Après avoir établi un Comité des représentants du Parlement (CRPH) le 4 février 2021, les élus nationaux aux élections générales birmanes du 8 novembre 2020 ont annoncé un mois plus tard un gouvernement intérimaire de 4 membres. Un 5ème s’y est ajouté le 23 mars ([1]). Voulant donner encore plus de consistance et d’assises partisanes ([2]) à ce nouveau pouvoir exécutif alternatif à celui établi par les généraux, ils ont endossé le 16 avril un gouvernement d’unité nationale (NUG).
Une analyse de François Guilbert
Symboliquement l’annonce a été faite aux dernières heures des fêtes de Thingyan, à la veille du premier jour de la nouvelle année selon le calendrier birman et bouddhiste et le jour où l’une de ses plus hautes responsables publiait une tribune dans les colonnes du New York Times ([3]). Sa mise en lumière prévue pourtant dans la première semaine d’avril a pu être tenue secrète jusqu’à la dernière minute alors que l’événement était grandement attendu par ceux qui combattent les militaires et tous les observateurs de la crise qui ensanglante le pays depuis plus de deux mois.
Liste des ministres
La liste des ministres et adjoints a été rendu publique par communiqué publié à l’en-tête du CRPH, c’est à une personnalité « indépendante » et vétéran de la Révolution de 1988, Min Ko Naing, qu’ait revenu la responsabilité d’expliquer la démarche engagée et le choix des attributaires des portefeuilles. Dans une vidéo d’une dizaine de minutes, il s’est employé à expliquer auprès du public birman les choix politiques effectués et ceux des personnes. Une entreprise couronnée de succès puisqu’une semaine après la publication du NUG, aucune polémique n’est venue entachée l’initiative. Les autorités putschistes ne l’ont même pas raillée. Elles se sont contentées d’affirmer que le NUG comme avant lui le CRPH est une organisation « illégale ». Sur le plan juridique, les responsables du ministère de l’Intérieur sous le contrôle de l’armée ont d’ailleurs fait découler de l’interdiction du CRPH celle du NUG ([4]), jugeant ce qu’est bien la réalité politique que l’un est l’émanation de l’autre.
Une annonce liée au calendrier diplomatique international
Sur le plan diplomatique, la date de l’instauration de ce nouveau pouvoir exécutif contestant la légitimé du Conseil d’administration de l’État (SAC) instauré par les militaires putschistes du 1er février s’est inscrite dans une séquence internationale importante pour des acteurs en recherche de légitimité internationale. Le 19 avril, l’Union européenne a annoncé de nouvelles sanctions individuelles mais également à l’encontre d’entités économiques et financières appartenant aux armées. Cinq jours plus tard, les chefs d’État et de gouvernement de l’ASEAN voire leurs ministres des affaires étrangères (ex. Philippines, Thaïlande) ont prévu de se retrouver au siège de l’Association pour échanger avec le général Min Aung Hlaing sur la situation birmane et explorer les voies d’une sortie de crise. A défaut d’être associé à cet événement aseanien qui constituera la première visite à l’étranger du commandant-en-chef des services de défense depuis sa prise du pouvoir par la force, le CRPH et son gouvernement espèrent bien engranger un maximum de soutiens ostentatoires pour démontrer aux dirigeants d’Asie du Sud-Est qu’ils s(er)ont incontournables dans la définition et la mise en œuvre de toute stratégie de retour durable à la paix civile et devront être des points de contacts de leurs émissaires à venir.
Diplomates de l’ASEAN
Si les responsables des relations internationales du CRPH et du NUG (Daw Zin Mar Aung, Dr Sasa, U Moe Zaw Oo) ont pu s’entretenir avec quelques diplomates de l’ASEAN et notamment du pays d’accueil du sommet du 24 avril, c’est du côté des chancelleries occidentales qu’ils ont reçu l’accueil le plus attentif. Une réalité géopolitique qui n’est pas sans risque pour le NUG car sa tactique peut être interprétée comme se prêtant à une ingérence « occidentale » dans les affaires des asiatiques. En Europe comme en Amérique du Nord, on doit s’interroger sur les effets que pourrait avoir une reconnaissance prématurée du NUG sur des leaders aseaniens tentés de régler l’affaire birmane « en famille » et de reconnaître celui qui détient le pouvoir par la force depuis la capitale. Du côté des démocrates birmans l’attente vis-à-vis de la communauté internationale et des occidentaux est si manifeste chez les opposants au retour au pouvoir des militaires qu’ils en appellent parfois encore à une intervention armée extérieure et ont choisi comme porte-parole de leur gouvernement d’unité nationale, le Docteur Sasa. Chargé jusqu’ici des liens du CRPH avec les Nations unies, il est aussi dorénavant chargé du portefeuille de la coopération internationale. Dans ce contexte, le NUG va devoir éviter de confondre reconnaissance juridique et contacts diplomatiques réguliers, tout en jouant de l’ambiguïté pour être mieux entendu.
