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BIRMANIE – SÉISME : Le tremblement de terre « Mandalay », le nom qui masque la réalité

Date de publication : 14/04/2025
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reconstruction séisme Birmanie

 

Une chronique du conflit birman par François Guilbert

 

S’il est d’usage de dénommer les phénomènes météorologiques extrêmes, (cf. les cyclones Nargis (2008), Mocha (2023), Yagi (2024)), ce n’est pas commun de le faire pour un tremblement de terre. Qu’à cela ne tienne ! Le Conseil de l’administration de l’État (SAC) vient de choisir le toponyme de « Mandalay » pour désigner le séisme du 28 mars midi. Mais pourquoi ? Et, au fond, est-ce si important ? Une chose est sûre : officiels du SAC et médias en soutien à la junte l’emploient désormais communément dans leurs propos.

 

La terminologie géographique du séisme vise à circonscrire l’ampleur du drame dans les esprits (inter)nationaux. Le qualificatif de Mandalay n’a pas tant pour objet de rendre un hommage particulier aux nombreuses victimes dénombrées dans la deuxième ville la plus peuplée du pays qu’à invisibiliser toutes celles et tous ceux qui ont perdus la vie ailleurs ; en premier lieu dans la capitale mais aussi dans la province rebelle adjacente de Sagaing.

 

Voilà un choix sémantique peu banal et pour tout dire extrêmement politique.

 

En réduisant l’aire du drame par son narratif, la junte signifie qu’il n’y a pas nécessité de regarder ailleurs. Il n’y a pas besoin également de se mobiliser plus avant et surtout d’intervenir à une large échelle, notamment loin des villes contrôlées par le SAC. A dire vrai, le régime militaire s’inquiète des intentions « interventionnistes » affichées par les étrangers, les agences des Nations unies et les organisations non gouvernementales. Tous appellent à mobiliser des budgets conséquents, demandent l’entrée en nombre d’experts et laissent entendre le besoin de déploiements dans la durée à une vaste échelle. Il y va de la bonne mise en œuvre des actions humanitaires et de l’avenir des populations victimisées le 28 mars, et plus largement par la guerre civile qui fait rage depuis plus de quatre années.

 

Cependant, depuis le coup d’État du 1er février 2021, les putschistes n’ont guère été chagrinés de voir la présence étrangère se réduire en province, et celle-ci se replier sur Rangoun. Une rétraction conduisant à des effectifs moins nombreux et bien moins à même de pervertir culturellement la société à leurs yeux. Les cercles dirigeants de la Tatmadaw ne veulent surtout pas que la gestion post-séisme soit l’occasion d’une réinstallation étrangère dans le pays et, à fortiori, là où elle croit tenir ses bastions et, plus encore, là où sont sis ses ennemis. Les politiques coercitives portent sur les personnes mais aussi sur les télécommunications. Les appels à la levée immédiate des restrictions d’accès à internet ont été ignorés. Il en a été de même de la proposition de la Starlink de fournir des kits pour répondre aux besoins des opérations de secours.

 

Dans un tel contexte politique, parler désormais du tremblement de terre de Mandalay sonne comme une préparation des esprits à une nouvelle fermeture du pays après le temps court et circonstancié octroyé aux près de 800 sauveteurs (biélo)russes, aseaniens et riverains. Il s’agit de clore, au plus vite, le temps de l’internationalisation du drame, symbolisé par le déploiement de la trentaine d’équipes de 13 pays venue localiser des survivants et soutenir les communautés dans leurs heures les plus sombres. De plus, comme l’a rappelé avec force le numéro 2 de l’armée et du gouvernement : les équipes de secours ne sont pas et ne seront pas autorisées à opérer de manière indépendante. Elles doivent obtenir des agréments préalables pour agir, qui d’ailleurs ne leur seront accordées que si elles coopèrent avec les autorités du SAC. Ce qui a été vrai et réaffirmé au pic du cataclysme n’a pas de raison de changer. D’ailleurs pour les opérations de réhabilitation et de reconstruction, la junte n’a pas jusqu’ici fait appel à l’aide internationale. Les besoins sont pourtant immenses et hors de portée des ressources financières de la junte.

