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CAMBODGE – POLITIQUE :  Au pays de Hun Sen, espérer changer les choses dans les urnes est illusoire

Date de publication : 10/04/2023
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élection Cambodge

 

Notre ami Sam Rainsy, chef de l’opposition cambodgienne en exil, suit évidemment de prés l’actualité de son pays. Il nous livre une tribune sur les limites des possibles changements à venir. 

 

Des élections législatives auront lieu le 23 juillet prochain qui, en principe, pourraient faire perdre le pouvoir à l’autoritaire premier ministre Hun Sen à la tête du pays depuis 38 ans.

 

Tout serait effectivement possible si le peuple cambodgien pouvait réellement choisir son destin à travers de vraies élections. Par “vraies élections” j’entends un scrutin “démocratique, libre et équitable” selon le vocable usuel, ou tout simplement “honnête” si l’on s’en tient à l’essentiel.

 

Le peuple cambodgien veut un scrutin honnête

 

Un scrutin honnête est celui qui permet de traduire la volonté populaire, et plus précisément d’exprimer le désir de la majorité de l’électorat. Et c’est ce désir qu’il faudra respecter. Pour qu’un scrutin honnête puisse se tenir il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas tout un système de manipulations, falsifications et perturbations mis en place par des autorités qui cherchent précisément à étouffer ou à maquiller la volonté populaire.

 

Depuis la prise du pouvoir par les Khmers rouges en 1975 et le remplacement de Pol Pot par le clan de Hun Sen en 1979, le Cambodge n’a connu qu’une seule vraie élection donnant lieu à un scrutin honnête: c’est la consultation organisée exceptionnellement par les Nations unies en 1993 à la suite des Accords de Paris de 1991. Cette élection a vu la défaite spectaculaire du parti de Hun Sen. Tous les autres scrutins qui ont suivi celui de 1993 organisé sous supervision internationale, n’ont été que des simulacres d’élections pour permettre à Hun Sen de se maintenir au pouvoir jusqu’à ce jour.

 


Coup d’état en 1997 suivi d’élections truquées

 

Ayant perdu – ou étant contraint de partager – le pouvoir en 1993 Hun Sen s’est débrouillé pour reprendre intégralement ce pouvoir à son profit au moyen d’un coup d’état sanglant en 1997.

 

En plus d’éliminer physiquement ses adversaires réels, potentiels ou imaginaires, le perspicace Hun Sen s’est dépêché de mettre en place dès 1998 un “Comité National pour les Élections” (NEC) chargé d’organiser les futures consultations populaires et d’assurer infailliblement des victoires successives sans conteste pour le parti au pouvoir, le Parti du Peuple Cambodgien (PPC) qui contrôle étroitement ce NEC.

 

La première “astuce” du NEC réside dans la manipulation des listes électorales qui sont établies de telle sorte à priver de leur droit de vote des électeurs suspectés de non-sympathie à l’égard du PPC et à donner un droit de vote à des électeurs fantômes que le PPC se chargera de “mobiliser”. En 2013 un audit du National Democratic Institute (NDI) basé aux Etats-Unis avait révélé que 11% de vrais électeurs avaient été supprimés indûment du registre électoral tandis que 10% des noms figurant sur ce registre correspondaient à des fantômes. Aucune mesure sérieuse n’a été prise depuis pour corriger ces irrégularités mais c’est le NDI qui a été expulsé du Cambodge.

 

Manipulations du registre électoral

 

La façon dont est établi le registre électoral permet de déterminer à l’avance le résultat de chaque élection. Depuis 1998 le PPC de Hun Sen a gagné sans coup férir toute la série des 10 élections qui se sont tenues tant au niveau national que local. Rien que par le registre électoral tenu de façon opaque et arbitraire le régime actuel peut se perpétuer indéfiniment par les urnes.

 

A cette manipulation des listes électorales s’ajoutent d’autres distorsions et abus de nature politique, administrative, policière, judiciaire et financière qui donnent un avantage encore plus décisif au parti au pouvoir et écrasent tout parti d’opposition qui pourrait se prévaloir d’un véritable soutien populaire.

 

Émergence du PSN en 2013 et début de la réforme électorale

 

Il fallait que ce soutien populaire soit vraiment très fort pour que le Parti du Salut National (PSN) puisse, sous la forme d’une opposition démocratique unie pour la première fois dans l’histoire du pays, se développer jusqu’à devenir une menace au régime après avoir recueilli 44% des voix aux législatives du 28 juillet 2013.

