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BIRMANIE – GÉOPOLITIQUE: La fondation Jean Jaurés se penche sur le cas birman face au Covid 19

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 21/04/2020
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La fondation Jean Jaurès est un observatoire français des idées et des tendances politiques. Son intérêt pour le cas de la Birmanie mérite donc d’être souligné. Nous vous recommandons la lecture de leur dernier rapport consacré à ce pays, rédigé par notre collaborateur François Guilbert. Dans un contexte politique qui demeure tendu, celui-ci analyse la situation économique et sanitaire de la Birmanie et la stratégie mise en place par le gouvernement de Daw Aung San Suu Kyi – mais aussi le rôle de l’armée, toujours omniprésente – pour faire face à l’épidémie mais aussi pour contrer les effets économiques et sociaux attendus.

 

Nous reproduisons ici des extraits de la note de la fondation Jean Jaurès sur la Birmanie

 

Avant même que le coronavirus ne devienne une crise sanitaire d’ampleur pour les 54,58 millions de Birmans, ses effets sur l’économie ont été très perceptibles. Conscient de cette réalité durable, le président de la République U Win Myint a établi le 15 mars dernier un groupe de travail interministériel chargé, sous l’autorité du ministre des Investissements U Thaung Tun, d’évaluer les conséquences et d’y remédier. Les dommages se sont progressivement étendus du secteur agricole produisant fruits et légumes pour le marché chinois au début de l’année vers les secteurs du tourisme (février 2020) puis les industries manufacturières (mars 2020).

 

Non seulement les entrepreneurs locaux ont été rapidement durement frappés mais également les sociétés étrangères, quelles que soient leurs tailles. Selon une enquête réalisée à la mi-mars 2020 parmi les membres de la Chambre de commerce et d’industrie européenne (EUROCHAM), 90 % des sociétés consultées ont déclaré être déjà affectées économiquement par les effets du Covid-19. Une sur cinq a même dit l’être de manière très sévère. Très concrètement, c’est près d’une société européenne sur deux qui a vu son chiffre d’affaires diminuer en quelques semaines d’au moins 30 % par rapport à la même période de l’année précédente). Pour 12,1 % des entreprises venues de l’Union européenne, la situation est plus grave encore. Celles-ci ont perdu plus de 50 % de leurs revenus. Par conséquent, le gouvernement de Nay Pyi Taw doit d’abord contenir la crise économique avant même d’avoir à gérer une pandémie galopante à l’échelle nationale ou dans un grand centre urbain.

 

Paupérisation de masse

 

Bien que les conséquences économiques du Covid-19 se fassent déjà sentir dans de nombreuses régions, si l’on s’en tient aux analystes des conjoncturistes, la Birmanie est susceptible à court et moyen terme de mieux s’en sortir économiquement que la plupart de ses voisins. Selon la Banque asiatique de développement, qui vient de mettre à jour ses prévisions, le pays à la jointure du sous-continent indien, de la Chine continentale et de l’Asie du sud-est serait même appelé à connaître une croissance économique de + 4,2 % en 2020[5] puis + 6,8 % en 2021, soit sur les dix-huit mois qui viennent les taux les plus dynamiques de toutes les nations de l’ASEAN. En attendant de voir confirmer de telles tendances et pour la Birmanie retrouver sa croissance de 2016-2017, le gouvernement de Daw Aung San Suu Kyi s’emploie surtout à éviter un chômage de masse, une paupérisation grandissante de sa population et à éviter la disparition de nombreuses petites et moyennes entreprises.

 

Sans avoir énoncé un grand plan de sauvetage économique, jour après jour les autorités égrainent les mesures sectorielles et de sauvegarde. La Commission nationale d’investissement (MIC) a annoncé qu’elle réduisait de moitié les frais de dossier de tout nouveau projet, qu’il soit présenté par un investisseur autochtone ou étranger. Dans le même ordre d’idée, la MIC a dit vouloir accélérer ses approbations pour les projets requérant d’importants besoins en main-d’œuvre et dans le domaine des infrastructures. Aussi vite que permis, il s’agit de faire en sorte que le plus grand nombre possible de travailleurs (re)trouvent rapidement un emploi afin de compenser l’impact des licenciements dans d’autres secteurs tels que l’industrie manufacturière (comme l’habillement[6]) et le tourisme. C’est une manière de soutenir l’investissement à l’heure où le gouvernement anticipe une contraction de celui du privé de l’ordre de 40 %.

