Une chronique birmane de François Guilbert
Jusqu’ici, ni le président nouvellement élu, ni son équipe de campagne, ni le Sénateur de Floride, Marco Rubio, désigné pour le poste des affaires étrangères ne s’est prononcé sur le drame vécu par la République de l’Union du Myanmar. Par ailleurs, aucune personnalité parmi les responsables désignés pour piloter la politique étrangère et de sécurité n’est connue pour avoir eu une expérience « birmane ». Cela ne veut pas dire pour autant que le président D. Trump et son administration se désintéresseront du régime du général Min Aung Hlaing, de la situation d’instabilité qu’il a créé depuis février 2021 et du drame humanitaire qui se joue dans le pays et à ses frontières. Hasard des calendriers, c’est d’ailleurs un des premiers dossiers sud-est asiatiques sur lequel les responsables s’installant aux manettes de la première puissance mondiale auront l’occasion de communiquer.
Les premiers propos seront décortiqués dans le moindre détail narratif et calendaire. Ils le seront bien évidemment par les parties au conflit mais aussi par la présidence malaisienne de l’ASEAN en place depuis le 1er janvier, par la Chine et tous les autres États qui aspirent peu ou prou à peser pour aider à sortir de la crise dans laquelle la Birmanie n’a de cesse de s’enfoncer.
Une première prise de parole américaine dès fin janvier ?
Quelques jours à peine après son retour aux affaires, l’administration républicaine aura l’opportunité de faire valoir ses vues à Nay Pyi Taw et à la communauté internationale. En effet, le 31 janvier 2025 le commandant-en-chef des services de défense qui cumule également les fonctions de chef de l’État par intérim, réunira sous sa présidence le Conseil de sécurité nationale et de défense (NSDC). Celui-ci aura à se prononcer formellement sur un état d’urgence arrivé à son terme. Il sera certainement tenté de le proroger pour la 7ème fois consécutive et pour 6 mois de plus afin de pouvoir, enfin, tenir les élections générales prédites depuis plus de 3 ans.
A court terme, la pérennisation du régime d’exception est d’autant plus probable que la votation promise est appelée à être menée sous les yeux d’observateurs étrangers ; encore faudrait-il que la situation sécuritaire ne soit pas trop dégradée pour que le scrutin ne soit pas une 3ème fois reporté. Or les partis politiques réenregistrés n’ont pas caché à leurs mentors militaires le 7 décembre que les conditions sécuritaires du scrutin sont une préoccupation majeure. Une manière de dire qu’elles ne sont pas aujourd’hui remplies. Pour tenter de rassurer les uns et les autres, le président de la Commission électorale de l’Union (UEC), U Ko Ko, a fait savoir qu’un millier d’éléments des unités anti-terroristes seront mobilisés le jour venu et que le scrutin se déroulera dans seulement 48,8% des circonscriptions contre 95,4% en 2020.
Pas sûr que ces promesses rassurent pleinement. Mais à ce stade, les élections législatives telles que promues par le général Min Aung Hlaing n’étant pas une voie crédible pour un retour à la paix, ni même un moyen d’assurer une désescalade des violences, le premier acte « birman » de l’administration Trump 2.0, 10 jours après sa prise de fonction, sera certainement de redire urbi et orbi le caractère illégitime et malvenu d’une telle consultation, reprenant en cela la position déjà clairement énoncée par l’administration Biden.
Le 1er février, quatrième anniversaire du putsch
Le nouveau Secrétaire d’État, Marco Rubio (s’il est confirmé par le Sénat), sera certainement incité à une prise de parole le jour commémoratif du pronunciamiento ayant conduit à la terminaison du gouvernement civil conduit par Daw Aung San Suu Kyi. Les diplomates du Département d’État et l’opposition démocratique birmane ne manqueront pas de suggérer des paroles fortes. Bien que la cause birmane manque de champions de premiers rangs dans les cercles du pouvoir entrant en fonction, certains membres du Congrès pourraient bien aussi pousser l’exécutif américain à se positionner rapidement. Les incitateurs peuvent être Républicains, comme Démocrates.
Le sujet birman n’est pas à proprement parlé clivant entre les deux partis de gouvernement. Ce consensus immédiat aura pour effet de maintenir la politique birmane des Etats-Unis articulée autour du décret exécutif 14014, régissant le régime des sanctions, et le Burma Act du 23 décembre 2022 pour les actions de coopération (121 millions de dollars alloués pour l’année budgétaire 2024).
