Nous avons, depuis l’annonce de son retour au Cambodge, suivi de près la tentative du chef de l’opposition cambodgienne en exil Sam Rainsy de reprendre pied dans son pays. Il était logique que nous sollicitions un entretien avec lui dès son retour en France, pour mieux comprendre les événements de ces derniers jours. Voici donc, en exclusivité, les explications de celui que le premier ministre Hun Sen continue de considérer comme son adversaire politique numéro un.
Votre retour au Cambodge a échoué. Pouvez vous nous expliquer pourquoi ?
Quelques heures avant mon départ de Paris prévu pour le 7 novembre, le Premier Ministre thaï en personne, le Général Prayut Chan-o-cha, a déclaré à la presse qu’il ne me laisserait pas entrer en Thaïlande accédant ainsi à la demande que le Premier Ministre Hun Sen lui avait adressée de bloquer mon chemin. Or j’avais besoin de passer par la Thaïlande pour pouvoir entrer au Cambodge par la voie terrestre avec, selon mon plan pour le 9 novembre, plusieurs milliers de travailleurs cambodgiens qui devaient participer à ce «grand retour d’exil». Mais le 7 novembre, vers midi, au moment d’embarquer l’avion pour Bangkok à l’aéroport Paris Charles de Gaulle, la compagnie Thai Airways – à laquelle j’avais présenté un billet en règle – ne m’a pas laissé embarquer, évoquant une instruction du gouvernement de Bangkok. A l’impossible nul n’est tenu pour cette première tentative de rentrer dans mon pays natal par voie terrestre. Mais ce n’est que partie remise.
Vous avez, lors de votre tournée asiatique, rencontré de nombreux interlocuteurs en Malaisie et en Indonésie. Sentez vous une prise de conscience au sein de l’ASEAN, à propos du Cambodge ?
Oui, surtout en Malaisie et en Indonésie, les deux pays de l’ASEAN les plus avancés sur la voie de la démocratie.
L’opposition est elle en mesure d’exister aujourd’hui au Cambodge après la libération de Kem Sokha?
L’opposition n’a jamais cessé d’exister sur le terrain — on l’a vue se mobiliser pour se préparer à m’accueillir, d’où les nombreuses arrestations opérées par les autorités de Hun Sen — et elle va renaître officiellement sous la pression populaire et grâce à l’intervention de l’Union Européenne qui pousse à la restauration de la démocratie. Or il n’y a pas de démocratie sans opposition et, au Cambodge, il n’y a pas d’opposition sans le CNRP (aux «élections» de 2018, les 19 faux partis d’opposition n’ont obtenu aucun siège à l’assemblée nationale. En rejetant ces faux partis d’opposition que Hun Sen soutient discrètement, le peuple a montré son attachement au CNRP. Avant sa dissolution arbitraire en 2017, celui-ci avait obtenu presque la moitié des voix et des sièges. Après la libération de Kem Sokha l’opposition sera encore plus forte.
Quelles sont les prochaines étapes de votre action ?
Réaffirmer mon unité avec Kem Sokha et relancer légalement le CNRP.
La Thaïlande, le Vietnam et le Laos sont les trois pays frontaliers du Cambodge. Leur adressez vous un message particulier ?
Oui, nous voulons entretenir et développer de bonnes relations avec eux trois et travailler ensemble pour une commune prospérité. Essayons de bâtir ensemble un nouvel ASEAN basé sur des valeurs communes — comme la démocratie, les droits de l’homme, l’état de droit et la bonne gouvernance — sur le modèle de l’Union Européenne.
Les choses bougent en France, mais timidement. Un signal politique fort de Paris est il nécessaire ?
Oui, je l’espère.
Pensez vous que le Cambodge va se retrouver mis à l’index sur le plan commercial par la Commission européenne ?
Non, je ne le souhaite pas. Je souhaite que Hun Sen entende raison et accepte d’accomplir les réformes démocratiques demandées par l’Union Européenne pour le bien du Cambodge.