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Cambodge : La révolution mobile

Journaliste : Adrien Le Gal
La source : Gavroche
Date de publication : 12/12/2012
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Arrivés a la fin des années 1990, le téléphone portable compte désormais neuf opérateurs et a été adopte par plus d’un quart des habitants. Au-delà de la guerre des prix que se livrent les opérateurs, l’usage du mobile a débordé de la sphère privée pour devenir un outil de communication.

 

Le conflit avec Mobitel, c’est du passé ». À la veille du premier anniversaire de la présence au Cambodge de l’opérateur russe de téléphonie Beeline, son directeur pour le Cambodge, Gaël Campan, affichait une certaine bonhomie : son entreprise, en conflit ouvert pendant des mois avec l’opérateur leader de téléphonie mobile, est aujourd’hui la quatrième sur le marché par son nombre d’abonnés, affirme-t-il. La guerre des prix entre opérateurs a laissé des traces : dans les rues de Phnom Penh comme le long des routes de province, les parasols, affiches, tuk-tuk et même panneaux routiers à l’enseigne d’un des neuf opérateurs ne se comptent plus.

 

Bataille autour d’un gâteau

 

Le gâteau a de quoi susciter des appétits voraces : le Cambodge est le premier pays au monde où le nombre d’usagers de téléphones portables a dépassé celui d’abonnés au téléphone fixe, selon une étude du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) datée de 2009 (1). Il y aurait aujourd’hui environ 3,7 millions d’utilisateurs du téléphone portable, soit 26% de la population cambodgienne, dans un pays pourtant peu équipé en technologies de l’information et de la télécommunication, et qui ne compte que 17 000 abonnés à Internet. L’état du réseau téléphonique traditionnel, il est vrai, laisse à désirer : le Cambodge est le pays de l’Asean qui compte le moins de lignes fixes, derrière la Birmanie, les Philippines et le Laos. La guerre civile, qui a détruit le réseau, a aussi dissuadé sa reconstruction, d’autant que le retour à la paix a coïncidé avec les progrès de la technologie mobile. Le marché de la téléphonie, très ouvert, a permis à cette industrie de s’étendre très rapidement, dès 1992.

 

Aujourd’hui, le manque de régulation commence à poser des problèmes : selon le Pnud, plusieurs ministères ont la possibilité d’émettre des licences à des opérateurs, et le manque de coordination a déjà abouti à ce que deux entreprises en obtiennent une sur la même fréquence, d’où une mauvaise qualité de service. En décembre 2009, le gouvernement a imposé un prix plancher de 0,045 dollars par minute, après une guerre commerciale de plusieurs mois au cours de laquelle l’interconnexion entre les opérateurs Beeline et Mobitel avait été coupée. Une décision qui inspire l’ironie de Sopheap Chak, ex-militante des droits de l’homme au Cambodge, étudiante au Japon et auteur d’un blog consacré aux nouvelles technologies (2) : « Cela est étrange, dans une économie de marché et dans un pays où le Premier ministre refuse d’allouer des subventions aux éleveurs pour éviter d’être considéré comme un antilibéral », remarque-t-elle en soulignant la proximité du patron de Mobitel avec le pouvoir en place.

 

Au bout du téléphone, la démocratie ?

 

L’existence d’une situation concurrentielle et l’absence d’un monopole d’État ne constituent pas pour autant une émergence de contre-pouvoirs au Cambodge, selon Sopheap Chak : « Leur activité est commerciale, les opérateurs emploient donc n’importe quelle stratégie, y compris le lobbying auprès du parti au pouvoir pour être les mieux placés sur le marché. » L’opérateur russe Beeline avait pourtant donné une autre impression en septembre dernier, en achetant une page pleine de publicité dans le journal d’opposition Khmer Machas Srok. Un fait rarissime : les annonceurs évitent la plupart du temps d’apparaître dans les colonnes de la presse antigouvernementale, de peur de subir des représailles commerciales. Interrogé sur cette initiative, Gaël Campan nie toute velléité de s’immiscer sur le champ politique : « Nous cherchons à nous adresser à tous les Cambodgiens, indépendamment de leurs convictions », affirme-t-il.

 

2007 : le SMS à l’index

 

La technologie mobile et l’usage du SMS sont pourtant devenus une arme politique indispensable. Lors des élections communales de 2007, le Comité national électoral (CNE) – institution théoriquement indépendante, chargée du contrôle des élections – a bloqué les envois de SMS le jour du scrutin, au grand dam des partis politiques d’opposition. Interrogé sur ce point, le ministre de l’Information et porte-parole du gouvernement, Khieu Kanharrith, justifie sur le principe une telle restriction des communications : « Tenter de faire régner une atmosphère calme le jour de l’élection est bien, mais est-ce qu’on a assez de moyens nécessaires ? La suspension des SMS le jour de l’élection n’est pas suffisante, car il y a aujourd’hui d’autres medium tels que Facebook, Twitter et Hi5. » En 2008, lors des élections générales, le CNE n’a d’ailleurs pas renouvelé l’expérience. « Une telle restriction de la liberté d’expression et de l’information serait inacceptable dans une société soi-disant démocratique, estime d’ailleurs Naly Pilorge, directrice de l’association de droits de l’homme Licadho.

