C’est dans toute la sécheresse de sa langue administrative que le Journal officiel de l’Union européenne (UE) a rendu compte, dans son édition du 8 novembre 2022, des nouvelles mesures de sanction prises par les 27 États-membres à l’encontre de ceux et celles portant des atteintes à la démocratie, aux droits de l’Homme et à l’État de droit en Birmanie. De ce 5ème paquet de mesures depuis la prise du pouvoir par la force du général Min Aung Hlaing le 1er février 2021 se dégage plusieurs choix politiques.
Cette fois-ci, 19 personnalités, 1 femme et 18 hommes, ont été pris pour cibles. Celles-ci peuvent être regroupées en cinq catégories d’officiels liés au putsch qui renversé le gouvernement d’Aung San Suu Kyi. En premier lieu, un membre du gouvernement a été ajouté à la liste noire de l’UE, le Dr Kan Zaw, ministre de l’Investissement et des relations économiques extérieures. L’homme de 68 ans est le 13ème détenteur d’un portefeuille gouvernemental birman à faire l’objet d’une mesure individuelle de l’Europe. Il doit sa mise au ban au fait qu’il occupe depuis le 19 août 2022 une responsabilité visant à couvrir les besoins financiers du régime militaire, ce qui valut déjà à son prédécesseur la même condamnation.
Au deuxième rang des officiels mis sous mesures restrictives figurent 4 hommes et 1 femme au cœur de la répression judiciaire. On y note le président de la Cour suprême, la directrice générales des services du ministère public, le directeur de l’administration pénitentiaire et le directeur de la prison d’Insein à Rangoun, là où ont été exécutés le 25 juillet 2022 quatre prisonniers politiques, les premiers depuis des décennies
Jamais depuis l’installation de la junte du Conseil d’administration de l’État (SAC) autant de hauts cadres de la justice n’ont été mis en cause par Bruxelles. Mais l’instrumentalisation à des fins partisanes par les putschistes n’a de cesse. Elle vise, depuis plus d’un, tout particulièrement les autorités du gouvernement civil évincées par la force et les dirigeants, nationaux et provinciaux de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD). En pratique, les poursuites engagées au motif de pseudo-faits de corruption occupent une place importante dans l’arsenal répressif. Les procédures intentées à l’encontre de la prix Nobel Aung San Suu Kyi en sont la caricature. C’est pourquoi, U Than Swe, le président de la Commission nationale de lutte contre la corruption, a été pris à partie par l’UE. Le régime de Nay Pyi Taw semble bien plus enclin à dénoncer des faits imaginaires de corruption qu’à sanctionner une pratique en pleine croissance et qui gangrène chaque un peu plus les vies quotidiennes et des affaires.
Au-delà de la dénonciation de l’instrumentalisation partisane du droit, les responsables du Conseil européen ont voulu s’en prendre aux officiers généraux les plus impliqués dans les faits sanglants des derniers mois. Il n’est pas surprenant de voir figurer sur la liste arrêtée par l’UE le général Htun Aung, le chef d’état-major de l’armée de l’air. En fonction depuis le 12 janvier 2022, le quinquagénaire est sanctionné à la fois pour participer à la gouvernance d’un conglomérat militaire (MEHL) sous sanction européenne depuis le 19 avril 2021 mais pour commander des aviateurs qui n’hésitent pas à bombarder des infrastructures civiles et à s’en prendre à des rassemblements non-combattants comme celui d’un concert musical le 23 octobre 2022 dans le township d’Hpakant dans l’État Kachin où a été dénombré une centaine de victimes. L’emploi de l’arme aérienne est d’ailleurs devenu si massif et si meurtrier pour les populations civiles que le Royaume Uni a mis le général Htun Aung sur sa liste des personnes sous sanction dès le 25 mars de cette année. L’usage disproportionné de la force et l’escalade de la violence choisis par les chefs de la Tatmadaw ont conduit les Européens à élargir le nombre de cadres de l’armée punis.
Après avoir inscrits dans le 4ème paquet de sanctions du 21 février 2022 les commandants Est (État Kayah) et Nord (Etat Kachin), huit mois plus tard c’est au tour des généraux de corps d’armée des bureaux des opérations spéciales n°3 (régions de l’Ayeyarwady, Bago et Magway), 4 (région du Taninthary et des États Môn et Kayin) et 5 (Rangoun) et des commandants des régions nord-ouest (Sagaing), ouest (États Chin et Rakhine), sud (Bago, Magway) et de Rangoun d’être mis en accusation par l’Union européenne. Ces 7 hommes arrivés quasiment au firmament de leurs carrières militaires constituent le cœur de l’appareil opérationnel de la Tatmadaw. S’ils constituent tous ensemble 42 % des hommes sanctionnés par l’UE ce mois-ci, la géographie de leurs responsabilités montre l’ampleur territoriale de la répression et le faible qu’elle couvre à la fois des États ethnique mais également des régions de l’ethnie bamar majoritaire.
François Guilbert