 

Les dégâts ne sont pas circonscrits à une seule ville et une seule région du pays
A dire vrai, l’onde du choc meurtrière s’est propagé tout le long de la faille dite de Sagaing. Sur son chemin, elle a martyrisé la Birmanie sur près d’un cinquième de ses townships. Bien que des dommages aient été également enregistrés au sud de l’Etat Shan, l’épicentre de la catastrophe se trouve au cœur même du pays bamar, autrement dit, les provinces de Mandalay et de Sagaing, le territoire-capitale et, dans une moindre mesure, les régions de Bago et Magway. Au total en attirant l’attention narrative sur une seule ville et province symbole, il s’agit de faire oublier que de nombreux autres espaces urbains ont été victimisés et qu’ils font face, seuls, aux conséquences matérielles, corporelles et émotionnelles de la centaine de secousses telluriques enregistrée depuis une quinzaine de jours.

 

Globalement, le régime manque cruellement d’empathie pour ses concitoyens. A titre d’exemple, il offre tout juste 200 euros par victime aux familles endeuillées. Plus généralement, il ne se met pas en situation de faire face à un drame d’ampleur, en répondant, par exemple explicitement, aux besoins des 2 millions de personnes qui viennent de s’ajouter à la liste de ceux ayant déjà un besoin d’assistance humanitaire et de protection d’urgence (+46,5%). N’oublions pas d’ailleurs que 3,6 millions étaient déjà en insécurité alimentaire dans les territoires malmenées par la croûte terrestre. 45,7% des déplacés intérieurs par la guerre civile y étaient aussi dénombrés par les Nations unies. Enfin, plus de 500 000 ressortissants dont 173 000 femmes enceintes n’ont plus accès à des services de santé vitaux. Autrement dit, il s’agit de prendre pleinement en compte les 17,2 millions de Birmans qui vivent dans les régions affectées par le séisme (dont 9,1 millions dans les zones les plus touchées), soit un tiers de la population totale. Le sort des femmes et des hommes mais également leur environnement économique.

 

Pour ce qui concerne les coûts financiers de la catastrophe, on évoque dans les milieux étrangers déjà de près 8 milliards de dollars de destruction. C’est pourquoi, les relais de l’armée appellent mezza voce à la levée des sanctions internationales et au dégel du milliard de dollars retenu à la réserve fédérale américaine depuis le putsch. Mais la mobilisation de ces ressources ne saurait suffire. En attendant, il conviendrait que le conseil militaire s’attèle avec plus d’énergies aux dimensions agricoles du drame mais en a-t-il la volonté et les moyens ? Il y a pourtant urgence.

 

La zone touchée par le tremblement de terre produit un tiers des céréales et près de 80 % du maïs, tout en comptant une grande partie du bétail national. Les rapports préliminaires sur les zones touchées mettent en évidence des dommages aux infrastructures d’irrigation, en particulier dans la zone sèche centrale, où l’activité agricole dépend fortement d’un complexe système de barrages, de digues et de fragiles berges fluviales. Sur le plan de la sécurité énergétique et des personnes, une évaluation rigoureuse des retenues d’eau s’imposerait. Les bassins connaissent actuellement leur plus bas niveau mais ils vont rapidement se remplir, d’autant que la saison des pluies s’annonce avec quelques semaines d’avance. Mais pour faire réellement face, encore conviendrait-il que l’État ne soit pas dysfonctionnel or ses infrastructures sont probablement plus endommagées qu’il ne veut bien l’admette, tout au moins publiquement.

