Les vingt-quatre familles de Cambodgiens qui occupaient un bâtiment riverain du lycée français René-Descartes devraient déménager pour permettre à l’établissement scolaire de s’agrandir. C’est un conflit foncier emblématique qui s’achève à Phnom Penh, sans heurts ni intervention musclée.
Jeudi 7 mai, les dernières familles qui occupaient le bâtiment C du lycée français René-Descartes ont apposé leurs empreintes digitales sur la proposition d’indemnisation de la municipalité.
L’affaire, particulièrement sensible, remonte à 2001. Cette année-là, l’ambassade de France, désireuse d’agrandir son établissement scolaire, achetait l’usufruit d’un bâtiment jouxtant le lycée Descartes, abritant jusque-là une école de gestion. Problème : rien n’avait été prévu pour le relogement des vingt-quatre familles qui avaient élu au quatrième étage de l’immeuble, pour certaines depuis la chute du régime khmer rouge en 1979. Au rez-de-chaussée du bâtiment, plusieurs commerces avaient été ouverts par ces mêmes habitants.
« relogés » aux « squatteurs »
En 2006 intervient la cession officielle du bâtiment. Dès lors, les vingt-quatre familles sont considérés comme des « squatteurs ». La tension monte d’un cran à partir du mois de mars, dans la perspective de la visite officielle du Premier ministre Hun Sen à Paris. Quelques mois après l’expulsion violente du bidonville des Terres rouges, sous les yeux des journalistes et des ONG, pas question de donner à nouveau cette image désastreuse d’un gouvernement incapable de respecter le droit au logement.
Dans cette perspective, les élèves et leurs parents ne restent pas inactifs. Les lycéens élisent deux représentants pour suivre le dossier en leur nom. L’un d’eux, Raimondo Pictet, inscrit en classe de Terminale, apporte régulièrement son soutien aux habitants en se rendant à leurs réunions, et en organisant une manifestation devant le lycée, le 9 avril dernier. Quelques jours après, celui-ci publie une lettre ouverte sur Internet, rappelant la « responsabilité morale » du lycée et de l’ambassade. Margherita del Balzo, parent d’élève, fait circuler une pétition appelant à une solution négociée et respectueuse du conflit.
Diviser pour régner
Ce n’était pas une mince affaire : alors que la municipalité prévoyait d’indemniser les familles à hauteur de 8 000 à 13 000 dollars, assortis ou non d’un terrain en périphérie de Phnom Penh, certains d’entre eux exigent des sommes allant jusqu’à 40 000 dollars. D’où la tenue de négociations séparées, famille par famille, pour tenter d’arracher des accords au cas par cas. « C’est classique, dans la gestion des conflits fonciers, d’essayer de diviser les personnes concernées en leur proposant des compensations différentes », relève Brian Rohan, avocat et parent d’élève, lors d’une réunion des habitants dans les locaux contestés, le 29 avril dernier. Les habitants, eux, hésitent quant à la stratégie à adopter : « Impliquer les médias et les ONG n’a pas empêché le conflit des Terres rouges de s’achever sur un désastre », rappelle l’un d’entre eux. Le lendemain, néanmoins, les huit chefs de famille ayant refusé la proposition municipale se retrouvent devant l’ambassade de France, brandissant des banderoles sur lesquelles est écrit, en khmer: « Vous avez besoin de l’école, nous avons besoin d’un logement ».
Pas confiance en la justice
Une semaine plus tard, le 5 mai, la police prend position au pied du bâtiment C du lycée Descartes. Sous le regard d’une trentaine d’hommes armés, des ouvriers érigent une palissade autour des commerces tenus par les habitants, afin de les empêcher de poursuivre toute activité. Lassés, plusieurs familles acceptent l’indemnisation de la mairie. Au point que, le 7 mai, ils ne sont plus que trois chefs de famille à faire le pied de grue devant l’ambassade de France pour remettre une lettre à un représentant. Le soir même, les trois irréductibles acceptent la nouvelle proposition municipale : 20 000 dollars par famille. « C’était leur dernier mot,soupire Kim Vichet. On nous a dit que si nous refusions, nous n’avions qu’à aller devant la justice. Et dans ce pays, on sait à qui appartient la justice… » Quant aux parents d’élèves, ils restent vigilants : «Nous espérons maintenant que l’éviction se fera à la fin de l’année scolaire cambodgienne », souligne Margherita del Balzo. Interrompre la scolarité des Cambodgiens, inscrits dans des écoles du quartier, pour améliorer celle des Français serait, pour le moins, un symbole malheureux.
A Phnom Penh,
Adrien Le Gal.