Chaque semaine, l’actualité de la Birmanie par François Guilbert
Le 12 juin, la Banque mondiale a fait connaître sa nouvelle évaluation de la trajectoire économique 2024 de la République de l’Union du Myanmar. Rien de très encourageant pour la population, pour les investisseurs nationaux et étrangers. L’ajustement des perspectives macroéconomiques par rapport à la prévision précédente est même pour le moins préoccupant.
L’accentuation de la guerre civile accélère le ralentissement économique.
L’institution financière internationale a divisé par deux son évaluation passée. Désormais, les experts voient plafonner le taux de croissance de cette année à 1 %. On est bien loin des promesses de relance faites par le Conseil de l’administration de l’État (SAC) au lendemain de sa prise de pouvoir. Le régime qui dénonçait l’incurie des politiques publiques du gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi n’a rien trouvé de mieux que de transformer une économie prometteuse en celle d’un pays en état de guerre permanente. Les dépenses de défense y représentent 4,1 % du produit intérieur brut et près de 20 % des crédits consommés annuellement par l’État. Par ailleurs, l’inflation birmane est la plus élevée de toute l’Asie du sud-est et la dette publique ne cesse de progresser. En trois années, elle est passée de 42 % du PIB à 63 %. Une dynamique désastreuse qui plonge toute la population dans la pauvreté. 70 % des habitants sont dorénavant considérés comme étant économiquement vulnérables. Un habitant sur quatre n’a plus suffisamment à manger.
Le régime du général Min Aung Hlaing a « réussi » le tour de force de transformer une économie en développement en une économie d’un pays à l’État « faillissant ». Il est à craindre que le déclin ne s’accentue encore. Le SAC poursuit son effort de guerre incessant. Après avoir initié la conscription des hommes au cours des deux derniers mois, il s’apprête à faire la même chose avec les femmes. Suite à l’annonce de la mobilisation de ces cohortes pour la fin 2024 puis y avoir presque immédiatement renoncé publiquement, aujourd’hui, dans les quartiers des listes féminines d’enrôlement se font jour. La Tatmadaw a toujours autant de besoins de ressources humaines mais elle ne parvient pas à les satisfaire. Les embrigadements masculins de conscrits depuis avril d’officiellement 5000 hommes par mois ou de milliers de personnels à la retraite, soudainement rappelés sous les drapeaux, ne suffisent manifestement pas. Voilà donc de nouvelles charges pour l’État mais aussi un additif de pertes de main d’œuvre dans les campagnes et les entreprises privées urbaines. La conscription est devenue un des maux de l’économie de la Birmanie. A celui-ci, la junte en a ajouté un de plus à la fin mai. Il couvait depuis longtemps : l’interdiction et la répression de l’utilisation des réseaux privés virtuels (VPN).
En voulant bloquer l’accès à Facebook, aux applications de messagerie interactive et aux sites d’information non officiels, la junte ne restreint pas seulement les libertés des citoyens, elle pénalise lourdement son économie.
Le SAC fragilise les entreprises qui ont recours quotidiennement au numérique et détruit un grand nombre de leurs emplois. Il s’en défend mais dans la pratique il n’en est rien, d’autant que les coupures de communication se pratiquent dans 13 des 14 États et régions du pays. La digitalisation des services est ralentie. Les paiements en ligne ne peuvent pas progresser aux rythmes très soutenus des États voisins. Les personnes qualifiées cherchent, elles, à s’employer au plus vite à l’étranger. Quant aux détenteurs de licences d’exploitation, ils se montrent particulièrement restrictifs dans leurs offres. Ils ont peur d’être en porte-à-faux avec les attentes d’un régime qui ne le précisent pas en détails. Ils bloquent donc d’eux-mêmes l’accès à des sites aux caractères souvent non-subversifs. La publication de listes comprenant des centaines de sites agréés par le régime ne change rien, ne rassure en rien. Mais la mise en cause des réseaux sociaux et de Facebook au premier chef vise surtout à restreindre tous les accès, y compris Instagram, WhatsApp ou encore Twitter, en un mot à tout ce qui offre de la connectivité non-contrôlée entre les individus. Ces mises à l’écart fonctionnent. Depuis le début de l’année, selon l’agence Statecounter, l’utilisation de Facebook aurait diminué de moitié. C’est pourquoi tout en luttant contre les VPN le régime militaire a proposé à son partenaire entrepreneurial de mettre en place de nouvelles messageries à sa main. L’enjeu est considérable. En avril 2024, Facebook comptait 20 358 900 utilisateurs (52,8 % d’hommes), soit 35,8 % de la population. Mais pour les échanges privés ou professionnels, l’outil d’échanges alternatifs (Myspace) ne rencontre pas encore un franc succès, faute de confiance dans un opérateur trop étroitement lié à l’institution militaire et à son avenir. Qu’à cela ne tienne, le SAC compte sur l’usure du temps, sur les contraintes pérennes sur les VPN employés jusqu’ici et une dose supplémentaire de répression (1 à 3 ans de prisons pour les utilisateurs) pour parvenir enfin à ses fins : bannir définitivement du pays les sites d’information non-autorisés, Facebook et autres réseaux sociaux non maîtrisés.
