Une chronique birmane de François Guilbert
L’aide internationale doit aller au-delà des territoires de la junte
Dans son discours télévisé au soir du 28 mars, le leader de l’armée birmane a invité « tout pays ou organisation à venir en aide ». Une quasi-première ! Peu avant et plus encore peu après, les offres de concours se sont multipliées. L’Inde (opération Brahma), la Chine, Hong Kong, la Russie, Singapour (opération Cœur de lion) et la Thaïlande ont commencé à dépêcher quelques dizaines de sauveteurs, parfois avec des équipages canins. La Malaisie a, elle, envoyé une équipe chargée d’aider à l’évaluation des dégâts et des besoins.
L’Union européenne et ses États membres ont mobilisé de nouveaux moyens financiers et donné accès aux images satellites Copernic. L’Australie, les Etats-Unis, le Royaume Uni et les Nations unies n’ont pas manqué, eux aussi, à l’appel de la solidarité. Les organisations non gouvernementales de secours ont dit tour à tour leur disponibilité.
Reste à savoir, maintenant, comment les hommes parvenus sur place et les financements accordés vont pouvoir être efficacement coordonnés et se montrer utiles auprès des populations victimisées des provinces de Bago, Magway, Mandalay, Nay Pyi Taw et Sagaing ainsi qu’au nord-est de l’État Shan ; autant de territoires où se poursuivent des mois de violents conflits armés. Une mise en œuvre délicate au regard des rapports de force, aux attentes des bienfaiteurs et dont les journalistes internationaux ne manqueront pas de vouloir rendre compte au plus près des populations dans le besoin.
Priorité militaire au pays bamar et à sa capitale
La géographie victimaire n’est pas sans importance. Manifestement, le Conseil de l’administration de l’État (SAC) dirige les premiers secours vers Nay Pyi Taw et Mandalay, la deuxième ville du pays. Tout en veillant à ne pas montrer l’ampleur des dégâts matériels sur les sites gouvernementaux (ex. palais présidentiel, ministères), les premiers secours, y compris étrangers, sont dirigés vers les bâtiments administratifs de la capitale et les logements des fonctionnaires centraux. Cependant de manière générale, les victimes sont invisibilisées. Aucun deuil national n’a été proclamé. Aucune cérémonie mémorielle n’a été programmée. Pire, le conseil militaire et aucun de ses organes administratifs ne publient de bilans régulièrement actualisés des destructions, des nombres de morts et de blessés.
L’appareil d’État qui se prétend le seul pouvoir légitime se montre silencieux sur les bilans du drame alors que son rival né du coup d’État du 1er février se révèle, lui, bien informé et plutôt communiquant ; énonçant avec professionnalisme des chiffres sur les biens et les personnes portées disparues. Preuve que le gouvernement d’unité nationale (NUG) a une capacité réelle de gouvernance, les données partagées sont jugées crédibles par les observateurs et les commentateurs.
Une fois encore, les généraux ne semblent intéressés que par le sort des leurs. Il est vrai qu’il y a urgence car le SAC s’est montré peu attentionné aux services de santé du pays, aujourd’hui débordés par l’afflux des blessés, mais aussi à l’abondement aux caisses et aux administrations dévolues aux secours des catastrophes. Les budgets autrefois octroyés à cette mission de l’État ont été siphonnés, année après année, au profit des priorités sécuritaires du SAC et réduits à néant.
Aujourd’hui, cette incurie oblige le patron de l’armée à faire appel à la générosité publique, aux moyens des entreprises privées de construction et à la mobilisation de tous.
Certes, la magnitude de la secousse sismique et sa vingtaine de répliques depuis sont quasiment sans précédentes depuis la secousse tellurique de 1912 mais les politiques publiques conduites sous l’autorité du général Min Aung Hlaing amplifient le drame qui se joue sous nos yeux.
Cette situation n’enlève en rien aux efforts des pompiers rattachés fonctionnellement aux forces armées, des volontaires de la Croix Rouge (MRCS) et des organisations caritatives. Mais ils semblent bien seuls à mener les actions de solidarité. Le discours du chef de la junte s’exprime sans empathies pour les familles suppliciées. Son langage corporel et les lieux choisis lors de ses visites à Nay Pyi Taw le premier jour et à Mandalay samedi font apparaître non pas un chef d’Etat au chevet des blessés et des endeuillés mais un officier supérieur distant en tournée d’inspection.
Pas de contacts tactiles avec les proches des victimes, pas d’émotions visibles devant un drame majeur, pas d’empathie rapportée, pas de commisération pour des sauveteurs travaillant d’arrache-pied par plus de 40°C et avec des moyens de fortune. Voilà un soi-disant président de la République et premier ministre plus attentif à souligner les soutiens internationaux obtenus (cf. la une du quotidien du New Global Light of Myanmar du 30 mars consacré à l’échange téléphonique intervenu avec le premier ministre N. Modi) qu’à détailler les mobilisations matérielles et financières de l’appareil d’État et de ses forces armées pour la collectivité nationale. Aucune donnée n’a été avancée sur ces points.
La priorité de la junte demeure la lutte armée
L’appareil militaire ne donne pas le sentiment de s’adapter pleinement à la priorité humanitaire du moment. Le drame se joue pourtant au cœur du pays bamar, son assise ethno-politique principale. Certes, le chef de la junte marque des attentions au sort des moines et des nonnes, au patrimoine bouddhiste altéré, à la reconstruction des édifices publiques, mais il ne donne aucun signe de vouloir changer la trajectoire politico-sécuritaire de son régime.
Alors que le gouvernement d’unité nationale a annoncé qu’il suspendait ses opérations offensives du 30 mars au 12 avril, le SAC, lui, n’en dit rien et n’en fait rien.
