« Il est des pathologies que l’on prend plaisir à suivre. » Cette phrase du linguiste Jean-Louis Calvet au sujet de Serge Gainsbourg semble avoir été écrite pour Soth Polin ! Tous ceux qui ont découvert le sulfureux écrivain cambodgien avec la lecture de l’intense « L’Anarchiste », publié en français en 1980, se résignaient : le « dérangé du ciboulot » Soth Polin resterait donc l’écrivain d’un seul livre.
Que nenni, comme nous l’apprend dans son indispensable présentation Christophe Macquet, le spécialiste francophone de Soth Polin : son œuvre en langue khmère est significative. Mais la traduction du khmère initiatique de Soth Polin est « longue et difficile », selon les propos de Macquet, un « pis-aller » par rapport à l’original…
Tout traducteur de langues asiatiques reprendrait certainement à son compte cette appréciation. Grâce à ses efforts, Christophe Macquet nous donne accès en langue française à ces quatre courtes nouvelles écrites en 1969 et que sa modestie dût en souffrir, la qualité de sa traduction nous procure le plaisir de retrouver tout ce que l’on apprécie chez Soth Polin : sa misanthropie, sa misogynie, ses obsessions sexuelles, son sens de la dérision, de l’autodérision et son humour, car l’on sourit souvent et rit parfois des mésaventures des personnages et de leur psychologie à la limite du grotesque.
Écrites en 1969 dans le petit Phnom Penh en phase d’urbanisation et qui allait sombrer à son tour dans la guerre malgré la brièveté, elles confirment l’étonnante actualité de l’auteur, résonnant d’un écho « post-moderne » avec ces hommes dévirilisés, « falots », dominés par les femmes comme dans l’hilarante nouvelle Ordonne-moi d’exister ; des hommes indécis, sans volonté, sans conviction, ballotés par leurs désirs contradictoires, obsédés par le social et inadaptés à la fois…; de nouvelles petites classes moyennes se libérant tout juste du joug de la tradition coercitive des sociétés traditionnelles et aussitôt conscientes de leur insignifiance historique…
Au sujet de Soth Polin, il est souvent fait allusion au bouddhisme, à l’existentialisme, à Nietzsche, à Moravia… On peut aussi penser à Céline et Philip Roth bien sûr, ou aux auteurs thaïlandais Chart Korbjitti ou Saneh Sangsuk, même si Soth Polin apparaît bien plus « déviant ».
Mais rapidement saute aux yeux l’étonnante proximité avec Michel Houellebecq, autre écrivain de la « médiocrité » dont Polin anticipe le style et les préoccupations avec 30 ans d’avance.
Olivier Jeandel
Génial et génital de Soth Polin. Traduit du khmer et présenté par Christophe Macquet. Le Grand os (Toulouse) : 2017. 108 p. 540 B.
Disponible chez Carnets d’Asie (Alliance Française de Bangkok), contactez les via leur page Facebook