Impossible de dissocier la personnalité de Douch, le bourreau Khmer Rouge décédé le 2 septembre dans un hôpital de Phnom Penh alors qu’il purgeait sa peine de prison à perpétuité pour «crimes contre l’humanité», de la présence française au Cambodge (1863-1953) et du règne du défunt roi Norodom Sihanouk (1922-2012). Douch aimait réciter des vers de Lamartine et d’autres poètes français. Il était à l’origine professeur de mathématiques. Le cinéaste Rithy Panh, qui le rencontra longuement pour son film «Le maitre des forges de l’enfer» se souvient que l’intéressé, détenu dans la prison adjacente au Tribunal spécial pour juger les Khmers Rouges, lui demandait de lui apporter des livres en prison.
La France a t’elle, par son éducation et par l’emprise du parti communiste sur les consciences dans les années 50-60 (Pol Pot et Khieu Samphan furent notamment formés en France), façonné le caractère révolutionnaire et extrémiste du bourreau Douch ? La question se pose. Bien sûr, le mouvement maoïste venu de Chine fut la première inspiration de Pol Pot qui puisa son inspiration génocidaire et son obsession des purges dans le «Grand bond en avant» de Mao. Mais il faut regarder le passé colonial en face. Douch, petit professeur de mathématiques, fut formé par le système colonial français. Il en était quelque part le produit.
François Bizot, membre de l’École française d’Extrême-Orient, est fait prisonnier au Cambodge par les Khmers rouges, en 1971. Enchaîné, il passe trois mois dans un camp de maquisards. Chaque jour, il est interrogé par l’un des plus grands bourreaux du vingtième siècle, futur responsable de plusieurs dizaines de milliers de morts, aujourd’hui jugé pour crimes contre l’humanité : Douch.
Chute de Phnom Penh, en 1975
Au moment de la chute de Phnom Penh, en 1975, François Bizot est désigné par les Khmers rouges comme l’interprète du Comité de sécurité militaire de la ville chargé des étrangers auprès des autorités françaises. Il est le témoin privilégié d’une des grandes tragédies dont certains intellectuels français ont été les complices.
François Bizot a raconté sa détention dans «Le Portail». Grâce à une écriture splendide et à un retour tragique sur son passé, l’auteur nous fait pénétrer au cœur du pays khmer, tout en nous dévoilant les terribles contradictions du Cambodge et de celui qui, lors de son procès en 2010, été présenté par ses avocats comme un « simple secrétaire » du régime de Pol Pot.
« Revenir dans l’humanité »
Son avocat français, Me François Roux, décrivait en première instance les remords sincères d’un homme soucieux de « revenir dans l’humanité », les rescapés et l’accusation dénonçaient, eux, des « larmes de crocodile ». L’ethnologue français François Bizot, trois mois captif de Douch en 1971 dans la jungle, avait évoqué pour sa part sa « sincérité fondamentale » : « Jusque-là, je considérais […] qu’il y avait des monstres auxquels je ne pourrais jamais ressembler », avait témoigné le chercheur. Mais « j’avais en face de moi un homme, communiste, marxiste […] prêt à donner sa vie pour la Révolution, et qui accomplissait la mission qui lui avait été attribuée ».
Converti au christianisme dans les années 1990, Douch a plusieurs fois demandé pardon aux rares survivants et aux familles des victimes, demandant même à être condamné « à la peine la plus stricte ».
Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici