La Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française a auditionné le 23 juin plusieurs leaders de l’opposition démocratique. Des Sénateurs du Palais du Luxembourg proposé une résolution sur la nécessité de reconnaître le gouvernement d’unité nationale (NUG) découlant de parlementaires élus démocratiquement en novembre 2020. Force est de constater que la junte installée à Nay Pyi Taw depuis le 1er février continue de rencontrer de très sérieuses difficultés pour s’imposer sur la scène diplomatique internationale.
Une analyse de François Guibert
Dans les forums multilatéraux, la june militaire birmane subit même échec sur échec. Les comités d’accréditation refusent, les uns après les autres, de reconnaître dans les délégués du Conseil d’administration de l’Etat (SAC) les seuls représentants légitimes de la République de l’Union du Myanmar.
En conséquence, pour la première fois depuis son adhésion aux Nations Unies le 19 avril 1948, les sièges birmans sont restés vacants lors de réunions internationales usuelles, interdisant dans les faits aux ministres de la junte de s’exprimer.
Ces dernières semaines, il en a été ainsi aux réunions annuelles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de l’Organisation internationale du travail (OIT), de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), du Conseil des droits de l’homme ou encore de la rencontre des États parties à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.
A suivre ici l’audition à l’Assemblée nationale.
A suivre ici l’audition au Sénat.
Une situation qui est appelée assurément à perdurer quelques temps encore, tout au moins jusqu’au mois de septembre et la tenue de la prochaine Assemblée générale des Nations Unies. Ce calendrier a d’ailleurs été explicitement évoqué par les États accréditaires qui faisaient le constat de la légitimité contestée du SAC.
En attendant donc la 75ème assemblée générale onusienne, le pouvoir militaire de Nay Pyi Taw ne peut que protester par communiqués diffusés urbi et orbi et dénoncer ce qu’il juge être des ingérences dans les affaires intérieures de son pays. Tout en se voyant barrer l’accès aux instances régulières de l’ONU par des représentants d’États tiers, le pouvoir instauré par le général Min Aung Hlaing doit aussi compter avec les actions hostiles du représentant permanent accrédité au nom de la Birmanie à New York.
L’ambassadeur U Kyaw Moe Tun prend régulièrement la parole à la tribune onusienne et y affirme des vues les plus antagonistes qui soient à celles du SAC.
Ses positions sont énoncées politiquement depuis le 26 février au nom du NUG. A la fureur de son ministère des Affaires étrangères qui l’a rayé de ses cadres et d’une autorité politico-administrative qui entend le poursuivre pour autre trahison devant la justice birmane, le diplomate de 51 ans, dépêché en octobre 2020 par le gouvernement de Daw Aung San Suu Kyi, prend ostensiblement la parole et vote méthodiquement contre les intérêts du régime putschiste. Il l’a encore fait le 18 juin, en se montrant favorable à la résolution déposée par le Liechtenstein à la 83ème réunion plénière de l’Assemblée générale des Nations unies qui examinait la situation en Birmanie.
Le texte proposé par Vaduz a souligné l’ampleur des critiques adressées aux responsables de la Tatmadaw. 119 pays ont demandé le retour à l’État de droit, le respect des libertés fondamentales, la libération des personnes en détention arbitraires ou encore des accès humanitaires sans entrave. Un seul État s’est rangé de manière inconditionnelle derrière les généraux : la Biélorussie de l’autocrate Alexandre G. Loukachenko. Si la communauté internationale multiplie les messages d’avertissement et se montre relativement consensuelle sur les responsables du drame birman, il ne faudrait pas pour autant sous-estimer les divergences d’approche pour aboutir à une sortie pacifique de la crise. 36 États se sont abstenus sur le texte discrètement parrainé par les Européens, les Britanniques et les Américains, dont un tiers d’asiatique. Parmi ceux-ci ont figuré tous les États limitrophes de la Birmanie (Bangladesh, Inde, Chine, Laos, Thaïlande) ou encore tous les membres du groupement régional du BIMSTEC (Bangladesh, Bhoutan, Inde, Népal, Sri Lanka, Thaïlande). Dans la région du Mékong, seule la République socialiste du Vietnam s’est montrée ouvertement critique.
