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Cambodge – Mariage : Aller simple pour la Corée

Journaliste : Jérôme Becquet
La source : Gavroche
Date de publication : 12/12/2012
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Les Coréens, encouragés par la flexibilité de l’administration cambodgienne, sont de plus en plus nombreux à venir chercher une épouse dans le royaume. Un phénomène qui fait les affaires des intermédiaires, qui se soucient essentiellement de leur commission, au détriment de l’avenir de l’« épouse ». Toutefois, une association essaie, en amont, de faciliter leur intégration.

 

Seulement 120 kilomètres séparent Phnom Penh de la ville de Kompong Cham, et il est facile de rallier la deuxième ville la plus peuplée du royaume depuis la capitale. Les agences de rencontres clandestines ont su en tirer parti, pour le plus grand bonheur des célibataires sud-coréens qui se font conduire dans les villages alentour, à la recherche de femmes à la peau claire, « un détail qui leur importe beaucoup », assure Mom Sokchar, de l’ONG Legal Support for Children and Women. En arrivant sur place, il n’est pas nécessaire de chercher très longtemps une piste menant à un village réputé pour ses femmes aux aspirations coréennes. « Là-bas, à Ksach Prochhes Krom, dans le district de Kroch Chmar, vous trouverez beaucoup de filles qui veulent se marier avec un Coréen, c’est très connu ! », raconte en riant une commerçante du vieux marché. Ainsi, comme si tout le royaume s’était passé le mot, la province de Kompong Cham constitue un réservoir inépuisable de femmes candidates au départ.

 

Des mariages qui se décident en 48 heures

 

A en croire les chiffres de l’agence de presse sud-coréenne Yunhap, en 2009, entérinés par le ministère de l’Intérieur cambodgien, 60% des mariages internationaux impliquaient des Sud-Coréens. Et ce phénomène, malgré un sous-décret publié en novembre 2008 sur les procédures de mariage entre Cambodgiens et étrangers interdisant les unions matrimoniales organisées par des agences intermédiaires à but lucratif, reste ancré dans les mentalités locales comme une issue certaine vers un « monde meilleur ». Car, une fois arrivé au village de Ksach Prochhes Krom, il ne faut pas longtemps pour comprendre que la pauvreté est, au sein des villageois, un prétexte essentiel à l’exil. « Plusieurs rabatteurs sont venus nous demander si nos enfants désiraient partir pour la Corée du Sud.

 

J’y ai vu une occasion d’améliorer notre niveau de vie et mes deux filles ont sauté le pas », ne cache pas une mère de famille. L’aînée s’appelle Chhor Yi et vit à Séoul depuis cinq ans. En un mois, elle s’était installée dans sa nouvelle famille et avait trouvé un travail. Désormais, pour un salaire mensuel d’environ 800 dollars par mois, Chhor Yi, 22 ans, vit aux côtés d’un homme de 60 ans, impuissant sexuellement et qui l’empêche de s’éloigner de la maison par crainte qu’elle ne trouve mieux ailleurs, explique sa mère en se forçant à rire. « L’homme est venu au village, et il a fallu se décider le jour même. Le lendemain, ils étaient mariés », raconte-t-elle en désignant le pavillon en bois qu’elle s’est fait construire grâce à l’argent envoyé par ses filles. La chanson est bien différente quelques maisons plus loin. Srey Mao, 22 ans, assoupie sous la maison familiale, « attend toujours que son fiancé coréen la rappelle », confie sa mère. La fille se réveille, et laisse découvrir des yeux noirs subtilement maquillés ainsi que des cheveux soigneusement peignés. Une fois sa contenance retrouvée, elle explique qu’elle s’est fiancée depuis quatre mois à un Sud- Coréen de 52 ans qui doit toujours venir la chercher. Tout s’est fait très vite pour elle aussi : « Il est resté quatre jours ici, mais deux ont suffit pour nous fiancer. J’ai depuis essayé d’apprendre le coréen, mais j’ai arrêté au bout de trois mois. Je ne sais même pas à quoi ressemble l’endroit où il vit, il ne m’a montré aucune photo de chez lui », confie, l’air désolé, Srey Mao. Cela fait deux semaines qu’il ne l’a pas appelée, mais il a surtout arrêté de verser de l’argent, comme il le faisait tous les mois sur un compte en banque ouvert à cet effet, dans un établissement de Kompong Cham. La jeune femme nourrit pourtant l’espoir, emprunt de fierté, qu’il viendra la chercher un jour, et que ce retard n’est dû qu’à un contretemps administratif.

 

Ainsi, tout est loin d’être rose, et cette migration motivée par les promesses d’une vie meilleure a ses limites. Ya, un quinquagénaire du village, se souvient de l’arrivée des Taïwanais, en 2002, remplacés depuis cinq ans par les Sud- Coréens dans cette quête de l’épouse cambodgienne. « Dans les villages du district de Kroch Chmar, les agences intermédiaires sont très actives. Mais c’est souvent la même histoire, les femmes se retrouvent avec un mari alcoolique qui les violente, ou les utilise comme employées de maison, et finissent pas rentrer au pays. Sur dix départs, il y en a bien trois ou quatre qui se soldent pas un échec », constate-t-il avec une triste lucidité. Alors ces filles reviennent, et s’emmurent dans le silence de la honte.