 

Relocalisation de la production

 

En parallèle, comme d’autres pays à travers le monde, la Birmanie a exprimé le besoin de localiser sur son sol quelques productions essentielles, d’autant plus que depuis la mi-mars 2020 il a été demandé aux agences spécialisées de cesser de recruter des Birmans pour partir travailler à l’étranger. Tout en s’approvisionnant en masques de protection auprès de la Corée du sud et Hong Kong, le gouvernement a ainsi incité des acteurs locaux, notamment de la zone industrielle de Thilawa, à se lancer dans une production qui, jusqu’ici, n’existait pas en Birmanie. À l’issue des fêtes de Thingyan (Fête de l’eau et du Nouvel An birman), 4 entreprises des régions de Bago et Rangoun devraient commencer à répondre aux attentes. Il est vrai que le besoin est urgent, à la fois en volume mais aussi en termes de prix. Avant que les premiers cas de Covid-19 ne soient découverts, on pouvait se procurer un masque de protection pour 100 à 150 kyats (6 à 10 centimes d’euros). Depuis, les prix sont montés en flèche et se situent, quand on en trouve, entre 800 et 1000 kyats (50 à 60 centimes d’euros) par pièce, soit l’équivalent de près de deux litres d’essence.

 

Accés au crédit

 

L’accès des entreprises au crédit est une autre des priorités des autorités centrales. Mais avant de mettre cela en œuvre, sur le plan monétaire, le gouvernement a su éviter une panique bancaire. Le lendemain de l’annonce du premier cas de Covid-19 dans le pays, on observait des retraits massifs de liquidités, ce que la Banque centrale a réussi à gérer sans encombres dans le temps. Une bonne surprise alors que régulièrement l’octogénaire Kyaw Kyaw Maung à la tête de l’institution depuis 2013[7] est sujet à controverses. Il a su, cette fois-ci, écouter les milieux économiques et répondre à leurs premières attentes. À ce titre, il a ajusté pour la première fois en huit ans et à deux reprises le taux directeur de la Banque centrale[8]. Ces mesures incitatives ont été bien accueillies par les milieux d’affaires. Elles ont été aussi complétées par un plan gouvernemental de financement, articulé autour d’un fonds d’une valeur de 100 milliards de kyats (70 millions de dollars, soit 0,1 % du PIB) pour des prêts à faible taux d’intérêt. Un mois après son instauration, selon la Fédération des chambres de commerce et d’industrie de Birmanie (UMFCCI), les prêts « Covid-19 » au taux d’intérêt de 1 % ont bénéficié à 88 entreprises en difficultés.

 

L’armée en embuscade

 

Depuis la fin janvier 2020 et la mise en place des premiers dispositifs de gestion interministérielle du Covid-19, les autorités civiles ont pris soin d’associer l’armée à leurs mécanismes de prévention et de lutte contre la propagation de la pandémie. Cela a été fait en incluant les ministères gérés constitutionnellement par des cadres militaires (Défense, Intérieur, Frontières) mais aussi en confiant au premier vice-président de la République, le général U Myint Swe, la présidence du Comité central national chargé de coordonner les mesures non-sanitaires de gestion de crise.

 

De fait, c’est le gouvernement civil qui a enjoint l’armée à se joindre à sa lutte contre le coronavirus et non l’armée qui a proposé ses services à une administration aux moyens limités. Cette stratégie « inclusive » du pouvoir civil est une posture pragmatique puisque l’armée dispose de moyens sanitaires en propre, maillant tout le territoire et qui devront être mobilisés rapidement compte tenu des faibles moyens en matériels et en ressources humaines dont disposent le ministère de la Santé. Coopérer avec l’armée s’impose en outre du fait de la nécessité de gérer au mieux les politiques de prévention et de soins en synergie avec les groupes armés disposant d’administrations territoriales dédiées à la santé (KIO, KNU, UWSA), l’environnement des théâtres d’opérations (État Rakhine), la maîtrise des régions frontalières et les axes qui y conduisent pour se prémunir d’une potentielle catastrophe sanitaire liée au retour massif de travailleurs émigrés ayant perdu leur emploi ou souhaitant passer les fêtes de Thingyan en famille (10-19 avril 2020).

 

Bien que l’armée et ses chefs aient démontré une attention tardive aux défis sanitaires que fait naître le Covid-19, ils n’en ont pas moins développé une approche très politique de l’enjeu et de la gestion des mois à venir. (..)

 

L’armée distille sur une base régulière des informations sur son action « sanitaire ». Cela lui permet de rester dans l’actualité médiatique à l’heure où Daw Aung San Suu Kyi tient le haut du pavé, et cela sans être encore sur le front médical contrairement au gouvernement civil. Au-delà des moyens dévolus traditionnellement aux forces armées, c’est sa générosité qui est vantée urbi et orbi. Dans la presse, il a été évoqué de cette façon une contribution financière de 1,6 million de dollars, destinée aux actions de prévention, de contrôle et de traitement du Covid-19, sans que l’on sache qui sont les heureux bénéficiaires de cette manne. Il en est de même du mois de salaire concédé par le Senior général Min Aung Hlaing. Derrière cette façade avenante, il y a un combat politique, pour ne pas dire partisan, qu’il conviendrait de ne pas sous-estimer car, comme le laissent apparaître certaines campagnes sur les réseaux sociaux, responsables de l’USDP et de l’armée font courir et/ou montent des boniments contre Daw Aung San Suu Kyi et son gouvernement.

 

L’intégralité de cette étude est à lire ici sur le site de la Fondation Jean Jaurès

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