Ce morceau d’histoire garde le goût funeste des tragédies. Le 17 avril 1975, la capitale cambodgienne Phnom Penh tombe aux mains des Khmers Rouges qui l’assiégeait depuis des mois. Le régime du maréchal Lon Nol est défait. Les derniers occidentaux présents dans la ville se retrouvent tous prisonniers à l’ambassade de France. Ils seront ensuite expulsés vers la Thaïlande, ce que racontera superbement l’universitaire français François Bizot dans son livre «Le Portail» (Ed Folio). La revue de géopolitique Hérodote, dont nous vous recommandons chaudement la lecture, raconte le début de la tragédie Khmère rouge.
Nous publions ici un extrait d’un texte publié par la revue Hérodote dont nous vous recommandons la lecture. Connectez-vous ici.
Le 17 avril 1975, Phnom Penh, capitale du Cambodge, est envahie par de longues cohortes d’adolescents maigres et hagards, tout de noir vêtus et lourdement armés.
Il s’agit de l’armée des communistes cambodgiens. Surnommés quelques années plus tôt « Khmers rouges » par le roi Norodom Sihanouk, ils ont vaincu les partisans pro-américains du général et Premier ministre Lon Nol au terme d’une guerre civile de cinq ans.
Le soir même, l’« Angkar » (l’Organisation) – le Parti communiste du Kampuchea (nouveau nom du pays) – décide de vider la ville de tous ses habitants. C’est le début d’une orgie de massacres qui va se solder par la mort violente de 1.500.000 à 2.200.000 personnes en 44 mois, jusqu’à la chute du régime, le 7 janvier 1979. En d’autres termes, 20% à 30% des 7.500.000 Cambodgiens auront été victimes de la folie meurtrière des Khmers rouges.
Un pays fait pour le bonheur…
Héritier d’une très riche histoire dont témoignent les ruines d’Angkor, le Cambodge a échappé à l’annexion par l’un ou l’autre de ses redoutables voisins, le Siam et le Vietnam, grâce au protectorat français. Le 9 novembre 1953, il obtient tranquillement son indépendance avec pour roi constitutionnel le très souriant Norodom Sihanouk.
Mais le pays est très vite gangréné par la guerre qui s’installe dans le Viêt-nam voisin et met aux prises les Nord-Vietnamiens communistes et leurs alliés vietcongs d’un côté, les Sud-Vietnamiens pro-américains de l’autre.
Une poignée d’intellectuels cambodgiens issus de la bourgeoisie découvre le marxisme lors de ses études en France, dans les années 1950.
Parmi eux, Pol Pot, il deviendra secrétaire général du Parti communiste (« Frère Numéro 1 ») et Premier ministre du futur Kampuchea. À ce titre, il présidera à la mise en oeuvre du génocide !
À la faveur d’un voyage en Chine populaire, en 1965, à la veille de la Révolution culturelle, il se renforce dans sa haine de l’Occident et de la culture moderne et urbaine.
Paysannerie pauvre
Comme Mao Zedong, il voit dans la paysannerie pauvre le fer de lance de la révolution socialiste.
Le 14 août 1969, sous la pression américaine, le prince Sihanouk appelle au poste de Premier ministre le général Lon Nol, favorable à la guerre contre les communistes… Et sensible à la promesse d’une aide massive de Washington. Pressé d’en découdre, Lon Nol profite d’un déplacement de Sihanouk en Chine pour le déposer le 18 mars 1970. Il instaure la République et s’en proclame président.
Faute de mieux, Norodom Sihanouk prend à Pékin la tête d’un gouvernement de coalition en exil, avec les Khmers rouges. Dans le même temps, les Américains entament le bombardement des zones frontalières du Cambodge avec l’aval de Lon Nol.
De 1970 à 1973, sous la présidence de Richard Nixon, l’US Air Force va déverser sur le Cambodge plus de bombes que sur aucun autre pays au monde. Au total plusieurs centaines de milliers de tonnes. Les bombardements redoublent même d’intensité en février-avril 1973, alors que les Vietnamiens se sont retirés du jeu après les accords de Paris.
Ces bombardements indiscriminés, comme plus tôt au Vietnam, comme aujourd’hui en Afghanistan, font d’innombrables victimes parmi les populations civiles. Celles-ci, remplies de haine pour l’agresseur, se détournent du camp gouvernemental et rallient les communistes.
Très vite, les troupes gouvernementales, en dépit de leur armement sophistiqué, cèdent du terrain face aux Khmers rouges. Lon Nol n’attend pas le gong final pour s’enfuir et abandonner ses partisans. C’est ainsi que Phnom Penh tombe le 17 avril 1975, deux semaines avant Saïgon.
L’horreur
Les dirigeants des Khmers rouges, au nombre de quelques dizaines seulement, n’ont connu pendant dix à quinze ans que les camps de la jungle. Éloignés des réalités, ils ressentent aussi beaucoup de méfiance à l’égard des communistes vietnamiens qu’ils suspectent de vouloir annexer les provinces orientales du Cambodge, peuplées de colons vietnamiens.
Étant très peu nombreux, ils craignent aussi d’être submergés par les cadres de l’ancien régime qui viendraient à se rallier à eux.
C’est ainsi qu’ils prennent la décision folle de faire table rase. Opposant l’« ancien peuple » (les paysans khmers pauvres) au « nouveau peuple » (les habitants des villes et les cadres pro-occidentaux), ils décident de rééduquer ces derniers et si besoin de les exterminer.
Dans les heures qui suivent leur entrée à Phnom Penh, la capitale est vidée de ses habitants et des innombrables réfugiés qui avaient fui les bombardements des années précédentes. Au total 2 millions de personnes de tous âges. Il en va de même des autres villes du pays.
Les déportés sont dirigés vers des camps de travail et de rééducation et astreints à des tâches dures et humiliantes. La nourriture est souvent réduite à deux louches d’eau de cuisson de riz par personne et par jour. La mortalité dans les camps atteint très vite des sommets.
Exécutions rapides
Les rebelles et les suspects sont jetés en prison et contraints à des aveux qui leur valent une exécution rapide, généralement d’un coup de pioche sur le crâne, car il n’est pas question de gaspiller des balles.
Dans son très remarquable ouvrage, Le siècle des génocides, l’historien Bernard Bruneteau souligne que les meurtres ciblent des catégories précises. Ainsi, quatre magistrats sur un total de 550 survivront au génocide.
Sont anéantis les deux tiers des fonctionnaires et policiers, les quatre cinquièmes des officiers, la moitié des diplômés du supérieur etc. Globalement, les populations citadines sont exterminées à 40% et les populations des régions les plus rurales à 10 ou 15% « seulement »…
Une très lente prise de conscience du génocide
La plupart des Occidentaux ont observé le drame cambodgien avec incompréhension et beaucoup d’intellectuels ont même manifesté une jubilation dont ils se repentirent plus tard, notamment la rédaction du Monde, à Paris.
En 1978, les vietnamiens invoquent des raisons humanitaires pour envahir le Cambodge. Le 7 janvier 1979, ils entrent à Phnom Penh cependant que Pol Pot et les Khmers rouges reprennent le chemin de la clandestinité et des maquis. Le nouveau gouvernement cambodgien, vassal du Vietnam, compte dans ses rangs de nombreux Khmers rouges qui ont su retourner leur veste à temps.