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BIRMANIE – POLITIQUE : Des élections auront bien lieu, mais elles seront impitoyablement quadrillées

Date de publication : 11/02/2023
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élection Birmanie

 

Rien de tel qu’une chronique de notre collaborateur François Guilbert pour nous plonger dans la réalité politique de la Birmanie, deux ans après le coup d’État de 2021.

 

Le général Zaw Min Tun, le porte-parole, a fait savoir le 3 février que le Conseil d’administration de l’Etat (SAC) a, aujourd’hui, pour priorité « la paix et la stabilité avant même les élections ». Pour autant, les militaires n’ont pas abandonné l’idée d’organiser des élections générales à leur main. A quelle date ? Pas sûr qu’ils le savent eux-mêmes.

 

Si la prolongation d’un nouveau semestre de l’état d’urgence le 1er février 2023 a pu laisser penser que la votation est reportée sine die, il n’en est rien. La junte entend bien que tout soit prêt pour lancer les opérations électorales quand elle jugera le moment opportun. Elle veut pouvoir déclencher le processus non seulement quand bon lui semblera mais également avec peu de temps de préavis avant le scrutin. Le SAC se veut néanmoins un organisateur « soigneux », pour ne pas dire « irréprochable ». Pour preuve de sa démarche méthodique, il dit avoir quasiment achevé ses opérations de recensement au 31 janvier 2023.

 

Le 9 février, la Commission électorale de l’Union (UEC) a été plus loin dans une approche « perfectionniste » en présentant au chef de la junte une « Machine de vote électronique du Myanmar » (MEVM). Le pays fait face à 11 heures de coupure de courant par jour en moyenne et dispose d’un réseau de télécommunication sous surveillance mais il s’apprêterait à passer à l’e-voting, ce qui pourtant n’est prévu dans aucun texte législatif et/ou réglementaire. Une gageure juridique et technique et qui n’est en rien une garantie d’un scrutin libre et transparent. Bien au contraire !

 

Sans jamais avoir dit précisément les modalités de mise en œuvre de la nouvelle démocratie disciplinée qu’il entend établir, le général Min Aung Hlaing bouleverse, depuis deux ans, le droit et les institutions à des fins électorales. Tenir une élection légitimante est au cœur de sa stratégie depuis 2021 et de sa volonté de se maintenir durablement au pouvoir. Dès le lendemain du coup d’État, il a confié la conduite de l’UEC au major-général Thein Soe. En matière de votation, l’homme est expérimenté. Il a orchestré les élections de 2010 qui ont permis au général Thein Sein, premier ministre de 2007 à 2011, de s’installer sans trublions dans le fauteuil présidentiel le 4 février 2011. La mouvance démocratique avait alors boycotté l’événement. Une voie qu’entend bien suivre le commandant-en-chef des services de défense en 2023 ou plus tard. Pour cela, il lui faut s’assurer qu’aucun grain de sable ne viendra faire obstacle à « SON » projet. Fissa fissa, tous les membres de l’UEC ont été remplacés il y a deux ans.

 

Mais au-delà de cette évolution institutionnelle à laquelle s’est ajoutée en avril 2022 un redécoupage des districts qui serviront de circonscriptions à une représentation parlementaire à la proportionnelle, toujours absente elle aussi du corpus juridique national, plusieurs modifications législatives ont été apportées pour limiter la contestation. Le 28 octobre 2022, le SAC a adopté une nouvelle loi sur l’enregistrement des organisations non gouvernementales et de la société civile. Un processus administratif appelé à réduire, autant que possible, les influences libérales étrangères et à interdire celles qui auraient des velléités d’instrumentaliser l’espace associatif à des fins partisanes. Dans la même logique coercitive, en décembre 2022, c’est la loi sur les rassemblements pacifiques et les cortèges qui a été amendée. Les pouvoirs de police au niveau des townships ont été sensiblement renforcés, en particulier pour la délivrance des autorisations à manifester dans les rues. Quant à la dernière réforme liberticide en date, on retiendra celle du 26 janvier 2023 exigeant l’enregistrement de toutes les formations politiques du pays. Ce texte concerne les nouveaux partis mais aussi tous ceux qui ont déjà un statut légal.

 

Désormais pour être reconnus, les partis politiques se voulant nationaux devront démontrer qu’ils disposent de 100 000 membres dans les 90 jours suivant leur réinscription et déposer à la Myanmar Economic Bank une somme équivalente à 500 000 dollars américains. Ils devront pouvoir s’appuyer sur des bureaux dans la moitié des 330 townships du pays. Au-delà du coût de l’opération immobilière qui va prendre le risque de louer à un parti d’opposition ? Qui va oser apparaître sur les listes des militants, township par township. Nous ne sommes plus en 2020 où sur les balcons d’un même immeuble les électeurs n’hésitaient plus à afficher leur couleur politique. Les nouvelles contraintes administratives visent clairement à écarter de la scène politique la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) mais aussi dans les faits toutes les formations politiques qui ne seraient pas, d’une manière ou d’une autre, alignées avec le pouvoir militaire et son relais, le Parti de la solidarité et du développement de l’Union (USDP). Une opération aussi aux relents financiers puisque les partis dissous verront leurs biens confisqués par l’Etat-militaire.

