Notre ami chroniqueur Yves Carmona franchit le pas. Outre ses excellentes analyses géopolitiques sur l’Asie, il nous propose désormais quelques retours historiques sur les grands personnages de l’Asie du Sud-Est. Une plongée dans l’histoire !
L’histoire du Cambodge depuis 1941 se confond avec celle des Norodom, Sihanouk le « Roi-père » (1922-2012), même s’il a plusieurs fois abdiqué, et son fils Norodom Sihamoni né en 1953, Roi depuis 2004.
Norodom Sihanouk a d’abord été éduqué en français au lycée Chasseloup-Laubat de Saïgon, au Vietnam. Les autorités françaises espéraient que le futur Roi serait ainsi plus facile à contrôler : lourde erreur, il a déjà manifesté une volonté farouche qu’il allait sans hésiter manifester toute sa vie, « fou génial » capable de faire tourner à son avantage toutes les situations y compris les plus compromises. Dès la fin de la 2ème guerre mondiale, il utilisa l’incapacité de la France à faire face à l’occupation japonaise pour réclamer l’indépendance de son pays.
La puissance coloniale ne l’entendait pas ainsi, continua à se battre – mal – contre le Viet Minh jusqu’à la défaite à Dien Bien Phu le 7 mai 1954 sanctionnée par les Accords de Genève du 21 juillet 1954 mettant fin à la première guerre d’Indochine.
Mais les Etats-Unis, que la guerre froide contre l’URSS convainquit de continuer la guerre, au prix de pertes considérables pour eux-mêmes et énormes pour le Vietnam, durent à leur tour reconnaître la victoire du Viet Minh marquant la réunification du pays en 1975.
Cependant, au Cambodge en 1970, le général Lon Nol avait profité de l’absence de Sihanouk du royaume pour le renverser par un coup d’État, soutenu par Washington qui n’acceptait pas son neutralisme, Celui-ci avait notamment permis au général de Gaulle de prononcer en 1966 le fameux discours de Phnom Penh affirmant qu’on pouvait rejeter le communisme sans pour autant s’aligner sur les Américains.
En 1975, la victoire du Viet Minh a permis celles du Pathet Lao et des Khmers rouges.
Chassé de Phnom Penh, exilé à Pékin, Sihanouk s’est allié aux assassins Khmers rouges pour redevenir symboliquement chef de l’Etat quand ceux-ci ont pris le pouvoir en avril 1975 avec les conséquences que l’on sait.
Ainsi, les foucades de Norodom Sihanouk sont toujours passées après sa volonté inébranlable de défendre l’indépendance du Cambodge.
Elle a permis une opération de rétablissement de la paix sous l’égide des Nations Unies qui mérite d’être résumée.
L’invasion vietnamienne en décembre 1978 et la chute du régime Khmer Rouge ouvrent un long processus largement sous l’égide de la France permettant la signature des Accords de Paris le 29 octobre 1991 entérinés par le CSNU et par le SG des Nations Unies. Le 9 janvier 1992, Boutros-Ghali nommait Akashi Yasushi son représentant spécial à la tête de l’APRONUC qui aboutit le 28 février 1992 à la résolution 745 du Conseil de sécurité des Nations unies et à des élections démocratiques le 28 février 1993.
Cela a été possible en mettant autour de la table des dizaines de pays dont les 5 membres permanents du CSNU, 45 pays ont ensuite apporté leur supervision militaire et civile ; et en associant au sein du Conseil national suprême des partis politiques que tout opposait – ce fut difficile : la République populaire du Kampuchea et les trois composantes de son opposition (les royalistes du FUNCINPEC, les républicains du Front national de libération du peuple khmer et les dirigeants Khmers rouges regroupés au sein du Parti du Kampuchéa démocratique (PKD).
De cette longue et fragile négociation est sorti un gouvernement de coalition et finalement la paix à laquelle Sihanouk, rétablissant une monarchie constitutionnelle le 24 septembre 1993, a présidé jusqu’à son abdication pour raisons de santé en octobre 2004.