Un cabinet de ministres politiques
Le cabinet des ministres du NUG énoncé le 16 avril comprend 14 membres dont 2 sont aujourd’hui totalement incommunicado : le président de la République U Win Myint et la Conseillère pour l’Etat Daw Aung San Suu Kyi. En l’absence de ces deux personnalités bamars en résidences surveillées à Nay Pyi Taw, c’est à 2 responsables issus des minorités ethniques du pays qu’incombera l’animation de la vie gouvernementale de l’opposition au maintien au pouvoir de la Tatmadaw : Duwa Lashi La (Kachin) et Mahn Win Khaing Than (Karen). Le premier a pris la place de vice-président de la République qui était dévolue par le CRPH au second depuis le 9 mars, ce dernier devenant de son côté le Premier ministre du NUG. Paradoxalement, bien qu’apparaissant régresser sur le plan protocolaire, en passant du 3ème rang au 4ème du pouvoir exécutif, ce que Mahn Win Khaing Than a perdu en “prestige”, il le (re)conquiert en influences politiques et institutionnelle.
Échapper aux arrestations
Ex-président de la Chambre des nationalités de 2016 et 2021 et le plus haut responsable de l’État ayant échappé aux arrestations conduites par les forces putschistes, Mahn Win Khaing Than est dorénavant chargé de faire vivre une « direction collégiale » pour reprendre une des valeurs inscrites dans la Charte pour une démocratie fédérale adoptée le 31 mars après l’abolition de la Constitution de 2008. Cette responsabilité lui est aussi octroyée de jure puisque le point 3 du Chapitre III de la nouvelle loi fondamentale birmane stipule qu’il est à la tête du gouvernement. Il n’en sera pas moins appelé à travailler étroitement avec le CRPH puisque c’est avec son accord qu’il pourra (re)défirnir le périmètre des administrations. Avant de s’engager sur ce terrain bureaucratique, force est de constater déjà que le gouvernement d’unité nationale apporte de sérieuses inflexions à l’organisation ministérielle retenue voire imposée au cabinet en place de 2016 à 2021.
Trois portefeuilles nouveaux sont apparus : outre celui consacré aux Femmes, aux jeunes et aux enfants, aux Affaires fédérales de l’Union, il a été créé un poste de Premier ministre. Ce n’est pas à proprement parler une grande nouveauté dans l’histoire de la Birmanie contemporaine puisque Mahn Win Khaing Than sera le 12ème détenteur de cette responsabilité depuis l’indépendance en 1948. La restauration de cette fonction disparue depuis plus de dix ans a fait l’objet de nombreux débats feutrés parmi les opposants au retour au pouvoir des militaires. Elle n’était d’ailleurs pas inscrite dans la première version de la Charte constitutionnelle adoptée le mois dernier.
