bouée de survie du régime militaire. Voilà une assise bien étroite ! Elle offre des ressources financières sommes toutes limitées, en-deçà des besoins pour entretenir un outil de combat demandeur de moyens et de piètres perspectives partenariales avec l’étranger, à commencer par les voisins de l’ASEAN.

 

François Guilbert

 

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