Les ajustements futurs dépendront, eux, pour beaucoup des nouveaux dirigeants appelés à la manœuvre. Signe des temps, les architectes des politiques Indo-Pacifique (Secrétaire d’État Kurt M. Campbell) et sud-est asiatiques (Derek Chollet puis Tom Sullivan) devraient être remplacés par des hommes sans expérience asiatique. Le premier le sera par un juriste au passé familial et professionnel latino-américain (ex-ambassadeur à Mexico), Christopher Landau, quant au second, Michael Needham, il est un ex-lobbyiste de l’Heritage Foundation, un think-tank conservateur ayant fortement influencé la campagne du futur 47ème président (cf. Project 2025).
En premier lieu, il y a fort à parier que la version Trump 2.0 va être tentée de définir sa politique birmane à l’aune de celle qu’elle mènera vis-à-vis de la Chine, M. Rubio et le conseiller à la sécurité nationale désigné Mike Waltz étant réputés être des faucons en la matière. Washington ne devra toutefois pas oublier que la Chine à plus de leviers que les Etats-Unis sur plusieurs des parties au conflit birman et que le voisin méridional de la République populaire a une importance stratégique bien plus élevée que pour la lointaine Amérique.
Preuve s’il en fallait au cours de l’année qui vient de s’écouler, Pékin n’a eu de cesse d’apporter un soutien croissant et ostentatoire au Conseil de l’administration de l’État (SAC). Les Républicains n’en sont cependant pas loin de penser que la Chine profite du vide laissé par une administration Biden insuffisamment pro-active aux points de jonction majeurs de la région Indo-Pacifique. Dès lors, D. Trump, là comme ailleurs, sera tenté de forcer les gouvernements d’Asie du Sud-Est à choisir entre la Chine et les États-Unis, une décision que la plupart d’entre eux, à l’exception peut-être des Philippines, ne veulent pas prendre. Cependant dans le cas birman, non seulement le SAC ne cherchera pas à renoncer à ses soutiens chinois et russes si indispensables à sa survie mais il sait ô combien le gouvernement d’opposition (NUG) a su par les déplacements de ses ministres et son bureau à Washington développer des relations tous azimuts au Capitole.
Pourtant, même si la junte se devait de tomber à l’image du régime syrien, la Birmanie restera probablement plus proche de la Chine que des Etats-Unis car les oppositions démocratiques et ethniques n’ont jusqu’ici jamais cherché à antagoniser leurs relations avec Pékin et/ou la province du Yunnan. Cependant, il sera dans l’intérêt des Etats-Unis de peser sur les voisins aseaniens en disant que Nay Pyi Taw est la principale source d’instabilité durable et que la résistance prodémocratie représente la meilleure option à long terme pour le développement du pays et son intégration régionale. Un message à passer à l’allié thaïlandais notamment pour densifier les aides parvenant à la résistance et aux populations sous son contrôle ; aux Malaisiens, Philippins et Singapouriens qui présideront successivement l’ASEAN en 2025, 2026 et 2027 ; au Bangladesh d’un Dr Mohammad Yunus réputé proche des Américains et à au premier ministre N. Modi aux bonnes relations avec D. Trump.
Pour mettre en musique une politique nécessairement multi-vectorielle, Washington serait bien aviser de se choisir un coordinateur pour sa politique birmane d’autant que certaines priorités affirmées pendant la campagne électorale de D. Trump inquiètent plusieurs capitales impliquées au premier chef sur le dossier birman. Les projets de coupures budgétaires dans les domaines de l’action humanitaires et de l’USAID pourraient avoir des conséquences directes dans la gestion régionale des déplacés par les violences, tout comme l’intention de la présidence Trump de mettre fin aux programmes de réinstallation des réfugiés aux Etats-Unis.
A cet égard, l’arrivée à la Maison Blanche de Stephen Miller, un ardent partisan de la lutte contre l’immigration, est vécue avec grande préoccupation. Néanmoins, toute chose égale par ailleurs, la situation birmane offre à la prochaine administration américaine l’occasion de faire preuve de leadership dans la promotion de la démocratie tout en réaffirmant sa primauté en Asie du Sud-Est. En s’engageant plus activement au côté des forces prodémocratie et en travaillant avec leurs alliés régionaux et partenaires affinitaires (ex. Australie, Europe, Japon) les Etats-Unis feraient d’une pierre deux coups, encore faut-il que D. Trump, lui-même, ne se montre pas trop erratique, impulsif et imprévisible.
François Guilbert
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