Chroniqueur de Gavroche, l’opposant cambodgien en exil Sam Rainsy a accepté de changer de rôle. Il répond à toutes nos questions et se tient prêt à répondre à celles de nos lecteurs. Écrivez-lui !
GAVROCHE : Vous êtes souvent cité et convoqué devant les tribunaux du Cambodge. A combien de procès avez-vous déjà fait face et avec qui avez-vous eu à faire ? A quelles peines avez-vous été condamné ?
Sam Rainsy : Je ne compte plus le nombre de procès que l’on m’a intentés et encore moins le nombre d’années de prison auxquelles j’ai été condamné. Je sais seulement que, dans tous ces procès montés à la chaîne comme des pièces de théâtre, je me suis toujours retrouvé face à des adversaires les plus puissants du pays : le gouvernement lui-même, le premier ministre en personne, le président de l’assemblée nationale, le ministre des affaires étrangères, le ministre de l’intérieur, etc.
Q: Vous estimez clairement que les juges cambodgiens obéissent à des consignes politiques ?
SR : Je le regrette pour notre système judiciaire et pour les cambodgiens, mais la réponse est oui. Parce que je suis le chef de l’opposition qui a pour vocation à diriger le pays en cas d’alternance politique, il faut bien que l’on me trouve des adversaires de taille. Flatteuse consolation ! Mais, revers de la médaille, comme tout doit être grand en taille, le tribunal se doit d’avoir la main lourde : les condamnations se mesurent en longues années de prison et en millions de dollars d’amendes ! Tous mes biens au Cambodge vont être saisis pour payer ces amendes.
Q: Mais pour quel genre de crimes ces sentences ont-elles été prononcées ? Assassinat ? Prise d’otages ? Vol à main armée ?
SR : Non pas du tout, rien de tout cela. J’ai été condamné pour « diffamation », « atteinte à l’honneur ». Les plaignants ? Des plaignants qui sont tous des dirigeants au-dessus de tout soupçon. Il y a aussi comme accusation l’« incitation » à la haine contre les mêmes dirigeants, et par conséquent « menace à l’ordre public » et à la « stabilité sociale ».
Q : Le système judiciaire est donc à la solde du pouvoir ?
SR: Pour un Cambodgien comme moi qui ai vécu le plus long de sa vie en France et qui a fait siennes les valeurs de la République, tout cela me paraît irréel. Depuis la France on a du mal à imaginer ce qu’est une justice aux ordres d’un dictateur. Le premier ministre Hun Sen utilise le tribunal pour broyer l’opposition tant sur le plan politique que financier. En France, où l’on met en avant la liberté d’expression, les procès en diffamation ne conduisent jamais à des peines de prison et se résolvent généralement, en cas de condamnation, au paiement d’« un euro symbolique ».
Q: Qu’en est-il de votre ami, le chef de l’opposition Kem Sokha ? Quel est son statut politico-judiciaire actuel ?
SR : Le cas du chef de l’opposition Kem Sokha est encore plus révélateur de la justice cambodgienne que le chef du gouvernement manipule à sa guise. Kem Sokha est le président du Parti du Salut National (PSN), le seul parti d’opposition représenté à l’assemblée nationale jusqu’à sa dissolution arbitraire en 2017. Or Hun Sen a accusé Kem Sokha de « sédition » pour avoir cherché à « renverser le gouvernement avec l’aide des Américains ». C’était le prétexte le plus facile — et le plus fallacieux — que Hun Sen avait trouvé pour éliminer de la scène politique le PSN qui menaçait sérieusement son régime à la veille des élections de 2018. Le PSN avait le vent en poupe car il avait recueilli en 2017 presque la moitié du suffrage universel, et cela en dépit de sérieuses irrégularités au profit du parti au pouvoir constatées par des observateurs internationaux indépendants.
Q : Kem Sokha a-t-il été jugé ?
SR : Non, toujours pas.
Q : Pourquoi ?
SR : Pour faute de preuves pouvant soutenir sérieusement l’accusation portée contre lui (Kem Sokha). Hun Sen fait différer sine die le procès de Kem Sokha sous prétexte du COVID-19. Mais le COVID-19 n’a pas empêché la tenue récente de multiples autres procès à l’encontre d’autres opposants au régime.
Q : Le procès de Kem Sokha représentera un enjeu important ?
SR: Oui, l’enjeu est capital car ce procès permettra de résoudre la crise politique actuelle au Cambodge. En effet, aux termes d’un procès digne de ce nom, Kem Sokha ne peut qu’être innocenté. Les accusations fallacieuses portées contre lui seront abandonnées, ce qui supprimera le prétexte utilisé par Hun Sen, à travers la « cour suprême «, pour dissoudre le PSN. Celui-ci devra alors être réhabilité et autorisé à participer aux prochaines élections communales de 2022 et nationales de 2023.
Propos recueillis par la rédaction de Gavroche