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CAMBODGE – FRANCE : Les explications de Sam Rainsy sur la récente décision de la justice française

Journaliste : Rédaction Date de publication : 19/10/2022
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Cambodge Sam Rainsy

 

L’opposant cambodgien en exil Sam Rainsy est un collaborateur régulier de Gavroche. Il nous livre en exclusivité son analyse sur la récente décision de la justice française le relaxant de l’accusation de diffamation portée par le premier ministre Hun Sen.

 

LA JUSTICE FRANÇAISE MET EN AVANT LA LIBERTE D’EXPRESSION DE L’OPPOSITION FACE AUX ACCUSATIONS GOUVERNEMENTALES DE DIFFAMATION 

 

Le 10 octobre dernier le Tribunal Judiciaire de Paris a rendu son délibéré sur le procès en diffamation que le Premier Ministre Hun Sen a intenté à mon encontre, en tant que son principal opposant: Hun Sen a été débouté et j’ai été relaxé, sans avoir par conséquent à payer à mon adversaire le “euro symbolique” de dommages-intérêts. Parallèlement à ce procès en diffamation, un juge d’instruction français a ordonné le 30 mars 2021 la mise en accusation devant la Cour d’Assises des deux chefs de l’unité des gardes du corps de Hun Sen pour une tentative d’assassinat à Phnom Penh dont j’ai été la cible en 1997. Seul son statut de chef de gouvernement empêche, pour le moment, la mise en accusation par la justice française de Hun Sen lui-même.

 

A-t-on jamais vu un premier ministre en exercice porter plainte contre son principal opposant devant la juridiction d’un pays tiers? Mais surtout, a-t-on jamais vu un procès en diffamation où le plaignant est lui-même accusé d’avoir essayé de tuer la personne qu’il accuse de l’avoir diffamé? La question prêterait à sourire si la tentative d’assassinat n’avait causé de terribles dégâts collatéraux: au moins 16 morts et plus de 150 blessés graves, ce qui témoigne d’un véritable terrorisme d’État.

 

A son audience du 1er septembre le tribunal m’a interrogé sur les propos que j’ai tenus sur mon compte Facebook au sujet de l’assassinat toujours non élucidé du chef syndicaliste Chea Vichea en 2004, et du décès du chef de la police nationale Hok Lundy dans un accident d’hélicoptère plus que suspect survenu en 2008.

 

Pour décrire le contexte politique de ce procès en diffamation, voici mes premiers mots devant le tribunal: “Je vous demande de vous transposer dans un pays où il n’y a pas de liberté d’expression, où tous ceux qui osent dire la vérité se retrouvent morts, en prison ou en exil”.

 

Les assassinats politiques sont légion au Cambodge avec une prédominance d’actes que l’on peut qualifier de terrorisme d’État.

 

Le mode opératoire est généralement le même : des tueurs professionnels se présentent à visage découvert devant les victimes à abattre, en plein jour et en pleine ville, vident leurs révolvers et quittent le lieu du crime en toute sérénité, comme si de rien n’était.

 

D’innombrables opposants politiques ou “gêneurs” pour le régime ont été éliminés de cette façon comme ces moines bouddhiques trop engagés, ces dirigeants syndicaux trop contestataires, ces analystes politiques trop critiques, ces défenseurs de l’environnement trop militants, et même cette maîtresse du premier ministre qui a suscité le courroux de l’épouse légitime (voir L’Express du 7 octobre 1999, “Un crime d’Etat”).

 

Plus de 80 de mes collègues et sympathisants ont été ainsi assassinés après que j’ai fondé en 1995 le premier parti d’opposition au régime actuel.

 

Autre trait commun de ces assassinats: aucun responsable – commanditaire, exécutant ou complice – de ces crimes n’a jamais été identifié par les autorités.

 

Dans certains cas d’élimination pour “raison d’État” le mode opératoire peut varier en fonction des circonstances, passant du pistolet à la grenade ou à une autre forme d’explosion provoquée ou à l’accident de circulation ou encore à l’empoisonnement. Mais l’absence d’enquête sérieuse et l’impunité qui en résulte, reste toujours la norme.