Animal politique, celui-ci a toujours su aussi s’adonner aux plaisirs de la vie.
Plaisirs culturels : adorant le cinéma, il était lui-même producteur et réalisateur, tout en parlant un français excellent en défendant l’ex-colonisateur car cela lui assurait une moindre dépendance envers les étrangers, notamment les Etats-Unis10, y compris en achetant des armes françaises. C’est à la France, plus précisément à l’Ecole française d’Extrême-Orient, qu’il a fait don de ses archives en 2004, estimant non sans raison qu’elles y seraient plus en sécurité que dans son pays, compte tenu de ce qu’il y avait vécu.
Plaisirs plus terre-à-terre aussi : il a aimé la bonne chère et a eu 6 épouses qui lui ont donné de nombreux enfants…Aimant offrir des fêtes au cours desquelles il chantait, il pouvait servir du champagne et des canapés au foie gras à ses visiteurs à l’heure du petit-déjeuner.
Quant à son fils Sihamoni, il n’était pas le premier dans l’ordre de succession, c’était avant tout un artiste qui mourait de faim, au point qu’une Française récemment disparue et d’une immense générosité lui a donné à manger quand, danseur, il vivait à Paris alors que la situation créée par le pouvoir des Khmers rouges lui avait coupé les vivres.
C’est lui qui est devenu Roi et pour la remercier, car elle avait aussi vécu des années au Cambodge encore en lutte pour se décoloniser, elle fut invitée à son intronisation.
Sihanouk avait alors disparu mais cette générosité, ce refus des conventions – il considérait le fait d’être Roi comme une charge que lui avait imposé le destin plus que comme un prétexte à profiter des avantages du pouvoir – lui correspondaient sans doute.
Le « Roi-fils » est encore jeune et l’histoire montre qu’on ne sait ce que deviennent les monarques vieillissants. On sait en revanche que « le Roi-père » a jusqu’au bout bénéficié d’une aura auprès de la majorité de ses sujets – surtout les paysans – qui l’a rendu, au fil du temps, intouchable. Même un vrai dictateur comme le Premier ministre a dû en tenir compte.
Et le monde compte aujourd’hui plus de dictateurs que d’hommes politiques respectant ceux qu’ils gouvernent. Le Cambodge offre à cet égard, depuis son indépendance, l’exemple du pire comme du meilleur.
S.E.Carmona-sensei, Merci de cet éclairage sur l’histoire du Cambodge et de ces quelques notes inédites et sympathiques. Excellente initiative de nous renseigner sur l’histoire de la région et les principaux acteurs d’une époque révolue, mais non sans importance. Dans l’histoire, la présence de la France dans la région a permis celle d’excellents journalistes français, de grands quotidiens et d’agences de presse françaises. En fait, l’histoire de la presse française dans la région, de certains de ses grands reporters – je pense à Robert Guillain, leurs écrits et reportages, permettrait de compléter notre connaissance géo-politique de la région. La profondeur et l’originalité de la couverture de la presse française dans la région nous est hélas, trop peu connues. Mais, pour l’observateur privilégié que vous êtes de l’Asie du sud-est, vous pourriez mentionner, à l’occasion, quelques livres et écrits de ces journalistes français, à nous recommander. Meilleures salutations,
Bonjour Marc Beliveau,
Merci pour cette suggestion. M’appeler sensei est me faire trop d’honneur, je ne suis qu’un retraité qui aime un peu écrire. Je le fais essentiellement sur des personnages qui ne sont plus de ce monde, ce qui s’appliquerait à Robert Guillain mais il y a une autre difficulté : pour moi, le journaliste rapporte l’histoire, il ne la fait pas… Cependant, je rends grâce à des journalistes pour leurs livres , voir mon site yvescarmona.fr. A suivre. Amicalement YC