L’attitude de retenue de l’opposition pour faciliter les secours n’est pas celle du régime militaire du général Min Aung Hlaing. Ses opérations de combat se poursuivent. Son artillerie, ses hélicoptères, ses avions d’attaque air sol et ses parapentistes motorisés poursuivent leurs bombardements quotidiens dans la région épicentre du séisme mais également aux frontières.
Dans les 24h qui ont suivies la première secousse meurtrière, trois des townships placés en situation d’état d’urgence catastrophe quelques heures plus tôt par le Comité national de gestion des catastrophes naturelles piloté par le général Soe Win, numéro 2 du régime, ont été ciblés. Il semble même que les recrutements de conscrits pour la Tatmadaw n’aient même pas cessé dans la très meurtrie province de Mandalay.
Les ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN réunis en urgence dimanche 30 mars en font reproche. Le chef de la diplomatie singapourienne a d’ailleurs pris soin de le faire savoir et avec une certaine solennité dans une courte déclaration vidéo dans laquelle il exprime également les gestes de solidarité de la Cité-Etat et de l’organisation régionale. L’expression de compassion de Vivian Balakrishnan sonne presque comme un ultime avertissement à la junte tant celle-ci est invitée à adopter rapidement un cessez-le-feu. Autrement dit, à suivre la voie ouverte par le NUG 24h plus tôt.
L’attitude humaniste du gouvernement d’opposition est prise de fait en exemple
Dans son face-à-face communicationnel avec le régime des généraux putschistes, le NUG veut se montrer urbi et orbi le plus vertueux. Pour cela, il a fait savoir par la voie de son président par intérim, Duwa Lashi La, que les Forces de défense du peuple ont été instruites de se mettre en position strictement défensive. Un versement à hauteur d’un million de dollars a été fait à son administration des secours. Plus symbolique d’une approche politique conciliatrice, il a précisé que sous réserve de garanties de sécurité appropriées des personnels de santé en situation de désobéissance civile (CDM) pourraient même être envoyés dans des zones contrôlés par le SAC pour traiter les blessés.
Quant à ses propres territoires, le NUG met en avant, images à l’appui, ses efforts. On voit ainsi ses personnels voire même des éléphants cornaqués par des soldats des Forces de défense du peuple rouvrir des axes routiers, des hommes en uniformes déblayer les gravas des bâtiments effondrés. Quant à l’assistance humanitaire, le NUG a proposé ses services aux agences des Nations unies, et suggéré d’acheminer les concours d’urgence via les zones frontalières contrôlées par les groupes ethniques armés alliés. Il est vrai que c’est de l’ordre du possible depuis la Thaïlande, le Bangladesh et peut être même depuis les Etats du nord-est de l’Inde (ex. Manipur, Mizoram).
L’Alliance des Trois Fraternités (Kokang, Rakhine, Ta’ang), présente en particulier dans l’État Shan, a déclaré qu’elle contribuerait aux efforts de secours et de reconstruction.
Ces gestes constituent autant d’actes de soutiens aux approches du NUG et pour tout dire à sa légitimité. La lettre de condoléances et de solidarité envoyée par le président timorais, Ramos Horta, au chef de l’exécutif par intérim du NUG s’inscrit dans cette même dynamique politique de soutiens.
Mais pour eux, comme pour bien des acteurs de bonne volonté, la logistique de l’aide va être un casse-tête politique, sécuritaire et matériel. Les infrastructures routières et aéroportuaires ont été fortement endommagées. Cela va non seulement ralentir les convois mais là où sont les populations dans le besoin renchérir l’acquisition des rares bien disponibles.
Avant même la catastrophe, l’inflation était un souci. L’accès aux médicaments était difficile et le pays manquait de matériaux de construction. Les dommages sont par ailleurs tout à fait considérables. Ils ont d’ores et déjà été évalués à plus d’un milliard d’euros. Des infrastructures majeures ont été mises à mal. Elles ne se relèveront pas de sitôt. Cela pèse jusqu’à Rangoun où l’électricité est délivrée au compte goutes plus que jamais (4h par jour au pic de la saison chaude), l’eau manquant en conséquence. Par ailleurs, les craintes d’une pénurie de carburant ont entraîné de longues files d’attente aux stations-service, avant même leur ouverture.
Les télécommunications mobiles et internet s’avèrent, elles, particulièrement instables. De nombreux relais ont été mis à bas. Mais en premier lieu, comme le réclame le Rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’Homme en Birmanie Tom Andrews, la sécurité est primordiale. La junte doit à l’image du NUG proclamer immédiatement un cessez-le-feu et faire en sorte qu’il n’y est « aucune obstruction à délivrer l’aide là où c’est le plus nécessaire car chaque minute compte ».
De cette mise en œuvre dépend très certainement l’avenir institutionnel et politique régional du SAC.
De la bonne volonté et de ses actes peuvent lui valoir de voir son statut et son rang réévalué. Les chefs de gouvernement se retrouveront en Malaisie fin mai, chacun espère depuis quatre années que l’aide humanitaire s’avère l’instrument vertueux pour engager un dialogue inclusif prémices d’une sortie de crise négociée. Un moment donc à ne pas rater pour améliorer le sort de millions de Birmans et pour l’avenir de toute la Birmanie. Daw Aung San Suu Kyi étant semble-t-il saine et sauve ; un geste d’élargissement vis-à-vis des prisonniers, parfois incarcérés comme ceux du centre de détention d’Obo à Mandalay serait bienvenu.
François Guilbert
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Merci pour ce commentaire, on attend le même niveau d’analyse dans nos médias, on peut rêver de…