 

Vu le faible écart entre les scores obtenus par les deux premiers partis arrivés en tête malgré l’ampleur des irrégularités, le PSN était persuadé d’avoir gagné les élections si celles-ci avaient été honnêtes. En tant que vice-président et président du PSN, Kem Sokha et moi décidâmes d’organiser des manifestations de protestation qui se révélèrent d’une ampleur sans précédent. Celles-ci ont ébranlé le régime mais ont finalement été réprimées dans le sang en janvier 2014. Mais pendant plusieurs mois encore, le PSN a continué à paralyser le fonctionnement des institutions en refusant de siéger à l’Assemblée nationale.

 

Le PSN n’a accepté de mettre fin à la crise politique qu’en juillet 2014 et cela à la condition expresse que le NEC soit réformé pour permettre notamment une refonte et un assainissement des listes électorales conduisant à des élections honnêtes à l’avenir. Hun Sen a accepté la condition imposée par l’opposition mais, comme on le verra par la suite, avec des plans en arrière-pensée pour défaire toute réforme du NEC qui pourrait aboutir à des élections vraiment démocratiques à même de menacer son régime.

 

Le PSN a obtenu de Hun Sen qu’il fasse inscrire dans la Constitution la composition du nouveau NEC qui, à défaut d’être indépendant, doit inclure des membres désignés à parts égales par les deux plus grands partis qui pèsent pratiquement du même poids à l’Assemblée nationale. Il s’en est suivi une courte lune de miel entre Hun Sen et moi avec la mise en place d’une “culture du dialogue” (que j’avais apprise en France au même titre que la “majorité d’idées”) et ma nomination en tant que “chef de la minorité parlementaire, avec rang de premier ministre”, tandis que Kem Sokha devenait 1er vice-président de l’Assemblée nationale.

 

Dissolution du PSN en 2017 et mort de la réforme électorale

 

Je sentais cependant que la situation était précaire quand Hun Sen a refusé en avril 2015 ma proposition d’étendre la “culture du dialogue” établie entre nous deux, aux cadres et militants de nos deux partis.

 

Des nuages noirs annonciateurs de tempête se sont accumulés peu après avec l’ouverture de nouveaux procès contre moi et la levée de mon immunité parlementaire en novembre de cette année 2015 alors que j’étais en voyage à l’étranger. Des lois sur mesures ont été adoptées visant à m’écarter complètement de la scène politique à partir de 2017. J’ai dû démissionner de la présidence du PSN, cédant ma place à Kem Sokha, pour ne pas mettre en péril l’existence de notre parti d’opposition.

 

Tout s’est précipité durant cette année 2017 qui a montré l’ultime intention et la détermination de Hun Sen à éliminer par tous les moyens toute opposition qui apparaît trop forte pour lui. Après une nouvelle très bonne performance du PSN aux élections locales de juin avec encore 44% des voix malgré les mêmes irrégularités, Hun Sen a fait arrêter Kem Sokha en septembre sous un prétexte grotesque, et a fait dissoudre tout simplement le PSN en novembre de cette année 2017. En l’absence du PSN, les législatives de juillet 2018 ont permis au parti de Hun Sen de s’emparer de 100% des sièges à l’Assemblée nationale, marquant le retour à un système de parti unique comme à l’époque communiste pendant la guerre froide.

 

La dissolution du PSN en 2017 a permis à Hun Sen d’annuler la réforme électorale risquée qu’il avait consentie à l’opposition en 2014. Le dictateur peut maintenant dormir tranquille en ce sens qu’aucune menace pour son régime ne pourra venir des urnes avec un système électoral qu’il peut manipuler à sa guise.

 

Les résultats des prochains scrutins, à commencer par celui du 23 juillet 2023, peuvent être déterminés d’avance par Hun Sen lui-même. Il n’y aura donc aucune surprise même si Hun Sen pouvait prendre plaisir à montrer une façade trompeuse de “démocratie” avec la présence d’une petite opposition symbolique pour dissiper les critiques internationales.

 

Aux observateurs internationaux qui voudraient venir “observer” des élections sous le régime Hun Sen, je dis: “Circulez, il n’y a rien à voir; ne prenez pas le risque de donner du crédit à une farce électorale, c’est le plus mauvais service que vous puissiez rendre au peuple cambodgien”.

 

Sam Rainsy

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