 

À Nay Pyi Taw, le régime militaire minimise l’ampleur de la dévastation

 

Peu d’images circulent sur l’état de la capitale. Le SAC veut éviter tout débat sur les défauts de construction imputables aux régimes militaires passés et/ou à ses partenaires bâtisseurs chinois. Pourtant de nombreux bâtiments publics n’ont pas résisté à la secousse tellurique du mois dernier (ex. centre de gestion des catastrophes, cour constitutionnelle, habitats de fonctionnaires et de généraux à la retraite, ministères des affaires étrangères, de la santé et du travail, Palais présidentiel, parlement…). Ce sont d’ailleurs les immeubles les plus récents qui se sont le plus rapidement effondrés.

 

Les obstacles au bon fonctionnement de l’appareil d’État sont sensés disparaître d’ici la fin du mois d’avril. Aucun chiffrage des dégâts n’a été énoncé publiquement mais personne ne croit qu’un retour à la normal se fera si vite. C’est si vrai que de nombreuses familles de hauts fonctionnaires sont revenues vivre sur Rangoun. On murmure aussi que plusieurs administrations de Nay Pyi Taw pourraient se voir relocaliser un temps dans l’ex-capitale. A ce stade, les plus hautes instances de la junte s’y refusent. Il s’agit d’éviter d’étayer l’idée que les esprits de la terre se sont eux aussi soulevés contre les généraux putschistes.

 

Mais au-delà de considérations superstitieuses, invisibiliser autant que possible les destructions dans la capitale, c’est affirmer urbi et orbi que la capacité d’action du SAC et de ses forces militaires sont intactes. A cet égard, il est à craindre que la Tatmadaw veuille autant que possible poursuivre ses opérations de combat, notamment ses bombardements aériens quotidiens, pour démontrer que sa détermination et ses moyens sont intactes. Cet état d’esprit augure mal de la mise en œuvre effective de son cessez-le-feu appelé, selon ses dires, à courir jusqu’au 22 avril. Annihiler l’opposition armée demeurant l’objectif numéro 1 de la junte, elle entend dès lors tout faire également pour que la province de Sagaing ne soit pas perçue comme une vaste zone victimisée.

 

Il faut parler le moins possible des dommages et des victimes de la région de Sagaing où l’opposition armée a su s’installer dans la durée

 

D’ailleurs dans les décomptes des tués et des blessés, le SAC se garde bien d’estimer les populations concernées dans les zones qu’il ne contrôle pas. Admette qu’il puisse y avoir sur ces territoires des victimes en nombre, ce serait implicitement considérer qu’il conviendrait de leur venir en aide d’une manière ou une autre. Or, il n’en est pas question jusqu’ici.

 

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, dans 14 des 58 townships situés dans les zones où l’intensité sismique a été la plus élevée, des difficultés majeures d’accès humanitaires sont à déplorer. Elles sont principalement concentrées dans le nord de la région de Sagaing, la partie septentrionale de l’État Shan et orientale de la province de Bago, soit là où co-agissent les Forces de défense du peuple (PDF) du gouvernement d’opposition (NUG) et les unités des groupes ethniques armés.

 

Dans les faits, environ 1,2 million de personnes se trouvent dans des circonscriptions avec des défis d’accès extrêmes. 4,5 millions d’autres résident, elles, dans des zones avec des contraintes modérées. Ce qui signifie au bas mot que plus de 63,3 % des Birmans touchés par le tremblement de terre dit de Mandalay sont peu ou pas accessibles pour des raisons essentiellement politiques, en particulier aux agences spécialisées des Nations unies et aux organisations non gouvernementales internationales. Les bailleurs de fonds étrangers ne devront pas l’oublier. C’est un défi politico-humanitaire majeur. Il est d’autant plus à prendre en compte qu’approche la saison des moussons, des cyclones, des inondations et des glissements de terrain avec leurs lots de drames et de propagations des maladies vectorielles.

 

François Guilbert

 

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