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CAMBODGE – ENVIRONNEMENT : Un rapport de Human Rights Watch accuse Phnom Penh de crime écologique

Journaliste : Rédaction
La source : Gavroche
Date de publication : 17/08/2021
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Selon l’organisation Human Rights Watch, un immense barrage hydroélectrique dans le nord-est du Cambodge, financé par la Chine et achevé en 2018, a bouleversé les vies et les moyens de subsistance de milliers d’autochtones et de minorités ethniques. Il s’agit du barrage Lower Sesan 2, l’un des plus grands d’Asie, a inondé de larges zones en amont du confluent des rivières Sesan et Srepok, deux affluents du Mékong.

 

Nous diffusons ici une information de Human Rights Watch

 

Le rapport de 137 pages, intitulé « Underwater : Human Rights Impacts of a China Belt and Road Project in Cambodia » (« Sous l’eau : Impact du projet des « nouvelles routes de la soie » sur les droits humains au Cambodge »), documente les violations des droits économiques, sociaux et culturels de près de 5 000 personnes dont les familles vivaient dans cette zone depuis des générations, et qui ont été déplacées par le barrage Lower Sesan 2. Sa construction a eu en outre des impacts sur les moyens de subsistance de dizaines de milliers d’autres personnes en amont et en aval du site. Les autorités cambodgiennes et les responsables de l’entreprise n’ont pas consulté de manière suffisante les communautés affectées avant le début du projet et largement ignoré leurs préoccupations. Beaucoup ont été contraints d’accepter une indemnisation inadéquate pour la perte de leur propriété et de leurs revenus, se sont vus attribuer un logement et des services médiocres sur les sites de réinstallation et n’ont reçu aucune formation ou assistance pour développer de nouveaux moyens de subsistance. D’autres communautés affectées en amont et en aval du barrage n’ont reçu aucune compensation ni assistance.

 

Moyens de subsistance

 

« Le barrage de Lower Sesan 2 a englouti les moyens de subsistance de communautés autochtones et de minorités ethniques qui étaient auparavant pour la plupart autosuffisantes grâce à la pêche, à la cueillette en forêt et à l’agriculture », a déclaré John Sifton, directeur de plaidoyer auprès de la division Asie à Human Rights Watch. « Les autorités cambodgiennes doivent revoir de toute urgence les méthodes d’indemnisation, de réinstallation et de rétablissement des moyens de subsistance et s’assurer que les futurs projets ne s’accompagnent pas d’abus similaires. »

 

Human Rights Watch a interrogé une soixantaine de membres de la communauté locale, des représentants de la société civile, des universitaires, des scientifiques et d’autres qui ont fait des recherches sur le projet. Nous avons également passé en revue des travaux universitaires, des dossiers commerciaux et des études conduites par des organisations non gouvernementales, parmi d’autres sources.

 

« Nouvelles routes de la soie »

 

Le barrage fait partie de l’initiative des « nouvelles routes de la soie » lancée par le gouvernement chinois, un gigantesque projet d’infrastructure international mis en œuvre par le président Xi Jinping en 2013. Beaucoup de ces projets en Asie et ailleurs ont fait l’objet de critiques en raison d’un manque de transparence, de mépris pour les préoccupations des communautés locales et des impacts négatifs sur l’environnement.

 

China Huaneng Group, une grande entreprise publique chinoise de production d’électricité, a construit et exploite le barrage. Le Cambodia Royal Group et la compagnie d’État vietnamienne qui produit l’électricité, EVN, y détiennent des participations mineures. Les banques d’État chinoises ont fourni la majeure partie du financement, budgétisé à environ 800 millions de dollars.

 

Le gouvernement cambodgien et les responsables des entreprises n’ont pas véritablement consulté les communautés affectées ni fait de tentative pour obtenir le « consentement libre, préalable et éclairé » des peuples autochtones, comme l’exige la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

 

Les peuples autochtones et autres minorités ethniques touchés par le projet sont membres des communautés Bunong, Brao, Kuoy, Lao, Jarai, Kreung, Kavet, Tampuan et Kachok.

 

De 2011 à l’achèvement du barrage en 2018, les membres de la communauté ont protesté et adressé de nombreuses lettres aux responsables gouvernementaux et des entreprises, notamment le Premier ministre Hun Sen, mais ceux-ci ont, à plusieurs reprises, rejeté leurs préoccupations, refusant d’envisager des alternatives. Certains des opposants au projet ont été menacés, voire emprisonnés.

