APRONUC : ces lettres résumaient l’Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge. Au sein du contingent français de casques bleus, Guillaume Ancel a fait partie des officiers directement au contact des Khmers Rouges. Il en a tiré des leçons qu’il utilise désormais dans des cours de management et de ressources humaines.
« Un casque bleu chez les khmers rouges », réflexions sur le management et la gestion de crise – Blog de Guillaume ANCEL Cambodge, Ouvrages publiés, Société, entreprises et management
Isabelle Lustig, qui dirige la Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé au Travail (CARSAT) d’Alsace-Moselle, m’a demandé d’intervenir dans une séquence de réflexion, sur le management et la gestion de crise, qu’elle organise avec ses managers.
Je me suis d’abord demandé quel lien pouvait s’établir avec cette difficile expérience de rétablissement de la paix dans la jungle au Cambodge avant de réaliser, grâce à sa perspicacité, que plusieurs questions sont effectivement abordées dans ce récit et peuvent être propices au cheminement intellectuel qui permet de progresser dans cette matière subtile qu’est le management.
La gestion de crise
Évidemment, la gestion de crise apparaît en premier, dès le chapitre d’ouverture avec cette négociation en pleine jungle qui tourne mal et qu’il faut pourtant mener à bien. L’épisode peut surprendre par sa brutalité et son caractère incongru, il est aussi un exemple emblématique de la « crise » : imprévisible, inattendue, sans réponse évidente et sans possibilité de remettre à plus tard son règlement.
Pendant cette conférence, je raconte brièvement la situation, pour emmener les participants dans la chaleur moite de cette forêt tropicale et leur faire ressentir la pression soudaine de cet événement.
Ils sont ailleurs le temps d’un moment, déplacés loin de leur environnement habituel, et pourtant ils sont en train d’observer une situation qu’ils ont régulièrement à gérer : une crise. Isabelle les conduit alors sur cet aspect si particulier de leur métier de manager, pour les questionner sur les spécificités de cette situation et la nécessité de la gérer en tant que telle, comme une crise et surtout pas comme un événement de plus dans le courant de leurs affaires « normales ».
L’importance des autres
L’expérience des autres et de la multiculturalité sont aussi une caractéristique de ce récit, tandis que j’avais dû faire équipe au Cambodge avec un officier chinois qui avait lui-même été instructeur des khmers rouges. Tout nous séparait, mais c’est pourtant ce partage de différences qui m’a permis de revenir presque indemne de cette expérience compliquée « d’opération de la paix ».
Dans un village hors carte, frontière du Laos, Cambodgien, Français, Malgache, Américain d’origine mexicaine, Britannique…
Travailler avec des parachutistes uruguayens, des policiers népalais, un ancien commissaire politique de la Russie soviétique ainsi qu’un très rustique officier britannique ou un immense promoteur malgache du processus électoral était un apprentissage de l’importance d’apprendre des autres. Une condition essentielle m’apparaît désormais, la capacité ou plutôt la posture de les comprendre et d’apprendre de leurs différences, plutôt que les craindre ou les éviter…
Ne pas se laisser arrêter
Se déplacer dans un environnement miné était une expérience angoissante et troublante, mais n’est-ce pas aussi l’image, la représentation que nous nous faisons souvent des environnements professionnels dans lesquels nous devons évoluer, où il semble parfois si difficile d’avancer et plus encore d’avancer ensemble ? Là-bas, pour trouver une solution au blocage de fait que présentait un minage général et chaotique dans la province de Preah Vihear, nous avions dû expérimenter des solutions nouvelles, tâtonner, nous tromper aussi, notamment en voulant emprunter le cours de rivières à pied pour contourner les mines.
Fin de la seule piste utilisable au nord de Tbaeng Mean Chey, le reste se fait à pieds…
Nous avions alors appris à nos dépens que la vitesse s’en trouvait tellement réduite que cela ne constituait en rien une solution efficace, tout juste une idée originale et épuisante… Et c’est là que la détermination à avancer est cruciale, pour accepter les échecs et ne pas s’y arrêter, pour apprendre d’eux et continuer à poursuivre un objectif dont la pertinence ne doit pas faire douter et ne jamais renoncer.
Poursuit-on la même mission ?
L’importance de la mission tisse un fil rouge dans ce récit, dont moi-même je n’avais pas assez conscience. C’est l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau qui a montré combien nous poursuivions cette mission de rétablissement de la paix sans jamais remettre en cause son bien-fondé, comme une évidence. Car s’il est bien un temps pour tout, celui du « partage de la mission » est essentiel pour mobiliser les énergies et les esprits.
Cela explique sans doute les nombreuses réflexions menées aujourd’hui dans les entreprises, pour éclaircir et définir leur mission, afin de s’accorder et de partager. C’est aussi l’objet d’une réflexion renouvelée pour les organisations qui sont pourtant investies d’une mission d’intérêt général et qui n’utilisent pas suffisamment la chance de cet enjeu.
Cette heure de réflexion intense, menée en Webconference pour s’adapter aux circonstances incertaines que nous connaissons aussi, nous a permis d’explorer « cette forêt sans fin dont on ignore les chemins », toutes ces formes de jungle que nous avons à traverser…
Retrouvez ici le blog de Guillaume Ancel.</p