Raisons profondes
A cette heure, il est difficile de savoir les raisons profondes qui ont réellement poussées à un choix qui entrera à l’avenir en concurrence avec les fonctions de Conseiller(e) pour l’État puisque cette fonction de chef de gouvernement fut créée de toute pièce pour une Daw Aung San Suu Kyi empêchée sciemment par la Constitution de 2008 d’accéder aux fonctions présidentielles. Reste donc à savoir si l’introduction d’un poste de Premier ministre au sein du cabinet d’avril 2021 est née d’une contrainte pratique pour s’assurer de la meilleure coordination interministérielle possible, d’une volonté de faire évoluer un régime présidentiel vers une démocratie parlementaire, revenant ainsi, aux institutions démocratiques nées au lendemain de l’indépendance, ou si elle vise à préparer de jure l’après Suu Kyi. La cheffe du gouvernement évincée fêtera son 76ème anniversaire le 19 juin prochain. Une chose est sûre Mahn Win Khaing Than qui occupe aujourd’hui son portefeuille primo-ministériel pourrait rapidement retrouver en pratique un poste de vice-président de la République si les circonstances l’exigeaient puisque pour l’heure une seule des 2 vice-présidences permises par la Charte pour une Union fédérale est occupée. Il n’a d’ailleurs pas été précisé le 16 avril s’il s’agit de la première ou de la deuxième prévue au point 8 du Chapitre III d’un texte qui guide dorénavant toute l’action politico-institutionnelle des élus déposés par les putschistes il y a près de 3 mois.
Des responsabilités régaliennes confiées à des civils
La Charte pour une démocratie fédérale ayant affiché comme l’un de ses desseins de subordonner le pouvoir militaire aux autorités civiles, c’est sans surprise que le NUG sous la conduite de Mahn Win Khaing Than a confié les portefeuilles de la défense et de l’intérieur à des responsables qui ne sont pas des militaires. Au passage, le ministère des Affaires frontalières dont le chef était jusqu’ici constitutionnellement désigné par le commandant-en-chef des services de défense a disparu de l’architecture gouvernementale.
A l’Intérieur a été nommé un député de la région de Rangoun (Thanlyin), U Lwin Ko Latt ([5]). Il est assisté par un ministre-adjoint, Khu The Bu, qui est un responsable du Parti progressiste national karenni (KNPP). A la Défense, c’est un autre cadre de premier plan de la NLD qui œuvrera. Le député de la capitale, U Yee Mon (Maung Tin Thit), est également le porte-parole du CRPH. Il n’a pas d’expérience militaire à proprement parlé mais il a réussi par deux fois, en 2015 puis 2020, à s’imposer face à un ex-général membre du Parti de la solidarité et du développement de l’Union (USDP), le relais politique historique de la Tatmadaw. Un véritable tour de force dans une circonscription où les militaires constituent une part très importante de l’électorat. Pour l’assister, lui le poète influent dans les milieux intellectuels, il pourra compter sur deux ministres adjoints aux connaissances approfondies en matière de défense et de géopolitique. L’un est un officier général du Nouveau Parti de l’Etat Môn (NMSP), Naing Kaung Yuat, l’autre est une professeure de relations internationales de l’université de Rangoun, Daw Khin Ma Ma Myo, aux idées sécuritaires très arrêtées et n’écartant pas l’idée de recourir à la lutte armée pour renverser le pouvoir institué par le général Min Aung Hlaing. Après avoir consacrée sa thèse de doctorat aux relations nippo-birmanes, Daw Khin Ma Ma Myo, la première femme à accéder à un tel poste à la sécurité nationale, a non seulement travaillé avec le principal think-thank aux affaires stratégiques indépendant (Myanmar Institute for Peace and Security Studies (MIPS)) où elle a publié plusieurs textes consacrés aux relations sino-birmanes mais également dans un centre dédié aux études de genres (MIGS). Comme près d’un quart des ministres, elle n’est affiliée à aucune formation politique. Plus symbolique, elle incarne l’arrivée aux plus hautes fonctions de l’État des femmes mais également de jeunes dirigeants.
