Faire la cuisine tout en luttant contre la déforestation, c’est possible. Dans le royaume khmer où la préservation de l’environnement est loin d’être une priorité pour la population, des actions innovantes ont permis au pays de progresser sur la voie du développement durable.
À Poum Banhchkol, dans la province de Kompong Chhnang, au nord-ouest de la capitale cambodgienne, des bruits sourds résonnent dans les allées du village.
À l’abri du soleil, quelques femmes fabriquent des fours à partir d’argile et d’eau. Ces foyers de cuisson ressemblent à s’y méprendre à tous ceux que l’on peut apercevoir un peu partout dans le pays à l’heure des repas.
Mais ceux-ci, appelés New Lao Stoves (NLS), ont un avantage indiscutable sur leurs concurrents : ils permettent de lutter contre la déforestation qui fait des ravages dans le pays.
Au Cambodge, le bois couvre plus de 80% des besoins en énergie.
Son utilisation intensive, néfaste pour la santé, menace les ressources forestières et la biodiversité, sans compter les quantités importantes de CO2 rejetées dans l’atmosphère.
Alors que la forêt naturelle du royaume est détruite au rythme de 219 000 hectares par an selon des chiffres de la FAO datant de 2007, le Groupe Energies Renouvelables Environnement et Solidarités (GERES) a décidé d’ajouter sa pierre à l’édifice en lançant dans le pays plusieurs actions ayant un impact concret sur l’environnement.
Le programme de cuiseurs domestiques initié par l’association et récemment récompensé par le prix PCIA Global Leadership, est sans doute l’un des plus ingénieux. En retenant la chaleur, ces fours permettent aux consommateurs d’économiser 22% de charbon de bois par rapport aux foyers de cuisson traditionnels, et de diminuer ainsi la pression en combustible bois.
Leur prix de vente étant plus élevé, ces fours auraient pu rester marginaux dans un pays où 70% de la population subsiste avec moins de deux dollars par jour.
Pourtant, aujourd’hui, plus de 1,3 million de fours sont en circulation.
« Depuis que je fabrique des pièces pour ces fours, mon niveau de vie a nettement augmenté. Je gagne 10 000 riels par jour (environ 2,50 dollars) », explique Eang Samphors, une ancienne agricultrice. Comme elle, une centaine de personnes, réunies dans un comité de producteurs et de distributeurs, travaillent à la fabrication et à la vente de ces objets révolutionnaires. Une aubaine pour ces producteurs qui reçoivent une formation ainsi que du matériel gratuitement.
Bientôt une filière charbon durable
Dans le même village, des dizaines de fours sont entreposés devant une maison en bois. Sophal, 20 ans, a décidé de se lancer dans l’aventure en 2007 lorsque le projet a démarré. Aujourd’hui, elle est à la tête d’une affaire qui emploie dix personnes et se porte bien, avec 1300 à 1500 fours vendus chaque mois.
Une charrette chargée de ces cuiseurs améliorés s’apprête justement à partir. « J’emporte 150 fours à chacun de mes voyages et je vends toujours tout », note Aun Seun. Le vendeur n’hésite pas à énumérer les avantages de son four à ses clients et a fait du NLS sa principale source de revenus. Lors de ses périples de douze jours sur les routes du Cambodge, il n’emmène plus que vingt fours traditionnels et fait confiance au bouche-à-oreille pour écouler sa précieuse cargaison.
S’il faut débourser entre trois et quatre dollars pour un four amélioré suivant sa taille, contre seulement un dollar pour un four traditionnel, les clients ne se font pas prier.
Le four a une durée de vie plus longue et est de bien meilleure qualité, sans compter les économies de bois qu’il permet de réaliser. Les chiffres parlent d’eux- mêmes. Ce projet, entièrement financé par des crédits carbone, a permis d’éviter la destruction de 240 000 tonnes de bois et d’économiser des milliers de tonnes de carbone.
