L’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International tire le signal d’alarme sur l’État d’urgence que s’apprête à décréter au Cambodge le premier ministre Hun Sen, en justifiant de la nécessaire mobilisation contre le coronavirus. Selon celle-ci, les pouvoirs d’urgence proposés auront pour conséquence d’anéantir les droits de l’homme.
Nous reproduisons ici le résumé du rapport sur le Cambodge d’Amnesty International
Le projet de loi répondant à l’épidémie de COVID-19 permet des pouvoirs d’urgence illimités. Il permet d’interdire le partage d’informations qui “pourraient effrayer le public” ou “prêter à confusion” et prévoir des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 10 ans pour désobéissance ou obstruction aux mesures d’urgence
Ce projet de loi sur la gestion de la nation en état d’urgence a été divulgué pour la première fois le mardi 31 mars, puis vérifié par un fonctionnaire du gouvernement. Le Premier ministre Hun Sen a suggéré lundi que le projet de loi soit envoyé au Conseil des ministres pour approbation le vendredi 3 avril, avant d’être envoyé à l’Assemblée nationale, au Sénat et finalement au Roi pour promulgation.
Les autorités cambodgiennes doivent de toute urgence retirer ou remanier en profondeur la loi sur l’état d’urgence, qui constitue une grave menace pour les droits humains au Cambodge, a déclaré Amnesty International jeudi 2 avril
” Ces pouvoirs sans précédent sont totalement disproportionnés et menacent de porter atteinte de manière permanente aux droits humains de tous les Cambodgiens ” estime Nicholas Bequelin, directeur régional d’Amnesty International.
Mesures disproportionnées
“Toute mesure d’urgence répondant à la COVID-19 ou à d’autres situations d’urgence doit être proportionnée, strictement nécessaire et avoir le moins d’impact possible sur les droits de l’homme. Au lieu de cibler les critiques et de promulguer cette loi draconienne, le gouvernement cambodgien devrait se concentrer sur la protection du droit à la santé par la prévention et le traitement de COVID-19″.
Le projet de loi ne contient aucun mécanisme de contrôle ou de révision périodique des états d’urgence, le gouvernement étant seulement tenu d'”informer régulièrement” l’Assemblée nationale et le Sénat des mesures d’urgence prises. Il permet également l’invocation de la loi martiale “en cas de guerre ou dans toute autre circonstance où il existe un risque grave pour la sécurité nationale”, ce qui peut être interprété largement.
Coup de force brutal
“Cette loi doit être considérée pour ce qu’elle est – un coup de force brutal qui cherche à manipuler la crise COVID-19 afin de porter gravement atteinte aux droits de l’homme de chacun au Cambodge. Le gouvernement cambodgien doit retirer le projet de loi ou l’amender substantiellement afin de le rendre conforme aux normes internationales en matière de droits de l’homme”.
12 nouveaux pouvoirs d’urgence incluent la surveillance technologique et la censure
Le projet de loi confère 12 pouvoirs spécifiques au gouvernement en temps d’urgence, en plus d’une clause fourre-tout conférant des pouvoirs illimités en autorisant toute “autre mesure jugée appropriée et nécessaire en réponse à l’état d’urgence”. Les dispositions de la loi, rédigées en termes vagues, permettent une interprétation large qui pourrait être utilisée pour cibler toute personne qui critique le gouvernement ou qui partage des informations sur le virus ou d’autres situations d’urgence.
Les pouvoirs spécifiquement nommés comprennent des dispositions permettant d’effectuer une surveillance sur tous les moyens de télécommunication “par tous les moyens nécessaires”, et le pouvoir d’interdire ou de restreindre la “distribution d’informations qui pourraient effrayer le public, provoquer des troubles, ou qui peuvent avoir un impact négatif sur la sécurité nationale, ou qui peuvent causer une confusion en réponse à l’état d’urgence”. Les autres pouvoirs comprennent les restrictions à la liberté de mouvement et de réunion, la saisie de la propriété privée et le pouvoir d’appliquer des quarantaines.
Sanctions pénales sévères
La loi prévoit des sanctions pénales sévères en cas de non-respect des mesures d’urgence. Le fait de “bloquer ou d’entraver délibérément l’exécution des mesures liées à l’état d’urgence” est passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans, pouvant aller jusqu’à dix ans “si cela provoque des troubles civils ou affecte la sécurité nationale”. La “désobéissance volontaire” à l’un des pouvoirs d’urgence créés par la loi est passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à un an, pouvant aller jusqu’à cinq ans si cette “désobéissance” provoque des troubles civils. Les personnes morales telles que les médias et les organisations non gouvernementales qui enfreignent la loi s’exposent à une série de sanctions supplémentaires, dont la dissolution.
Aucun précédent
L’article 22 de la Constitution cambodgienne prévoit l’état d’urgence, stipulant que “lorsque la nation est confrontée à un danger, le Roi, avec l’approbation conjointe du Premier ministre, du Président de l’Assemblée nationale et du Président du Sénat, fait une proclamation au peuple mettant le pays en état d’urgence”. L’état d’urgence n’a jamais été invoqué auparavant au Cambodge et il n’existe aucune législation régissant les situations d’urgence.