Après avoir été décriée pour son absence de transparence sur les lieux où le scrutin ne pourrait pas se tenir et pour son manque de dialogues avec les partis politiques sur les conséquences de la pandémie de Covid-19, la Commission électorale de l’Union (UEC) a su organiser une votation satisfaisante le Jour J. Dans les projections actuellement disponibles, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) pourrait remporter plus de sièges qu’en 2015 aux parlements nationaux.
Une analyse de François Guilbert
A la Chambre basse, comme à la Chambre haute, les députés du parti d’Aung San Suu Kyi peuvent espérer dépasser le seuil des 60 %. Si cette tendance se confirme, alors à la Pyithu Hluttaw, Aung San Suu Kyi pourra compter politiquement sur plus de 81 % des députés non militaires et plus de 85 % des civils qui rejoindront l’Amyotha Hluttaw. C’est une victoire éclatante
La non des moindres reconnaissances de la qualité de ce scrutin est venue de l’ONG PACE. L’association d’observation électorale birmane eut pourtant bien des difficultés à se faire enregistrer. Il est vrai qu’elle ne disposait pas localement de statut légal, comme d’ailleurs un grand nombre d’organisations de la société civile bénéficiant pourtant de financements étrangers. Dès le dimanche 8 novembre dans l’après-midi, les observateurs associatifs du scrutin ont fait savoir que matériellement la consultation se déroulait de manière satisfaisante. 95 % des bureaux de vote se sont révélés accessibles aux personnes patentées, non seulement les représentants des associations domestiques (8666), les diplomates accrédités à Rangoun (182) ou encore les observateurs internationaux (119) mais également les centaines de scrutateurs des partis politiques.
Bon déroulement
Quasiment dans tous les bureaux de vote, des militants des deux principales formations politiques, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) et son rival réputé proche de l’armée, le Parti de la solidarité et du développement de l’Union (USDP), ont été dépêchés pour surveiller le bon déroulement de toute la journée. Ayant en visuel les démarches des électeurs, ils ont pu relever et faire connaître les manquements éventuels. Forte de sa puissance militante, la NLD a été capable de déployer ses représentants dans 92 % des bureaux de vote. Cette omniprésence, comme celle des autres partis, a certainement limitée les contestations à l’heure du dépouillement. Lors de cette phase, les délégués de l’USDP ont fait part de leurs remarques dans 5 % des stations et leurs concurrents de la NLD dans une proportion très similaire (6%).
Autrement dit, ni dans l’organisation matérielle, ni dans les mesures de précaution sanitaire en ces temps de COVID-19, des errements pouvant porter atteinte à la sincérité du scrutin n’ont été détectés. 99 % des bureaux de vote ont disposé, en temps et en heure, de tous les matériels nécessaires. A ce titre, 93 % ont bien reçu les urnes scellées contenant les enveloppes individuelles cachetées, incluant les bulletins de tous ceux qui ont dû voter par anticipation (ex. citoyens de plus de 60 ans, employés publics et privés d’astreinte, résidents à l’étranger (1), femmes enceintes, femmes et hommes handicapées, en quarantaine, hospitalisés, incarcérés mais n’ayant pas perdu leurs droits civiques,…).
L’ombre de la Covid 19
Sur le plan informatif, 94 % des bureaux ont installé convenablement les panneaux rappelant l’exclusion du Parti démocratique de l’Union (UDP) alors que son nom et son emblème figuraient sur les bulletins de vote pré-imprimés pour les circonscriptions où ses candidats se présentaient. La description de l’organisation type d’un bureau de vote et toutes les mesures de précaution sanitaire pour éviter que l’élection ne génère un grand nombre de nouveaux foyers infectieux de la COVID-19 étaient partout parfaitement visibles. Les autorités organisatrices ont donc pris un grand soin de la santé des citoyens-électeurs et des agents électoraux (masques, gels, gants..). A l’entrée des bureaux, le plus fréquemment, les nouveaux venus durent se soumettre au contrôle des températures corporelles et passer leurs mains au gel hydro-alcoolique. Impossible d’accéder aux édifices, sans être porteur d’un masque protecteur de la bouche et du nez mais aussi d’une visière frontale. Non seulement, les équipes de contrôle à l’entrée des bureaux se montrèrent particulièrement vigilantes mais une de leurs tâches était de distribuer ces équipements dans les files d’attente, demandant même à ceux qui étaient porteurs de masques chirurgicaux de les remplacer par les matériels offerts, afin de disposer de masques non maculées de gouttelettes. S’il était parfaitement louable que les électeurs entrant dans un bureau de vote soient porteur d’un masque différent de celui utilisé depuis le domicile et souvent durant de longues d’attente, la gestion des déchets s’est révélée plus chaotique.