 

Les gens doivent pouvoir avoir accès à l’information, ce qui est un droit aussi fondamental que la liberté d’expression, de réunion, d’association et de conscience. » Pour la Licadho, l’usage du SMS est d’ailleurs un moyen de communication primordial : « Cela nous permet d’envoyer et de recevoir très rapidement des informations pour intervenir sur des affaires, ou mobiliser d’autres défenseurs des droits de l’homme, protéger des individus ou des groupes, indique Naly Pilorge. Nous communiquons par SMS avec des ONG locales, des journalistes, des diplomates, des syndicalistes, des étudiants, des représentants de l’ONU…» En décembre dernier, lors de la célébration – sous tension – de la Journée des droits de l’homme, ou de l’expulsion des réfugiés Ouïghours vers la Chine, la Licadho a ainsi tenu heure par heure son réseau au courant de l’évolution des événements. Mais l’envoi massif de SMS peut aussi servir à attiser la fièvre nationaliste. En juillet 2008, alors que la tension autour du temple frontalier de Preah Vihear était à son comble, des messages appelant au boycott des produits thaïlandais ont enflammé les téléphones portables. «

 

Désinformation » téléphonique

 

S’il fallait un signe officiel que l’usage du SMS est dorénavant considéré comme un moyen d’expression de masse, la justice cambodgienne l’a fourni : en novembre 2009, un journaliste, Ros Sokhet, a été jugé pour avoir envoyé des SMS – dans un but apparent de chantage – à Soy Sopheap, un patron de presse influent proche du pouvoir, accusé d’avoir accepté de l’argent pour étouffer un fait divers. Bien que ces SMS n’aient eu qu’un seul destinataire, Ros Sokhet a été condamné à deux ans de prison ferme pour « diffusion de fausses nouvelles ». Au-delà de son influence politique, le téléphone portable va-t-il révolutionner les habitudes sociales et économiques dans les campagnes ? En Afrique, dans les zones enclavées, les téléphones portables permettent désormais d’envoyer de l’argent, de recevoir la météo ou des conseils pour les récoltes, de connaître le prix actualisé des engrais et des produits agricoles, ou de rappeler aux patients séropositifs de prendre leur traitement (3).

 

Au Cambodge, ces services n’en sont qu’à leur stade embryonnaire. Le premier opérateur de « mobile money », ou d’envoi de fonds par téléphone, n’a débuté qu’en janvier 2009. Wing, qui appartient au groupe bancaire australien et néo-zélandais ANZ, avait été utilisé par 90 000 personnes un an plus tard. Le concept est simple : il fonctionne tel un porte monnaie électronique, à travers le téléphone portable. Un ouvrier travaillant à Phnom Penh peut ainsi, en payant une commission de 0,5%, envoyer de l’argent à sa famille en province sans se déplacer, en transférant l’argent par téléphone au représentant de l’entreprise – souvent des pharmaciens ou des petits commerçants – le plus proche de son village d’origine. Dans un pays où la grande majorité de la population n’a pas accès au système bancaire, l’avantage est de taille : selon une étude réalisée par Wing, envoyer de l’argent par taxi coûte 2,5 à 5% de la somme transférée – et est relativement peu fiable. Interrogée sur l’extension de ce service aux transferts de fonds internationaux, Lee-Anne Pitcaithly, de Wing, relève que l’industrie «mobile money » le permettra sûrement à l’avenir.

 

Numéro d’urgence

 

L’ONG InStedd (4) a par ailleurs commencé à plancher sur les autres services appelés à se développer au Cambodge. Un outil vient d’être achevé, en collaboration avec le Nchads, l’autorité cambodgienne de lutte contre le sida, pour venir en aide aux séropositifs isolés géographiquement. L’ONG, connue pour avoir accompagné les efforts des sauveteurs après le séisme en Haïti, n’avait pas encore suffisamment développé ses activités pour intervenir après le typhon Ketsana, qui a durement touché plusieurs provinces de l’est du Cambodge en septembre 2009. « Nous ne travaillons pas encore sur la gestion des catastrophes naturelles dans la région du Mékong, mais nous avons pour projet de le faire bientôt », indique Romdoul Kim, représentant de InStedd au Cambodge.

 

ADRIEN LE GAL

 

(1) « Cambodia Country Competitiveness, Driving Economic Growth and Poverty Reduction », document de discussion n°7, 2009
(2) Entretien avec l’intéressée. Adresse du blog : http://sopheapfocus.com/
(3) The Economist, « The Power of Mobile Money, A special report on telecoms in emerging markets », 26 septembre 2009 (4) Acronyme pour « Innovative Support To Emergencies Diseases and Disasters ». Association à but nonlucratif financée par Google

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