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BIRMANIE – TOURISME : Sagaing, un site chargé de légendes et d’histoires

Journaliste : Guy Lubeigt
La source : Gavroche
Date de publication : 10/05/2020
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Capitale de la région qui porte son nom, Sagaing, avec ses milliers de temples, pagodes, monastères, couvents, centres de méditation, écoles… est un important centre religieux où les moines viennent apprendre et pratiquer le bouddhisme. Située à 20 kilomètres au sud-ouest de Mandalay, sur la rive droite de l’Irrawaddy, réputée comme un grand centre artisanal, les collines et pics granitiques dont certains s’élèvent à plus de 240 mètres lui donnent un cachet incomparable, très prisé des voyageurs photographes. Ce reportage nous est proposé par les archives de notre magazine.

 

En vingt minutes, la traversée à pied du pont de Yadanabon (1600 mètres) qui relie Sagaing à Mandalay permet d’observer la puissance du fleuve, les va-et-vient incessants des bateaux, les berges où s’accrochent les radeaux de billes de teck et surtout d’admirer ces stoupas blancs ou dorés posés sur des pics de granite qui dominent la vallée de l’Irrawaddy. Sagaing apparaît dans l’histoire dès la période de Pagan (IXe siècle).

 

Il y a un millénaire, l’empereur conquérant Anôratha (1044-1077) circulait déjà dans cette région qui fourmille de sites préhistoriques et historiques. Ses successeurs ont fait de même pendant les siècles suivants. Les souverains birmans et shans ont construit de multiples capitales souvent proches les unes des autres (Pinya, Sagaing, Shwébo, Ava, Amarapura, Kyaukmyaung et Mandalay, dernière capitale des rois de Birmanie). La prédilection de tous ces souverains pour cette région est sans doute liée à des raisons pratiques : la longue échine granitique des collines de Sagaing présente un aspect stratégique indéniable, car elle permet d’observer et de contrôler tous les transports fluviaux qui transitent sur le fleuve entre la Chine, l’Inde et l’Océan indien. Elle domine et sépare les plaines de Birmanie centrale, nées des fleuves Mu (à l’ouest), Irrawaddy (au centre), Myitngè (à l’est), Myintngè, Zawgyi et Panlaung (au sud).

 

Sagaing fut fondée en 1315, après la chute de Pagan, sur la rive droite de l’Irrawaddy, au pied des collines. Un chef de tribu qui passait par là, Athin Khaya (un des fils du Shan Thihathu qui, avec ses deux frères, s’étaient emparés de la succession des rois de Pagan), s’installa dans la bourgade. Mais il dépendait du roi Shan de Pinya et, après s’être affranchi de sa tutelle, se déclara indépendant. Sagaing devint sa capitale en 1322. Athin Khaya s’enrichit d’autant plus vite qu’il contrôlait les plaines rizicoles et le commerce sur l’Irrawaddy (Une autre raison n’est jamais mentionnée : une mine de rubis, située à 20 kilomètres au nord de l’actuelle Mandalay, qui ne laissait pas les rois indifférents. Les rubis sont incrustés dans une gangue de marbre blanc. On peut y tailler des tables superbes mais, en plus de leur poids, c’est un peu difficile à glisser dans un sac à dos…, ndlr). Les lieux étaient idylliques : le fleuve poissonneux longeait des collines verdoyantes et giboyeuses, ses berges étaient ombragées par de grands arbres et, à la pointe sud des collines, s’étendait un vaste espace favorable aux activités portuaires.

 

En 1364, Thado Minbya, le petit-fils du fondateur, décida pourtant d’abandonner les lieux. Il traversa le fleuve pour s’établir dans une petite ville située sur l’autre rive, Ava. Des remparts de sa nouvelle capitale, Thado Minbya pouvait désormais jouir d’une vue magnifique sur les collines de Sagaing. Quoiqu’il en soit, il fortifia la ville et en devint le premier roi. Il était en mesure de contrôler le fleuve, les transports du riz cultivé dans le bassin du Myintngè et la région de Kyauksè, le commerce entre la Chine et l’Océan Indien et les mines (or, cuivre, pierres précieuses) de la région. Tout était en place pour qu’Ava prenne un essor qui allait lui permettre de contrôler l’Indochine continentale pendant quatre siècles.

 

Malgré tous ses avantages, Sagaing souffrait d’un énorme handicap: les collines manquent d’eau. Les abrupts versants granitiques ne portent aucune culture. Pas la moindre source à l’horizon, raison pour laquelle les habitants de la région ne s’y sont pas établis. A l’inverse, cette zone repoussoir fut une aubaine pour les religieux (il y en aurait plus de dix mille dans les collines : moines, nonnes, disciples, ermites…) qui voulaient méditer et se tenir à l’écart du monde.