 

Depuis presque trente ans je me bats pour mettre un terme à cette culture de violence et d’impunité.

 

C’est le combat de David et Goliath. Normalement, quand vous luttez contre des criminels vous avez la police et la justice de votre côté. Mais là, elles sont contre vous! Oui, tueurs, policiers et juges se liguent contre vous!

 

Dans ces conditions, pour celui qui refuse l’injustice sociale, dénoncer un crime devient un acte périlleux. Vous ne pourrez jamais attraper “en flagrant délit” un assassin mandaté par l’État, et vous ne pourrez jamais fournir la “preuve irréfutable” que réclame tout tribunal avant de se prononcer sur un crime. Finalement, c’est celui qui veut exposer la vérité au risque de sa vie – pour faire avancer la justice – qui risque d’être condamné pour “diffamation”.

 

Sur la base d’un faisceau de faits irréfutables et concordants, vous pouvez cependant vous forger une opinion ou une conviction qui forme ce que l’on appelle une “vérité vraisemblable”.

 

Pour tenter d’élucider une série des crimes politiques au Cambodge, je me suis posé deux questions:

 

–       A qui profite ces crimes ?

 

–       Qui a les moyens de perpétrer de tels crimes, de cette manière insolente, et d’échapper à tout châtiment judiciaire en toutes circonstances?

 

Mon opinion — je dirais ma conviction — se dégage tout naturellement de la réponse à ces deux questions.

 

Dans ce combat politique qui a marqué toute ma vie, j’ai le sentiment de représenter et de défendre toutes les victimes des violences politiques et des abus en tous genres au Cambodge, sachant que ces victimes n’ont pas le droit de s’exprimer sous peine de représailles judiciaires ou d’assassinats extra-judiciaires.

 

Dans mon exil forcé en France depuis 2015, Facebook est la seule fenêtre d’expression qui me reste pour remplir ma mission, et c’est cette dernière fenêtre que Hun Sen veut fermer pour plonger tous les Cambodgiens dans le noir le plus total.

 

Parce que je suis son principal détracteur Hun Sen a essayé de me tuer à plusieurs reprises. Ayant échoué, il m’a fait condamner à quelque 100 ans de prison, dont 33 depuis seulement 2020. Je n’attache plus d’importance à ces interminables condamnations tellement les accusations contre moi au Cambodge sont grotesques. Mais en France, Hun Sen rêvait d’obtenir du Tribunal Judiciaire de Paris ma condamnation pour “diffamation” parce que cela équivaudrait pour lui à un “permis de tuer en toute impunité” car plus personne ne pourrait alors plus rien dire de ces crimes politiques si bien organisés, commis quotidiennement au Cambodge. C’est Hun Sen qui pourrait alors proclamer que tous ses détracteurs, avec Sam Rainsy à leur tête, ne font que le “diffamer”.

 

Mais les actes sont plus puissants que les mots. La responsabilité de l’entourage de Hun Sen et de Hun Sen lui-même a été reconnue par la justice française à travers l’ordonnance du 30 décembre 2021 de mise en accusation devant la Cour d’Assises des deux chefs de l’unité des gardes du corps de Hun Sen – Huy Piseth et Hing Bun Heang – impliqués dans l’attaque à la grenade de 1997 mentionnée plus haut. Cette décision de la justice française est un évènement historique car c’est bien la première fois qu’une décision judiciaire venant d’un tribunal indépendant vient mettre un terme à l’impunité qui règne au Cambodge pour ce qui concerne les crimes politiques commis depuis la fin du régime khmer rouge en 1979.

 

Sam Rainsy
Chef de l’opposition cambodgienne en exil à Paris

1 COMMENTAIRE

  1. Mais oui, ce gouvernement se ridiculise. Il aurait mérite 20 000 euros d’amende pour procédure abusive. Incidemment, la “justice française” c’est le “peuple français”; il ne faut pas l’oublier.

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