28 millions de dollars dépensés
Le président de la République a fait savoir que 28 millions de dollars ont été dépensés en matériels de protection pour pourvoir à la sécurité sanitaire des fonctionnaires et des volontaires tenanciers des bureaux, et plus encore de tous les votants. Les stocks ont été suffisamment bien calibrés pour faire face à l’afflux des personnes pendant les dix heureux d’accès possible (6h00 – 16h00). Dans les files d’attente, la distanciation physique a été manifestement recherchée, marquée au sol (84 %) ou avec des chaises en plastique dans les rues. Dans les bureaux de vote, les entrées et les sorties étaient des voies différentes, les chemins d’une urne à l’autre bien balisés pour que les électeurs ne se croisent pas. Dans des cas plus rares (7%), des pièces séparées ont été mises à disposition pour des personnes dont la température corporelle constatée pouvait être plus élevée que la normale.
Toutes ces mesures et la détermination des citoyens a exercé leur droit ont conduit à un taux de participation élevé : 69 %. Contrairement à ce qu’affirmaient depuis des mois certains analystes, le scrutin 2020 n’a pas marqué de désaffection des Birmans pour la politique en général et le processus électoral, en particulier. Les promoteurs du « No Vote », insatisfait de l’offre partisane, n’ont rencontré aucun écho réel dans la société. Ils n’ont pas été les seuls à avoir des difficultés à se faire entendre. Les résultats distillés progressivement et publiés par communiqués trois fois par jour (midi, 16h00, 20h00) par l’UEC laissent apparaître une très large victoire de la NLD. Un succès qui pousse ses militants à faire la fête et souvent à oublier dans l’enthousiasme les règles de précaution sanitaires élémentaires ce qui a conduit la direction du parti lundi 9 novembre à rappeler les contraintes de la lutte contre le coronavirus.
Projections disponibles
Dans les projections actuellement disponibles, la NLD pourrait remporter plus de sièges qu’en 2015 aux parlements nationaux. A la Chambre basse, comme à la Chambre haute, les députés du parti peuvent espérer dépasser le seuil des 60 %. Si cette tendance se confirme, alors à la Pyithu Hluttaw, Aung San Suu Kyi pourra compter politiquement sur plus de 81 % des députés non militaires et plus de 85 % des civils qui rejoindront l’Amyotha Hluttaw. C’est une victoire éclatante non seulement dans les régions à majorité ethniquement birmane puisque la NLD pourrait avoir 100 % des élus dans les régions de l’Ayeayrwady, Bago, Magway et du Tanintharyi. A un siège près, c’est aussi une victoire écrasante qui s’annonce dans les régions de Nay Pyi Taw, Rangoun et Sagaing. Loin de s’effondrer dans les Etats ethniques, le parti majoritaire sortant pourrait faire de bon score : Chin (96,7 % des sièges), Kachin (80 %), Kayah (57,9 %) et Mon (77 %).
Les nouvelles coalitions ethniques ou les nouveaux partis nationaux (ex. Parti des pionniers du peuple (PPP), Parti populaire (PP), Parti pour l’amélioration de l’Union (UBP)) n’ont donc pas réussi à convaincre largement les électeurs. Dans ce contexte, le parlement de l’Union qui s’installera début 2021 ressemblera beaucoup à celui de 2016. Il comptera peut être un peu plus de femmes mais beaucoup d’élus âgés. Une chose est sûre, le prochain président de la République sera choisi par la NLD et le parti majoritaire de la dernière législature sera appelé à former le prochain gouvernement. Reste à savoir comment il va gérer les deux États qui se soustraient démocratiquement à son influence. Dans l’État Rakhine, le Parti national de l’Arakan reste dominant. Dans l’État Shan, même si la NLD fait de bons scores dans certaines villes du nord (ex. Kengtum, Lashio), son implantation va demeurer faible. La tentation sera peut-être de reconduire les deux Chiefs Ministers NLD qui tous deux ont réussi à s’imposer, à nouveau, dans leurs circonscriptions mais un choix partisan non sans risque.
Nouveau chapitre
La nouvelle victoire de la NLD qui s’annonce écrit un nouveau chapitre de la légende électorale d’Aung San Suu Kyi après ses deux premiers triomphes de 1990 et 2015. Ce succès est d’abord le sien, ses adversaires les plus irréductibles, notamment du côté de l’armée, le savent. Le commandant-en-chef de la Tatmadaw, après une dernière semaine de campagne où il n’a pas cessé de manœuvrer contre la NLD, devra lui-même en tenir compte. A la sortie de son bureau de vote, tout en exprimant un discours ambigu, le général Min Aung Hlaing a commencé à se montrer plus « conciliant » en affirmant qu’il acceptera le résultat d’un scrutin « qui reflète la volonté du peuple ». Le message des électeurs est on ne peut plus clair. La conduite des affaires du pays par Daw Aung San Suu Kyi n’est pas remise en cause. Les premières élections générales organisées par un gouvernement civil élu depuis les années 50 sont advenues sans gravité et selon le calendrier constitutionnel prévu. La COVID-19 n’a pas fait obstacle à un bon déroulement du scrutin. Satisfaction supplémentaire pour la Dame, les électeurs de sa circonscription rangounaise de Kawhmu lui ont renouvelé massivement leur confiance et donné près de 20 % de voix supplémentaires par rapport à 2015.
François Guilbert
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