Il a aussi prouvé que des initiatives en faveur d’un développement durable pouvaient avoir le succès qu’elles méritent au Cambodge. Dans la même province, Voan Sokna, une jeune agricultrice, est affairée à semer des graines dans de petits pots noirs. Elle fait partie d’une communauté forestière à laquelle le GERES tente de fournir des clés pour l’avenir. Ils sont près de 150 à vivre sur un terrain de 50 hectares octroyé par le gouvernement cambodgien à condition qu’il soit bien géré.
« Nous ne prêtions pas attention à la forêt auparavant, explique la jeune femme. Depuis que j’ai été formée à différentes techniques, je parviens à faire vivre toute ma famille. »
Les membres de la communauté
se relaient désormais pour surveiller la forêt qui les entoure, déjà en très mauvais état, afin d’éviter les coupes illégales. Ils ont aussi appris à tirer profit des produits forestiers qu’ils peuvent trouver, tels que le rotin, les champignons, les fruits et les fleurs, qui leur permettent d’augmenter leurs revenus.
Les habitants ont en outre commencé à planter de nouveaux arbres. D’ici cinq ans, une filière charbon durable devrait voir le jour, une première. Les arbres pourront être vendus pour la consommation et permettront d’éviter des coupes intempestives dans des forêts menacées.
« Une forêt en bon état, cela signifie beaucoup de pluie, une température pas trop élevée, une protection naturelle contre les inondations et un rempart contre le changement climatique », rappelle Sen Sambo, responsable du projet.
En attendant, la communauté a appris à étayer les arbres et la verdure gagne chaque jour du terrain. Les habitants ne reçoivent pas d’argent en compensation du temps accordé au projet, mais la formule semble fonctionner.
L’argent récolté avec les différentes ventes devrait même permettre aux familles de s’entraider ou d’acheter du bétail en commun.
Du charbon à base de noix de coco
À une vingtaine de minutes du centre de la capitale, dans le quartier de Steung Meanchey, un autre projet a vu le jour. Une usine de production a ouvert ses Société portes et des copeaux de noix de coco s’amoncellent sur le sol. Broyés puis mélangés avec de l’eau et un liant, ils donneront naissance à du charbon.
Les briquettes produites ont une haute valeur calorifique et ne produisent ni fumée ni odeur. Suivant leur qualité, elles peuvent brûler pendant deux ou cinq heures, contre une heure pour un charbon traditionnel.
Les ouvriers s’activent pour produire quotidiennement jusqu’à 700 kg de charbon. Mais les briquettes peinent encore à trouver preneur. « Le problème, c’est que 70% des gens se préoccupent d’abord du prix, qui est un peu plus élevé que pour du charbon traditionnel », reconnaît Ly Mathheat, le directeur de SGFE (Sustainable Green Fuel Enterprise).
Mais si le marché peine encore à décoller au Cambodge, il pourrait séduire d’autres pays. Une partie de la production se revend déjà au Japon et des négociations sont en cours avec des entreprises coréennes et vietnamiennes.
Les employés de l’usine, eux, sont déjà convaincus de la qualité du produit, qui permet aussi une meilleure gestion des déchets. Grâce à ce projet, initié en partenariat avec l’ONG Pour un sourire d’enfant, 15 personnes travaillant autrefois à la décharge ont pu être embauchées et leurs conditions de vie ont radicalement changé. « Avant, je n’avais ni vélo, ni de quoi déjeuner. Aujourd’hui, j’ai une moto et deux télévisions », annonce fièrement Meas Vanak, père de neuf enfants, ravi des 80 dollars qu’il empoche désormais chaque mois. Alors que le Cambodge a perdu une importante partie de sa forêt primaire au cours des dernières années et que des concessions continuent à être accordées, le GERES a su mettre en place une approche innovante permettant à la population de trouver un avantage à la préservation de l’environnement. Son impact ne pourra être mesuré qu’à long terme, mais petit à petit, l’équipe a su initier une prise de conscience prometteuse.