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BIRMANIE – HUMANITAIRE : Comment mesurer l’ampleur de la tragédie birmane en cette fin 2021 ?

Journaliste : François Guilbert
La source : Gavroche
Date de publication : 23/12/2021
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réfugiés birmans

 

La fin d’année est toujours propice aux bilans. Celui ci est à la fois triste et indispensable pour bien comprendre l’actuelle dynamique à l’œuvre en Asie du Sud-Est. Notre collaborateur François Guilbert mesure l’étendue des dégâts humanitaires en Birmanie sous la botte des militaires.

 

Comment mesurer l’ampleur du drame humain produit par le coup d’État militaire ? Le décompte quotidien établi par l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP) en est un des instruments les plus communs et référencé dans la presse internationale.

 

En termes bruts, au 20 décembre 2021, l’association birmane de solidarité a dénombré et documenté 1348 tués, 8131 personnes arrêtées et condamnées et 1964 autres individus faisant l’objet de mandats d’arrêt nationaux. Au-delà de ces données indicatrices de la répression militaro-policière, il faut prendre en compte la terreur générée par le retour de l’armée au pouvoir et ses effets. Elle a conduit des centaines de milliers de ressortissants à quitter leur domicile, en particulier dans les premiers mois de la Révolution.

 

Exode vers la province

 

Les violences enclenchées en mars par les chefs de la Tatmadaw et la mise à l’arrêt de la machine économique ont convaincu de nombreux foyers de rechercher protections et soutiens auprès de leurs proches en provinces. De nombreux jeunes birmans ont fait rapidement le choix de se mettre au vert pour échapper aux investigations, réelles ou craintes, des forces de l’ordre. Des jeunes femmes célibataires en milieu urbain ont renoncé à leur autonomie domiciliaire pour revenir chez leurs parents de peur des descentes de police dégénérant en pillage et agressions sexuelles. D’autres ménages ont, eux, dû rentrer au village fautes de revenus et d’emplois. On parle ici de plusieurs dizaines de milliers de personnes, sans que personne ne sache réellement combien ils ont été à prendre le chemin de l’exil intérieur. Une chose est sûre, ces habitants ne sont pas prêts de revenir vers les grandes villes compte tenu d’un ralentissement économique appelé à se prolonger. Les autorités de Nay Pyi Taw se méfient, elles, des effets subversifs que peuvent avoir ses retours au cœur du pays bamar car la plupart des fuyards appartiennent à l’ethnie majoritaire du pays.

 

Expulsions nombreuses

 

Dans les décomptes des mobilités provoquées par le coup d’État militaire du 1er février 2021, il ne faut pas oublier les mouvements qui ont été générés par des décisions réglementaires du Conseil pour l’administration de l’État (SAC). A ce titre, l’expulsion par les forces de sécurité des squatters du township de Hlain Thayar (région de Rangoun) a fortement marqué les esprits. Ce n’est pas moins de 8 000 familles installées le long de la route Rangoun – Pathein qui ont été délogées et expulsées manu militari le 28 octobre. Une mesure d’aménagement du territoire bien plus fondée sur une logique de coercition que sur la préservation de la sécurité, la santé publique ou le bien-être de populations entassées dans des bidonvilles. La junte arrivée au pouvoir a cru nécessaire de chasser au plus loin de la plus grande ville du pays des centaines de migrants de l’Ayeyarwady venus à Rangoun après les dévastations du cyclone Nargis en 2008 et ardents protestataires contre les putschistes. En effet, dès le 5 février 2021, ces populations très pauvres se sont montrées à l’avant-garde des manifestations contre le SAC.

 

Opération de « nettoyage »

 

A la mi-mars, une centaine d’entre eux paya même de sa vie son engagement et sa mobilisation politique pacifique. Mais en expulsant des milliers de résidents à l’aide de la force publique, le SAC a montré à la fois toute brutalité dont il est capable quand il s’agit d’anéantir toute forme d’opposition politique mais aussi les ressorts économiques de certaines de ses actions. L’opération de « nettoyage » le long du principal axe routier vers l’Ouest n’était pas pour déplaire aux propriétaires d’usines et de centres commerciaux qui le bordent. Si la junte a ainsi pu (re)prendre le contrôle un territoire urbain en ébullitions hostiles tout en satisfaisant à bon compte des milieux d’affaires demandeurs, probablement en bénéficiant au passage de quelques subsides de cronies, il n’en a pas moins pris le risque de nourrir un peu plus encore le ressentiment populaire à son endroit et des opérations de représailles contre ses représentants : personnels de la police, fonctionnaires du département de l’administration générale (GAD) ou représentants désignés des wards qui ont orchestré les expulsions. Une perspective d’autant plus probable que les habitants chassés ne se sont vus proposer aucun logement alternatif ou indemnisation.