 

« L’entreprise n’a pas pris en compte les droits des autochtones »

 

« L’entreprise n’a pas pris en compte les droits des autochtones », a déclaré un villageois de Bunong à Human Rights Watch. « Ils nous ont juste dit de partir. »

 

« Au cours de la consultation, ils ont décidé pour nous », a affirmé un autre villageois. « Ils ne nous ont pas demandé ce que nous voulions ou ce dont nous avions besoin. »

 

Le barrage a eu une incidence majeure sur les ressources halieutiques, en empêchant de nombreuses variétés de poissons d’effectuer des migrations vitales pour leur processus de reproduction, ce qui a entraîné une forte diminution des rendements des revenus issus de la pêche. D’après des experts scientifiques et en écologie, le barrage contribue à la baisse des rendements halieutiques à l’échelle de tout le système fluvial du Mékong, dont dépendent des dizaines de millions de personnes au Cambodge, au Vietnam, en Thaïlande et au Laos pour leur nourriture et leurs revenus.

 

« Maintenant, le poisson est si rare », a déclaré un homme vivant près du barrage. « Avant, nous avions assez de poisson pour en manger et en vendre, mais [maintenant] il s’est raréfié. Parfois, nous n’en avons même pas assez pour manger. »

 

Moindres rendements agricoles

 

Les villageois réinstallés ont déclaré que leurs rendements agricoles avaient également diminué en raison de sols moins fertiles et plus rocheux sur les sites de réinstallation et de la perte de revenus occasionnés par l’absence des arbres fruitiers et des noyers de leurs anciens villages. Le gouvernement n’a fourni aucune compensation pour les pertes de revenus provenant des champignons, des plantes médicinales et d’autres produits récoltés dans les forêts communales. Les indemnisations ont été insuffisantes pour faire face aux pertes des cultures et des moyens de subsistance autochtones. En outre, l’eau de puits de la plupart des sites de réinstallation était contaminée et non potable.

 

China Huaneng n’a mis en place aucun mécanisme de réclamation efficace pour résoudre les différends ou les plaintes, a constaté Human Rights Watch.

 

Plusieurs centaines de villageois n’ont pas accepté d’indemnisation ou de réinstallation en 2017, préférant se réinstaller de leur propre chef sur des terres inoccupées le long du nouveau réservoir créé par le barrage. Les autorités locales ont intimidé et harcelé ces villageois.

 

Ni les autorités chinoises ni les autorités cambodgiennes, pas plus que China Huaneng, ne semblent avoir mené, avant la mise en chantier, d’évaluations significatives des avantages du projet par rapport à ses inconvénients. China Huaneng a affirmé à plusieurs reprises que le barrage pouvait produire 1 998 gigawattheures par an, soit environ un sixième de la production annuelle totale d’électricité du Cambodge. Sur la base des estimations déclarées des recettes fiscales du projet, la production réelle du barrage semble cependant probablement en être inférieure de moitié..

 

Avantages environnementaux minimes

 

Par ailleurs, le barrage offre des avantages environnementaux minimes. De nombreuses études universitaires ont montré que les émissions provenant de la décomposition des matières végétales submergées par les barrages-réservoirs sont souvent comparables à la production de gaz à effet de serre par les centrales électriques à combustibles fossiles ordinaires. Une étude en date de 2017 estime que le projet a un taux d’émission de dioxyde de carbone par mégawattheure similaire à celui de certaines centrales au gaz naturel.

 

Human Rights Watch a écrit aux représentants des gouvernements chinois et cambodgien et à China Huaneng en mars 2020 et en mai et juillet 2021 pour présenter ses conclusions et solliciter des réponses, mais n’a reçu aucune réponse. Publié en mai 2021, un « rapport de viabilité » en date de 2020 sur le barrage commandé par China Huaneng reconnaît de nombreux problèmes mais minimise leur gravité et leurs conclusions, sans explication claire, arguant que le projet a amélioré les conditions de vie des personnes déplacées. Le rapport ne mentionne pas les impacts du barrage sur les moyens de subsistance des communautés en amont et en aval des zones inondées.

 

China Huaneng et le gouvernement cambodgien peuvent encore remédier à certains des dommages causés, principalement en réévaluant les indemnisations et en fournissant davantage de services et de formations aux communautés touchées. Les gouvernements chinois et cambodgien devraient également entreprendre des réformes plus systémiques en vue d’éviter de nouveaux abus à l’avenir pour ce type de projets.

 

« Le gouvernement chinois doit réformer drastiquement le développement des infrastructures des « nouvelles routes de la soie » pour empêcher les abus dans d’autres projets entrepris dans des pays comme le Cambodge, où le gouvernement viole de longue date les droits de ses citoyens », a conclu John Sifton. « Celui-ci doit réformer ses lois pour exiger des évaluations d’impact significatives pour les projets de développement et prendre des mesures plus efficaces afin de prévenir les abus. »

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