De nombreuses femmes aux postes clés et la NLD à la manœuvre
Contrairement au gouvernement évincé qui ne comptait qu’une seule femme, le NUG pourra s’appuyer sur 8 femmes (30,7 %), réparties en 21,4 % des ministres et 41,6 % des ministre-adjoints, soit des ratios plus élevés encore que la proportion de femmes élues lors des dernières élections générales. Incarnation de cette génération montante et fruit de la « Révolution de printemps » en cours, Ei Thinzar Maung. A 26 ans, la candidate shanni du Parti démocratique pour une nouvelle société (DPNS) à la Chambre basse (circonscription de Pabedan dans la région de Rangoun) est devenue la benjamine du cabinet. Elle sera ministre-adjointe, au côté d’une autre femme la Karen Naw Susanna Hla Hla Soe, d’un nouveau département ministériel consacré aux Femmes, aux jeunes et aux enfants.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser une lecture trop rapide des nominations, les femmes n’ont pas été cantonnées aux affaires sociales. Elles y sont même peu nombreuses si l’on fait exception des ministre-adjointes de la Santé avec la doctoresse Shwe Pon et la kachin Jar Htawe Pan à l’Education. En outre, celles qui sont encartées à la NLD (p.m. 50 % des portefeuilles confiés à des femmes) à l’image de Daw Aung San Suu Kyi (Conseillère pour l’État), Daw Zin Mar Aung (Affaires étrangères), la Dr. Shwe Pon (Santé) et les ministres des Femmes, des jeunes et des enfants sont toutes des parlementaires (62,5 %) sont des responsables très éduquées. Elles exercent également des responsabilités partisanes éminentes (ex. la ministre des Affaires karen de Rangoun est membre du Comité exécutif central de la NLD). Cette donnée reflète le caractère très politique de ce nouveau gouvernement. Une situation qui tranche avec le choix effectué en 2016 quand entrèrent au cabinet des ministres de nombreux technocrates parfois ralliés de fraiche date à la NLD, ce qui ne manqua pas de troubler militants et électeurs.
Rangs protocolaires
Dans le cas présent, 8 des 10 personnalités ayant les rangs protocolaires les plus élevés appartiennent à la Ligue nationale pour la démocratie. 72,7 % des détenteurs d’un portefeuille de plein exercice sont même des cadres du parti de la prix Nobel de la Paix. Ce chiffre reflète le poids politique considérable du parti de Daw Aung San Suu Kyi. Il n’est pas si éloigné du nombre de sièges conquis lors des derniers scrutins de 2020 voire de la structure politique dont émane le NUG puisque 88,2 % des membres fondateurs du CRPH sont des parlementaires nationaux de la NLD. Il n’en demeure pas moins que dans ce gouvernement d’unité nationale il a été fait une place importante à des leaders de partis ethniques : Duwa Lashi La (Kachin ([6])) à la vice-présidence de la République, le docteur Lian Hmung Sakhong (Chin ([7])) qui aura la charge des affaires de l’Union fédérale, un nouveau département ministériel ou encore le docteur Hkalen Tu Hkawing (Kachin, ministre des Ressources naturelles et de la préservation de l’environnement). Autrement dit, 21,4 % des membres du cabinet sont des alliés des partis ethniques. Si on ajoute les non-Bamars de la NLD au sein du cabinet des ministres (3), 42,8 % des ministres n’appartiennent pas à l’ethnie majoritaire et la moitié d’entre eux viennent des rangs de la NLD (1 Chin, 2 Karens), ce qui rappelle combien la NLD n’est pas strictement une formation politique « bamar ».
Parmi, les ministre-adjoints la proportion des non-bamars (2 Kayahs, 1 Kachin, 2 Môns, 1 Palaung, 1 Karen, 1 Shanni) est à un niveau (66,6 %) jusqu’ici inconnu dans la vie politique de la Birmanie et sans similarité avec les réalités démographiques, ce qui peut générer des réactions d’incompréhensions au sein des populations majoritaires. Cette démarche politique « inclusive » a néanmoins permis d’étendre l’assise politique du NUG à plusieurs formations politiques ethniques ([8]). Cette distribution des responsabilités montre le souci de bâtir une Union plus fédérale, c’est si vrai que toutes les responsabilités ayant trait à ce sujet ont été confiées à des responsables de partis ethniques (Chin, Kayahs, Palaung ([9])). Néanmoins dans cette distribution élargie, il y a deux manques patents.
