Notre chroniqueur François Doré, responsable de la superbe Librairie du Siam et des Colonies à Bangkok, est un insatiable dévoreur d’archives et de traditions. Il s’est donc penché, dès que les casseroles de la protestation ont commencé à retentir en Birmanie, sur cette tradition qui consiste à taper dessus…pour chasser les démons.
Une histoire de casseroles.
A n’en point douter, les sociologues modernes en viendront bien un jour à se pencher sur cet aspect étonnant de nos révolutions modernes : la transformation d’humbles objets de notre quotidien, en témoins essentiels du combat de nos idées.
La France d’octobre 2018 avait vu apparaître les ‘Gilets Jaunes’, bien avant le Hong Kong de 2014, ‘la Révolution des Parapluies’, suivie cinq ans plus tard, de celle des ‘Ombrelles’.
Rappelons-nous qu’en 1974, c’est la ‘Révolution des Œillets’ qui avait mis fin à quarante ans de Salazarisme.
Plus étonnant, récemment, c’est le balai à WC que brandissent les manifestants russes pro-Navalny lorsqu’ils protestent contre le régime du Président Poutine et les extravagances de son palais secret.
Aujourd’hui, le Myanmar-Birmanie voit fleurir sa ‘Révolte des Casseroles’.
L’Europe d’aujourd’hui y semble particulièrement sensible, car ces tintamarres nocturnes de couvercles de casseroles, de marmites, de pots en fer, qu’on frappe le soir dans les rues de Naypyidaw, Yangon ou de Mandalay, pour faire le maximum de ‘potin’, rappellent étrangement les bruyantes soirées de quelques pays d’Europe, dont la France et la Suisse, qui, au début de la pandémie du Covid-19, permettaient ainsi aux citoyens reconnaissants, de manifester leur soutien aux efforts héroïques des professionnels de la santé, qui faisaient face aux premiers ravages d ‘un ennemi implacable. Tous les soirs, les télévisions nous faisaient partager leurs bruyants concerts.
Mais si les concerts birmans rappellent ceux de l’Europe, il nous paraît nécessaire d’en décoder la réalité pour nos amis, pas forcément au courant des coutumes de l’Asie du Sud-Est.
La protestation bruyante des citoyens birmans d’aujourd’hui correspond tout simplement à une croyance locale d’origine bouddhique, bien ancrée chez les peuples de la région : c’est le rappel de ce moment où le démon Rahu mange la lune, et donc provoque une éclipse.
De tous temps et encore aujourd’hui, lorsque se produit l’éclipse, la masse des citoyens plutôt dans les campagnes, inquiets de cette disparition, sortent et font un bruit terrible avec tout ce qui leur tombe sous la main, pour effrayer le démon, le faire fuir, et l’empêcher d’arriver à ses fins.
Déjà au tout début du siècle dernier, lors de l’occupation de Chanthaburi au Siam par les troupes françaises, on avait évité un drame de peu : alors qu’une éclipse de lune obscurcissait toute la région, les habitants de la ville sortirent en faisant un bruit épouvantable au milieu de la nuit, casseroles mais également de nombreux coups de fusils, pour chasser Rahu.
Le commandant français du camp, ignorant tout de cette coutume, réveillé en sursaut par l’infernal boucan, fit réveiller la troupe et mit tout le monde en alerte, croyant à une attaque en règle de ses retranchements par les soldats siamois…
Telle est donc l’explication de ces casseroles birmanes :
Faire le maximum de bruit pour faire fuir le démon militaire en train de dévorer leur démocratisation !</p