L’ASEAN divisée
L’Association des nations d’Asie du sud-est s’est elle-même montrée totalement divisée sur le message à envoyer aux parties belligérantes. 5 capitales ont soutenu l’approche de la Principauté européenne (Jakarta, Kuala Lumpur, Manille, Singapour, Hanoï), 4 autres s’en sont formellement désolidarisées (Bandar Seri Begawan, Phnom Penh, Vientiane, Bangkok). A noter que les présidences de l’ASEAN en cours (Brunei) et à venir (Cambodge) se sont bien gardées de marquer trop nettement leurs positions, ce qui peut constituer l’avantage de pouvoir faire passer des messages aux généraux birmans si elles le veulent vraiment. C’est probablement la raison de la posture des Thaïlandais qui espèrent incidemment voir leur candidat aux fonctions d’Envoyé spécial de l’ASEAN endossé par le général Min Aung Hlaing puisque celui a son mot à dire dans la désignation de l’émissaire médiateur du processus de dialogue inter-birman voulu par les leaders de l’Association lors du sommet extraordinaire de Jakarta du 24 avril (cf. point 3 du consensus dit en 5 points).
La Chine, domino indispensable
A défaut de bénéficier d’une pleine solidarité aseanienne sur la scène internationale, le SAC compte sur les soutiens croissants de la Chine de Xi Jinping et de la Russie de V. Poutine.
Bien qu’aucun dirigeant de haut rang de Pékin n’ait encore fait une visite de travail chez son voisin méridional, les officiels de la République populaire reconnaissent en la personne du général Min Aung Hlaing le leader de la Birmanie. Dans cette logique, le
ministre Wang Yi s’est entretenu au début du mois de juin avec U Wunna Maung Lwin à Chongqing en marge des réunions ministérielles du 30ème anniversaire des relations Chine – ASEAN et de la Coopération Mékong Lankang. Quant aux Russes, ils se montrent les plus déterminés à soutenir le chef de la junte. Jusqu’à un certain point toutefois !
Partenariat stratégique birmano-russe
Certes, au Kremlin on vante le partenariat stratégique birmano-russe mais le déplacement de cette semaine à Moscou du général Min Aung Hlaing a dû se révéler pour lui quelques peu décevant, tout au moins du point de vue protocolaire. A son arrivée, le porte-parole du président V. Poutine a fait savoir qu’il ne le rencontrerait pas et à renvoyé vers le ministère russe de la Défense sur les détails de la visite. Ce séjour qui est loin d’être le premier de l’intéressé sur le sol de la Fédération, n’aura pas été au fond très différent des précédents. On y a décelé les mêmes étapes que par le passé. Ainsi, il aura été fait une escale à Irkoutsk pour parler des avions de combat SU-30 ( 5 ) avant de participer à la 9ème Conférence de Moscou sur la sécurité internationale (MCIS-2021) et s’entretenir avec le Conseiller à la sécurité N. Patroushev puis le ministre de la Défense S. Shoigu. La visite aura été si peu diplomatique qu’U Wunna Maung Lwin n’a pas fait le déplacement jusqu’à Moscou et S. Lavrov n’a pas été appelé à recevoir le numéro 1 de la junte.
Il n’est même pas certain que le général Min Aung Hlaing ait eu des échanges en aparté avec la Première ministre bangladaise Sheikh Hasina et/ou le ministre bruneien de la Défense Mohammad Yussof qui tous trois participaient au même panel de la MCIS-2021 consacré à la « Région Asie-Pacifique dans le cadre de la politique mondiale », pourtant les sujets d’intérêts communs ne manquaient pas. Comme l’ont montré la plupart des autres étapes du séjour (ex. entretien avec le patron de Rosoboronexport, visite à l’université militaire, ( 6 )), le déplacement de Min Aung Hlaing fut surtout militaire, c’est si vrai que la presse russe (ex.
TASS) qui a couvert le moment s’est contenté de qualifier le général Min Aung Hlaing comme étant le chef des armées et non de la Birmanie.
Le généralissime birman va donc devoir attendre encore un peu pour serrer la main de son premier allié alors que V. Poutine s’est entretenu par le passé avec les plus hauts dirigeants civils, le président de la République U Htin Kyaw en 2016 (Sotchi) et Daw Aung San Suu Kyi en 2019 (Pékin).
François Guilbert