Un gouvernement appelé à s’élargir sous peu
Si on peut comprendre les difficultés pour le CRPH et la NLD à rallier des responsables politiques Rakhine ([10]), l’absence de cadres shan n’en est que plus criante. Certes, chaque formation politique ethnique a ses propres procédures et les groupes armés plus encore. Dans les temps présents pour une vie politique qui s’orchestre dans la clandestinité et bien souvent par vidéoconférences, il est difficile de tenir des discussions aussi sensibles que complexes mais la non-association formelle d’aucune des parties shan pose problème d’autant que Sai Leik, le porte-parole de la Ligue des nationalités shan pour la démocratie (SNLD) a appelé les autres partis, les groupes de résistance armée et le gouvernement parallèle à travailler ensemble pour former une armée fédérale. Une direction qui est aussi celle que veut prendre l’Armée nationale Pa-O si l’on en croît son leader le Colonel Khun Okkar ([11]). Le 17 avril, c’était au tour du Front de libération de l’État de Palaung et au porte-parole de l’Armée de libération nationale Ta-ang (PSLF / TNLA), le général Bone Kyaw d’accueillir favorablement le NUG et d’évoquer une collaboration avec lui. Il est vrai que les Palaung se montrent ouverts à la voie ouverte politique par le CRPH puisque Parti national Ta’ang (TNP) a été l’un des deux partis ethniques avec le Parti démocratique de l’Etat Kayah (KySDP) à avoir l’un de ses élus à se joindre aux 17 parlementaires fondateurs du Comité des représentants du Parlement.
L’absence de responsables shans au sein du NUG est d’autant plus surprenante que la NLD avait fait le choix d’établir un dialogue particulier avec les formations politiques de l’État Shan au lendemain de son triomphe. En janvier 2021 lors de son déplacement à Taunggyi le responsable des négociations avec les partis ethniques de la NLD et Chief Minister de la région Magway, le Docteur Aung Moe Nyo, avait eu des discussions encourageantes avec plusieurs formations politiques dont la puissante Ligue des nationalités shan pour la démocratie (SNLD). Ces discussions n’ont pas été vaines puisque les négociations d’alors ont facilité les ralliements récents au CRPH et au NUG des partis Kayans, Palaung et Pa-O rencontrés alors. Pour mesurer jusqu’où la prévention shan peut s’exercer dans le contexte actuel vis-à-vis des institutions établies à l’initiative du CRPH, voire de toute institution politique perçue comme étant toujours à la main des Bamars, il convient d’attendre encore un peu. Tout d’abord, le NUG doit être encore complété. Selon certaines sources, il pourrait même l’être à l’heure du sommet de l’ASEAN afin de créer un contre-événement médiatique plus favorable à l’opposition démocratique.
Plusieurs portefeuilles indispensables à la gestion d’un pays n’ont pas été attribués. C’est notamment le cas pour les Transports, l’Energie, le Tourisme, le Commerce, la Justice ou encore l’Agriculture et la Pêche. Même si le CRPH proclame sa détermination à séparer les questions cultuelles de l’action de l’État, l’absence d’une autorité en charge des questions religieuses n’est pas sans danger. Pour asseoir sa légitimité le SAC s’emploie à développer un récit politique où il vante son attention aux populations rurales et à la protection du bouddhisme. Dans son contre-narratif, le CRPH et le NUG doivent se montrer attentifs à ces problématiques ayant un large écho dans la société.
Questions religieuses
Les questions religieuses sont à prendre avec d’autant plus de discernement que le NUG compte en son sein des personnalités clés aux convictions chrétiennes affirmées (ex. vice-président de la République, Premier ministre, porte-parole). Une réalité à prendre d’autant plus en compte que les leaders putschistes pour délégitimer leurs rivaux s’emploient à souligner que le CRPH et le NUG sont des acteurs politiques « de l’étranger », faisant allusion à l’exil de plusieurs d’entre eux voire à leurs liens financiers avec des intérêts extérieurs au pays (ex. Open Society Foundation ([12])).