Mettre à mal les messageries, c’est affaiblir l’économie et l’État
Sans que cela constitue apparemment un problème pour le régime qui n’en a pas même étudié préalablement les impacts économiques et administratifs, la lutte du SAC contre les VPN met pourtant aussi à mal le fonctionnement de l’appareil d’État. Nombre d’agents publics communiquent et s’informent quotidiennement pour leur travail via les messageries bannies et des sites en ligne or ceux-ci deviennent inaccessibles ou tout au moins très intermittents. C’est donc leur travail qui est mis à mal. Mais l’interdiction de recourir aux VPN participent d’abord de la politique d’intimidation, de terreur du régime voire d’un projet politique chaque jour plus totalisant. Les contrôles de la téléphonie se font dans la rue, les lieux de passage ou de résidence ; en bref à la vue de tous. Mais au-delà des lieux d’affrontements armés où sont coupées toutes les communications et accès à internet (plus de 80 townships), les inspections des appareils téléphoniques sont autant l’occasion d’identifier les contrevenants que de soutirer de l’argent aux interpellés. Un racket juteux qui est bien évidemment de notoriété publique mais qui ne suscite pas la moindre réprobation ou réaction des putschistes et de leurs affidés. De facto, tout est bon pour offrir quelques subsides aux relais du pouvoir et pour contrecarrer l’influence des oppositions.
L’information est continuellement perçue par la haute hiérarchie militaire comme la voie du chaos.
Le chef de la junte la considère même comme l’expression de la « mentalité destructrice » du peuple birman à l’origine de la détérioration sécuritaire des trois dernières années. C’est le raisonnement que le général Min Aung Hlaing a tenu lors de la réunion du cabinet le 7 juin, rencontre au cours de laquelle il fustigea également les « personnes égoïstes » manipulant les marchés des changes et utilisant l’ « argent sale » pour acquérir des biens immobiliers à l’étranger, à commencer par la Thaïlande voisine.
Faisant fi des conséquences économiques et commerciales de ses intentions de contrôles d’accès aux réseaux de communication, des mises en garde répétées et vocales de la Chambre de commerce et d’industrie nationale, le SAC a instruit le ministère du Transport et des communications de trouver une parade aux VPN laissant entrer dans le pays des flux d’information non maîtrisés. Pour répondre à cette attente de première importance, le vice-ministre, le général de brigade Lu Mon, et le département des technologies de l information et de la cybersécurité (ITCS) se sont appuyés avec succès sur l’entreprise privée Mascots Technologies & Telecommunication.
Depuis une quinzaine de jours, il semble bien que la plupart des VPN employés jusqu’ici soient bloqués ou tout au moins fortement perturbés par le Secure Web Gateway mis en place.
La solution technique apportée pourrait bien avoir bénéficié de conseils d’ingénieurs chinois. Rien ne dit toutefois que ceux-ci relevaient directement d’autorités gouvernementales de leur pays, bien que cela ne puisse d’emblée être exclu. Un schéma coopératif intergouvernemental sino-birman dans ce domaine est tout sauf improbable. Certes, Pékin a beaucoup à redire sur la manière dont le SAC conduit ses affaires depuis le coup d’État et sur son incapacité à stabiliser la situation politico-sécuritaire jusqu’à ses frontières, pour autant, la Chine a tout à gagner dans une coopération dans le domaine de la cybersécurité et le contrôle de l’accès à l’information. Elle lui offrirait un levier durable sur ses interlocuteurs d’État à Nay Pyi Taw, sur une administration au cœur de l’appareil de sécurité et un moyen d’obtenir des informations sur les réseaux criminels cyber qu’elle dit vouloir traquer. En attendant, l’application de messagerie chinoise WeChat est bien accessible dans la Birmanie des généraux, tout comme ses pendants russe (VK) ou sud-coréen (KakaoTalk). Quelles que soient les évolutions des pratiques coercitives sur les réseaux de communication, le SAC n’en a certainement pas fini avec les messageries qui véhiculent des échanges de conversations hostiles à sa politique et à ses projets.
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