 

Au passage, plus subrepticement, il a été retiré le droit de vote aux leaders religieux musulmans. Une mesure discriminatoire qui en dit long sur le régime en place, même si leurs homologues bouddhistes, chrétiens et hindous ont déjà été dispensés de ce droit. Elle reflète ô combien un texte ayant des visées partisanes très précises. Il a été ainsi réintroduit dans le droit le plein respect de la Constitution léguée par l’armée en 2008, l’interdiction de tout statut légal à une formation politique ayant des liens avec des groupes terroristes ou qui serait dirigée par une personnalité condamnée ou en détention. L’incarcération d’Aung San Suu Kyi, du président de la République Win Myint et de 84 parlementaires de la NLD écartent, de jure, le parti qui a triomphé sans appel lors des trois dernières consultations nationales (2012, 2015, 2020). C’est donc sans surprise que les membres du Comité exécutif encore en liberté ont fait savoir publiquement que la NLD ne se réenregistrera pas. Un choix qui pourrait être celui de plusieurs de ses concurrents (ex. Parti national de l’Arakan (ANP), Ligue des nationalités Shan pour la démocratie (SNLD)). En pays karenni, là où la guerre civile est l’une des plus sévères, le Parti démocratique de l’État Kayah (KySDP) et le Parti national kayah (KNP) ont proclamé qu’ils ne participeraient pas aux scrutins des militaires. De telles postures définitives sont encore assez rares parmi les 93 partis politiques ayant eu un statut légal en 2020 et les 88 qui ont présenté des candidats aux électeurs.

 

Pendant que nombre de formations s’interrogent encore sur leur enregistrement, l’USDP a déposé son dossier dès le 2 février. Son président bat déjà le rappel sur le terrain et multiplie les déplacements dans les régions (Bago, Mandalay, Nay Pyi Taw, Rangoun) ou encore dans le sud de l’État shan. Ici et là, il fait pression sur les organisations sociales pour qu’elles aident à voter USDP. Il distribue à cette fin de l’argent, y compris à d’autres formations politiques pour qu’elles puissent répondre aux obligations de la loi du 26 janvier et proposent à d’autres de s’enregistrer sous le couvert de nouvelles alliances.

 

Le 7 février, le Parti démocrate fédéral (FDP) a déposé son dossier. Le lendemain, le Parti démocratique populaire du Myanmar (MPDP) a fait de même. Le surlendemain, cela a été au tour du Parti de la démocratie de l’Union (UDP). Cet acteur n’est rien d’autre que le Parti démocratique uni, connu également sous du parti à la rose. Avec un nom différent mais un même sigle, il s’agit d’une formation politique dissoute en 2020 par le gouvernement civil pour blanchiment d’argent chinois et dont le fondateur est toujours incarcéré à la prison rangounaise d’Insein. Pour autant, il y a trois ans le général Min Aung Hlaing s’était ému de cette mise à l’écart avant le scrutin.

 

Au 10 février, il reste 44 jours avant la clôture de la procédure de (ré)enregistrement. Beaucoup de choses peuvent encore changer dans le paysage partisan mais il se dessine un espace politique avec un nombre plus réduit de formations et l’apparition de quelques « entrants ». En dix jours, parmi les 13 partis ayant eu des élus nationaux un seul s’est réinscrit auprès de l’UEC (USDP) et deux autres ont proclamé qu’ils ne le feraient pas (KySDP, NLD). Quant aux « nouveaux » venus, il s’agit en fait de revenants (UDP, FDP). Le FDP s’appelait précédemment le Parti démocrate (DP). Il eut 3 élus en 2010 et 2015 et pu profiter de la notoriété à sa tête des deux filles de l’ex-premier ministre U Nu, renversé par les militaires, et d’un ex-prisonnier politique à sa présidence. Ce n’est donc pour l’heure qu’un remaniement limité de l’aire politique. Les changements sont encore à venir puisqu’aucun parti régionaliste de s’est (ré)enregistré, or la loi va intensifier les confrontations inter-ethniques pour les sièges des parlements provinciaux. Aucune alliance nouvelle ne s’est constituée. Il semble cependant qu’il s’en prépare. La Force démocratique nationale (NDF) a annoncé qu’elle se joindrait à l’Alliance du parti démocratique fédéral qui devrait regrouper 11 partis. Le Parti de l’unité môn (MUP) incapable de remplir les critères nationaux pourrait, lui, se contenter d’être un parti provincial. Le Parti démocratique des nationalités Shan (SNDP dit Parti du Tigre Blanc) qui fut le 3ème parti en nombre d’élus en 2010, pourrait être obligé de faire la même chose compte tenu de ses moyens limités, même s’il dit vouloir présenter des candidats dans 7 Etats (Kachin, Shan) et régions (Ayeyarwady, Magway, Mandalay, Rangoun, Tanintharyi).

 

La manière dont tout cela se passe ne laisse pas présager des partis plus représentatifs, ce qui est pourtant le projet qui a été affiché le 26 janvier par le général Min Aung Hlaing en présentant la « nécessaire » réforme sur l’enregistrement des partis en 20 pages, 5 chapitres et 27 articles. A vrai dire, aucune formation politique n’avait sollicitée un texte aussi contraignant. Pire, la mécanique enclenchée va éloigner le citoyen du scrutin voulu par les militaires et les faire douter de l’utilité des élections puisqu’en réalité un seul choix leur sera proposé, celui du parti de l’armée (USDP) et de ses alliés historiques balayés par trois fois déjà en 2012, 2015 et 2020. En réalité, les élections du SAC n’ont pas pour but de donner le pouvoir de décision au peuple mais aux chefs de l’armée.

 

François Guilbert

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