Si l’on peut souligner quelques insuffisances politiques aux institutions que l’opposition démocratique cherche à bâtir, elles sont peu soulignées dans la société birmane elle-même. Cette indulgence tient à la fois au rejet politique dont les militaires sont l’objet mais également au constat qu’il faut du temps pour que les élus de 2020 et les leaders ethniques s’apprivoisent et bâtissent ensemble un nouveau projet politique pour le pays. Face à un régime militaire qui semble connaître des divergences en son sein et avoir des difficultés programmatiques, son opposition est, elle, en permanence en initiatives. La prochaine étape importante est celle de la mise sur pied d’un Comité de coordination de l’unité nationale (NUCC) dont la direction pourrait être confiée à l’activiste Min Ko Naing. Cette plateforme établie par la Charte pour une Union fédérale est attendue avec d’autant plus d’attention qu’elle sera le forum chargé d’accompagner la rédaction d’une nouvelle Constitution dans les six mois en associant les organisations de la société civile (ONG, syndicats), des partis ethniques qui forment actuellement des plateformes consultatives par Etat (ex. Chin, Kayah, Kachin, Shan) et les groupes armées mais aussi d’aider à mettre en œuvre la politique du NUG à l’échelle des Etats et régions. Une dynamique politique qui devra peut-être aussi prendre en compte de nouveaux acteurs bamars, même si les nouvelles instances mises en place pour contrer les intentions des hiérarques de la Tatmadaw risquent de dépendre pendant des mois pour leur sécurité voire leur pérennité du bon vouloir des groupes ethniques armés. Les leaders bamars actuels au CRPH et au NUG étant dans leur grande majorité des élus de la région de Rangoun alors que la révolte s’exprime aussi en profondeur dans les régions de Bago, Mandalay ou encore du Sagaing, il leur faudra probablement associer des leaders de ces territoires. Enfin dans un pays où le respect et l’allégeance aux plus âgés est un fait politique dimensionnant, les nombreux jeunes aux postes clés ([13]) vont devoir trouver leur place et ne pas oublier qu’ils pourront s’appuyer sur quelques ministres aînés qui ont des expériences de combats politiques qui leur manquent notamment dans la clandestinité ou depuis la prison (ex. Dr Lian Hmung Sakhong, Naw Sussanna Hla Hla Soe, U Yee Mon).
François Guilbert
Notes:
[1] Le docteur Win Myat Aye a été prorogé dans ses fonctions ministérielles sortantes (Protection sociale, secours et réinstallation). Il a ainsi rejoint les ministres intérimaires nommés le 2 mars : Daw Zin Mar Aung (Affaires étrangères), U Lwin Ko Latt (ministre auprès du bureau du Président – ministre auprès du gouvernement de l’Union), U Tin Tun Naing (Plan, Finances, Industrie, Investissement, Relations économiques extérieures, Commerce), U Zaw Wai Soe (Travail, Immigration, Population, Éducation, Santé, Sports).
[2] 80 % des ministres choisis en mars sont membre de la Ligue nationale pour la démocratie.
[3] Zin Mar Aung : How to Defeat Myanmar’s Military, The New York Times 16 avril 2021
[4] Ordre numéro 2/2021 du 22 mars 2021 du ministère de l’Intérieur.
[5] Installé le 2 mars comme ministre auprès de la présidence et de la cheffe de gouvernement, la disparition de ces fonctions peut laisser entrevoir l’inflexion institutionnelle d’un régime politique présidentiel tel que voulu par les militaires en 2008 au profit d’une approche primo-ministérielle découlant de la majorité parlementaire.
[6] Avocat, il préside l’Assemblée nationale consultative Kachin.
[7] Il est le vice-président du Front National Chin (CNF).
[8] ex. Parti progressiste national karenni (KNPP : ministre-adjoint de l’Intérieur), Nouveau Parti de l’Etat Môn (NMSP : ministre-adjoint de la Défense), Front national de libération du peuple karenni (KNPLF : ministre-adjoint des affaires fédérales de l’Union), Parti national Ta’ang (TNP : ministre-adjoint des affaires fédérales de l’Union), Parti de l’unité Môn (MUP : ministre-adjoint du Plan, des Finances et de l’Investissement), Parti national kayah (KNP : ministre-adjoint aux Ressources naturelles et à la conservation de l’environnement)
[9] On peut ajouter à cette liste le Premier ministre karen et plus encore le ministre kachin des Ressources naturelles et de la préservation de l’environnement tant les sujets dont il a la chargé sont liés aux enjeux identitaires, en particulier dans le nord du pays.
[10] Le chef de l’Arakan Army a été approché pour entrer au gouvernement mais il a décliné la proposition.
[11] Myanmar Now 8 avril 2021
[12] Les comptes bancaires de l’Open Society en Birmanie ont été bloqués tandis que 11 de ses collaborateurs ont fait l’objet de mandats d’arrêt.
[13] U Lwin Ko Latt (45 ans), Daw Zin Mar Aung (44 ans), Sasa (41 ans).