 

Mouvements de population, spontanés ou orchestrés

 

La politique courtermiste du SAC alimente les violences de demain car ceux qui ont été chassés d’Hlaing Thayar seront évincés à nouveau là où ils se sont installés, notamment les villes avoisinantes de Twantay et Maubin. Les mouvements de population, spontanés ou orchestrés, sont des éléments constitutifs de la guerre civile qui ensanglante depuis près d’un an la Birmanie. C’est encore plus vrai du fait des combats meurtriers qui opposent quotidiennement la Tatmadaw à des groupes ethniques armés et/ou les Forces de défense du peuple (PDF) qui ont émergées depuis le printemps.

 

Depuis le coup d’État militaire du 1er février, 0,6 % de la population birmane a dû fuir son foyer. 8,5 % des migrants ont trouvé refuge à l’étranger et 85 % d’entre eux en Inde. Ce constat montre que la guerre civile n’a pour l’heure guère débordée des frontières de la Birmanie, ce qui explique pour partie la bienveillance dont a bénéficié jusqu’ici le général Min Aung Hlaing du côté de New Delhi et Bangkok. Néanmoins, le drame intérieur a déplacé près de 300 000 ressortissants birmans. Dans un pays qui compte, déjà du fait de son Histoire violente, un grand nombre d’IDP (Internally Displaced People), pour reprendre la terminologie administrante du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, il faut savoir que 44,4 % de tous les déplacés l’ont été au cours des dix derniers mois et près de la moitié depuis la mi-juin. Ces mouvements de population nous rappellent que loin de s’atténuer au fil des mois, les migrations intérieures, nées des affrontements sanglants, persistent et connaissent un regain depuis septembre du fait du lancement de la guerre d’autodéfense du gouvernement d’unité nationale (NUG) et de la mise à profit de la saison sèche par les bataillons de la Tatmadaw.

 

Évolution mensuelle du nombre de déplacés intérieurs du 1er avril au 15 décembre 2021

 

80 % des personnes ont trouvé de très précaires refuges

 

Au cours du dernier trimestre 2021, les déplacés ont augmenté de 41 %, en particulier sur la façade orientale du pays. Depuis le début de l’année et alors que les regards diplomatiques et médiatiques se sont souvent tournés vers les confins occidentaux de la Birmanie, 60 % des départs ont été enregistrés au sud de l’État Shan et dans le sud-est du pays. A ce titre, le drame est particulièrement aigu dans l’État Kayah. Là, c’est près de 30 % de la population de cette région limitrophe de la Thaïlande qui s’est enfuis. Un record d’autant plus préoccupant sur le plan humanitaire que 80 % des personnes ont trouvé de très précaires refuges dans les forêts environnantes, les rendant non seulement très vulnérables du fait de l’environnement mais surtout très difficiles d’accès à toutes les organisations d’assistance. Le drame est également très dimensionnant à l’échelle des États Chin et Kayin puisque ce n’est pas moins 7 % et 3 % de la population totale qui s’en sont allés.

 

En pays bamar, les chiffres bruts sont tous aussi inquiétants humainement puisque l’on parle de près de 60 000 déplacés dans la division du Sagaing et environ 15 000 dans celle de Magway mais à l’échelle démographique provinciale le ratio des victimes est plus limité si l’on peut dire (1,1 % et 0,3 % de la population provinciale). Les mises en route sont clairement le fait des actions combattantes de la Tatmadaw car il existe par ailleurs dans l’instauration d’un État néo-autoritaire sous la férule de l’armée de nombreuses restrictions de mouvement des personnes. Dans bien des endroits, les adultes se doivent de détenir des lettres d’autorisation de leurs administrateurs de quartier ou de village pour voyager. Des postes de contrôle de sécurité, des patrouilles et des perquisitions nocturnes aléatoires à domicile par la Tatmadaw et la police rendent les populations moins mobiles. Dans les États Mon et Kayah ou encore la région du Tanintharyi, les autorités ont même pris des arrêtés d’interdiction pour les motos de prendre un deuxième passager masculin. Dans le Tanintharyi, les autorités ont été plus loin encore en exigeant que les ménages affichent la liste des habitants de leur maisonnée sur leur pas-de-porte. En ayant révoqué la liberté d’accueillir quiconque chez soi sans accord préalable de l’administration locale, la junte est clairement à la recherche de fixer autant que possible ses concitoyens chez eux et d’interdire au maximum les interactions avec des connaissances de passage.

 

Cette proportion pourrait cependant rapidement évoluer. Au cours de la semaine écoulée, plusieurs milliers de Birmans seraient entrés sur le sol thaïlandais pour échapper aux assauts conduits par la Tatmadaw contre les unités de l’Armée de libération nationale karen.

 

François Guilbert

 

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