 

Le gouvernement et la société civile impuissants

 

Devant ce phénomène, les ONG et le gouvernement cambodgien restent perplexes tant leurs moyens sont limités pour enrayer ces pratiques. L’arrestation d’une intermédiaire en mars 2010 dans le royaume, censée faire le lien entre vingt-cinq candidates cambodgiennes et un groupe de célibataires sud-coréens en prenant 100 dollars de commission sur chaque union validée, a obligé les autorités à trouver de nouvelles mesures pour prévenir ce genre de débordement. Chou Bun Eng, secrétaire d’Etat en charge de la lutte contre le trafic humain au ministère de l’Intérieur, explique que « chaque couple doit désormais se présenter aux ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur, afin de remplir des dossiers d’enregistrement ». « Durant ces formalités administratives, le couple se soumet à un entretien, ajoute-telle, car auparavant, le supposé mari ne se rendait même pas dans le pays, quelqu’un d’autre se chargeait de ramener la future épouse. » Chan Krisna Sawada, responsable du programme pour la protection des droits des femmes et des enfants de l’ONG Adhoc, estime qu’il est « d’autant plus difficile de considérer cela comme du trafic humain dans la mesure où le mariage se fait avec l’accord de ces femmes ». Selon lui, il faut tenter de savoir par quel moyen les personnes se sont rencontrées – tâche ardue car les intermédiaires se font passer pour des membres de la famille de la femme cambodgienne –, s’assurer de leur situation dans leur pays d’origine, et effectuer un suivi de ces couples avec des organismes sur place. « Car, souvent, les problèmes surviennent une fois la femme arrivée à destination, ajoute-t-il, et les familles sont trop humbles ou n’ont pas suffisamment de preuves pour porter plainte. » Mom Sokchar, de l’ONG Legal Support for Children and Woman, dresse un constat similaire : « Une fois arrivées en Corée du Sud, les femmes déchantent vite. Elles ne peuvent rien contrôler, ne doivent pas toucher à l’argent, ne jouissent d’aucune liberté, se voient parfois confisquer leur passeport ou sont victimes de violences domestiques. »

 

Une association pour faciliter l’intégration

 

Si le recours aux intermédiaires est condamné, il reste que la tendance à s’expatrier par les voies matrimoniales est légale. En plein cœur de la capitale, dans le nouveau quartier chic résidentiel de Tuol Kok, le centre d’accueil de l’association coréenne APP (Association pour la protection des personnes) tente de sensibiliser et préparer ces jeunes femmes qui désirent plus que tout s’envoler pour la Corée. Ainsi, dans une vaste demeure moderne de trois étages, ornée de coûteuses boiseries et pourvue des équipements matériels qui seront le quotidien des futures épouses cambodgiennes, l’ambiance se veut studieuse et conviviale. Créé en janvier 2009, le centre joue la carte du partenariat avec les gouvernements cambodgien et sud-coréen pour lutter contre les unions entre les citoyens de ces deux nations sollicitant des intermédiaires aux prestations tarifées. « Nous sommes une association à but non lucratif reconnue par le ministère de l’Intérieur », précise en souriant Ha Tae Bum, un des responsables. Il met en avant les difficultés auxquelles sont confrontés les nouveaux époux pour communiquer ne serait-ce que dans la vie de tous les jours, les écarts culturels et l’isolement qui en découle pour la femme cambodgienne déracinée, mettant en péril la survie du fragile couple. , explique le responsable d’APP. Trois mois sont estimés nécessaires pour que les prétendantes puissent s’imprégner des rudiments obligatoires à un semblant d’assimilation à leur nouvelle culture.

 

Protocole de la parfaite épouse

 

En premier lieu, elles s’essaieront à la langue de leur futur pays de résidence. « Des professeurs coréennes sont là pour dispenser 1h30 de cours de coréen par jour, explique Chantha, une jeune femme responsable de la formation. Les élèves apprennent à communiquer avec leur mari, à s’adresser aux parents, à faire la salutation, et également des notions basiques pour se débrouiller en ville, au marché. » La formation se poursuit par l’apprentissage de la gastronomie locale. Une cuisine coréenne a ainsi été reproduite et, dans les réfrigérateurs comme sur les étagères, le conditionnement de chaque produit est dans la langue du futur époux. La troisième étape consiste à savoir se faire belle. Dans un couloir, nombre de produits de beauté toujours dans leur emballage plastique sont à la disposition des jeunes femmes. « Elles n’ont aucune notion de sophistication. Nous leur apprenons à se maquiller, à se faire belles, à s’habiller en mariant les bonnes couleurs de vêtements », continue Chantha.

 

Le reste de la formation consiste à savoir gérer un foyer et, souvent, les formateurs ne sont pas au bout de leurs peines. « Elles sont complètement étrangères à tout appareil électroménager, comme le lavelinge, le climatiseur, l’aspirateur ou le réfrigérateur, commente Ha Tae Bum. Même dormir prend un caractère insolite car, désormais, cela se fait dans une chambre sur un matelas, au lieu de la pièce commune sur une natte de paille ». « Certaines ne supportent pas et rentrent chez elles », prévient Chantha. Mais nombreuses sont celles qui persévèrent, dans l’espoir de ne pas retourner à une vie de pauvreté.

 

JÉRÔME BECQUET

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