 

On accède aux collines de diverses manières. En voiture pour les voyageurs pressés, ou à pied pour ceux qui préfèrent emprunter les nombreux chemins qui serpentent entre les monastères et conduisent aux chemins des crêtes. En charrette à cheval (le célèbre « poney cart ») pour se faire conduire devant un escalier desservant les innombrables grottes abritant souvent des peintures murales, tel le célèbre temple-caverne de Tilokaguru (1672). A la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand les Alliés voulurent déloger les forces japonaises qui occupaient Mandalay, toute la population de la ville (300 000 personnes) se réfugia dans les grottes de Sagaing. C’est de là que les habitants purent observer les bombardements sur le Fort Dufferin et voir flamber les derniers palais qui témoignaient de la splendeur et du faste des souverains birmans. Les collines, truffées de monastères, sont encadrées par deux pistes routables parallèles, longues d’une trentaine de kilomètres, plus ou moins mal entretenues qui, au départ de Sagaing, suivent les versants Est (vallée de l’Irrawaddy) et Ouest des collines. Ces voies sont coupées de nombreux chemins transversaux qui mènent vers des monastères inconnus. Après avoir traversé des zones isolées (on n’y rencontre que des fantômes puisqu’il n’y a pas âme qui vive) et des paysages spectaculaires, la voie Ouest, surplombée de hautes falaises, traverse le chaînon de Sagaing pour rejoindre la voie Est au niveau de la pagode Sinbyoumè au nord de Mingoun.

 

A la pointe sud des collines s’élève le stoupa doré (autrefois il était blanc) de la pagode Soon-Oo Pon Nya Shin, que l’on atteint aisément par la route ou en suivant des escaliers couverts dont l’entrée est gardée par des lions mythiques, à la base du versant. C’est le plus grand des stoupas de Sagaing. Apparu miraculeusement au cours d’une nuit, sans lune comme il se doit, grâce aux pouvoirs magiques d’un brahmane volant venu de l’Himalaya en compagnie de sept ermites pour rencontrer le Bouddha. Ce brahmane était l’ancêtre du ministre-poète U Ponnya. Édifié en 1322, le monument aurait été agrandi au XIXe siècle. Selon la foisonnante mythologie des lieux, les bols à aumônes laissés pour les moines se remplissent comme par magie pendant la nuit.

 

Dans le temple, deux grandes statues en bronze, inattendues en ces lieux : un lapin qui se régale avec une carotte et une souriante grenouille à roulettes qui fait office de tronc ! Les fidèles expliquent qu’un ancêtre de la grenouille aurait avalé toutes les collines, c’est pourquoi sa descendante en aurait la forme. Quant au lapin géant, il avait son terrier sous le stoupa. De quoi renforcer les fondations ! La plateforme du stoupa offre un panorama à couper le souffle (surtout quand on a monté les 350 marches). Des bancs en céramiques émaillées aident à le retrouver. Les mamans y jouent avec leurs enfants et les amoureux adorent y papoter. A un kilomètre au nord, la terrasse en arc de cercle du temple-grotte Umin Thonze (la grotte des Trente Bouddhas), décorée par un Gaudi Birman inspiré par les céramiques émaillées et colorées et dont la galerie ouverte abrite des bouddhas nichés, offre un autre panorama sur les collines.

 

Le moine bâtisseur

 

Pendant des siècles les moines qui voulaient se tenir à l’écart du monde furent bien obligés de vivre au quotidien sans eau. Leurs fidèles apportaient chaque matin leur nourriture. Mais ceux qui n’avaient pas de disciples pour effectuer les corvées à leur place étaient obligés de descendre jusqu’au niveau du fleuve pour se procurer cette source de vie… et s’y baigner.

 

De quoi limiter les vocations des apprentis ermites. Mais un matin, un jeune moine érudit, Ashin Nyaneithara, eut une idée de génie qui ne mangeait pas de riz. Très simple à mettre en pratique : il fallait de l’argent. Basé sur le crédo du « Dhamma is money » (le Dhamma est l’enseignement du Bouddha), son plan rencontra l’approbation immédiate des fidèles de Mandalay. Les donations affluèrent et servirent pour l’achat et l’installation de quatre puissantes pompes pour puiser l’eau du fleuve et la distribuer, par l’intermédiaire d’un extraordinaire puzzle de canalisations et tuyauteries, dans tous les monastères des collines. Ce fut un succès. Ashin Nyaneithara y gagna la célébrité. Désormais connu comme Thithagu Séyadô, du nom de son monastère, il est devenu le moine le plus célèbre de Birmanie. Comme un ambassadeur, Il se déplace dans une grosse 4×4 munie d’un fanion bouddhique.

 

Son aura provient aussi du fait qu’en 1988, il fut le seul à venir en aide aux étudiants révoltés contre la junte du dictateur Ne Win. En 2008, il fut également le premier à aider les victimes du Cyclone Nargis (150 000 morts et deux millions de sinistrés) en envoyant, depuis Mandalay, des bateaux chargés de provisions que ses disciples redistribuaient aux victimes. Après l’approvisionnement en eau des monastères, le Séyadô a fait construire une petite clinique pour prendre soin de la santé des religieux isolés dans les collines. Le succès était encore au rendez-vous.

 

La clinique devint un grand hôpital, ouvert aussi au public, spécialisé dans l’ophtalmologie (les moines souffrent souvent de la cataracte). Le fonctionnement en est assuré bénévolement par des praticiens de Mandalay. L’avant-dernière réalisation du Séyadô est la création, en 1994, d’une université bouddhique où plusieurs centaines de jeunes moines, sélectionnés sur leurs capacités, peuvent suivre un cursus complet en anglais dans des salles de classe bien équipées en ordinateurs. L’ensemble est disposé autour du dôme d’un grand stoupa copié sur le modèle de celui de Sanchi.

 

La dernière réalisation du Séyadô est tout aussi pharaonique : un centre de méditation international composé de 500 cellules individuelles disposées dans un cadre idyllique au pied des collines. Le Séyadô Thithagu, qui atteindra 80 printemps en 2017, prendra sa retraite dans ce cadre apaisant…

 

Guy Lubeigt

 

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