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CAMBODGE – POLITIQUE : Le meurtre de Lim Kimya, un assassinat commandité par le pouvoir ?

Date de publication : 18/01/2025
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Sam Rainsy

 

Une tribune de Sam Rainsy, chef de l’opposition cambodgienne en exil

 

Le 7 janvier 2025, le monde a appris avec stupeur l’assassinat en plein jour de Lim Kimya à Bangkok. Cet opposant politique, ancien député du Parti du Salut National ou Cambodia National Rescue Party (CNRP) arbitrairement dissous par les autorités, connu pour son franc-parler, a été abattu en pleine rue dans des circonstances qui suscitent de nombreuses interrogations. Le mode opératoire de cet assassinat est tout-à-fait identique à celui qui caractérise les assassinats politiques au Cambodge. Alors que cette tragédie aurait pu servir de moment de réflexion pour le gouvernement cambodgien et de catalyseur pour des changements politiques, le silence glacé de Hun Sen et du gouvernement de Phnom Penh ne fait qu’ajouter à la controverse.

 

Un crime au cœur des tensions politiques

 

Lim Kimya était une personnalité bien connue et souvent très critique envers Hun Sen et l’entourage familial du dictateur, qu’il accusait régulièrement de corruption et de violations des droits humains. Depuis des années, il était une voix discordante dans un Cambodge de plus en plus étouffé par la répression politique et la censure. Alors que la plupart des opposants ou dissidents ont été assassinés, emprisonnés ou forcés à l’exil, Lim Kimya était resté au Cambodge ou faisait de fréquents allers-retours entre la France et le Cambodge.

 

Une fois sur place, il continuait à critiquer ouvertement les agissements de Hun Sen, ceux de ses enfants Hun Manet, Hun Mani and Hun Manith – respectivement Premier Ministre, Vice-Premier Ministre et Chef du Renseignement – et ceux de son épouse Bun Rany Hun Sen, Présidente de la Croix Rouge nationale, qu’il accusait tous de corruption, d’incompétence et de discrimination politique injuste.

 

L’assassinat de Lim Kimya soulève une question brûlante : était-il une cible à cause de ses positions politiques ? Cette hypothèse semble probable pour de nombreux observateurs internationaux, mais le manque de réponse officielle de Phnom Penh alimente davantage les soupçons.

 

Un silence éloquent du gouvernement cambodgien

 

Depuis l’annonce du meurtre, Hun Sen et le gouvernement dirigé par son fils Hun Manet sont restés muets. Aucun communiqué officiel n’a été publié pour condamner l’attaque, exprimer des condoléances à la famille de Lim Kimya, ou encore promettre de coopérer avec les autorités thaïlandaises pour résoudre cette affaire. Ce silence est d’autant plus surprenant qu’il contraste fortement avec la rhétorique habituelle de Hun Sen, qui ne manque jamais une occasion d’intervenir personnellement et de s’exprimer en détail sur des sujets d’importance ou d’intérêt très variable touchant à la politique ou à l’opposition.

 

Pour beaucoup, ce mutisme est interprété comme une stratégie politique. S’exprimer sur le meurtre de Lim Kimya pourrait ouvrir la voie à des critiques internationales sur la gestion autoritaire du Cambodge. En évitant tout commentaire, Hun Sen cherche peut-être à minimiser l’importance de l’événement, espérant qu’il sera rapidement oublié.

 

Un message « fuité » de Hun Sen à ses agents

 

Comme pour aggraver la controverse, un message « fuité » attribué à Hun Sen a été révélé par des sources confidentielles (cela montre que Hun Sen n’a pas que des amis). Dans ce message, une bande audio datant de septembre 2024, on entendrait la voix de Hun Sen donner des ordres directs à ses « groupes de travail » pour éliminer les opposants cambodgiens vivant en Thaïlande. Une cible particulière, un militant de l’opposition nommé Phan Phana, est désignée : il doit être « ramené à tout prix » au Cambodge « mort ou vif. » Hun Sen aurait également demandé à ses agents, appelés « nos forces, » de coopérer avec les « Chemises Rouges » (supporters thaïs de Thaksin Shinawatra) pour accomplir cette mission, mais de ne pas informer ou impliquer la police thaïlandaise. Ce message de Hun Sen en khmer peut être écouté ici.

 

Phan Phana a récemment réussi à fuir la Thaïlande et vit désormais aux États-Unis en tant que réfugié politique. Cependant, les ordres de Hun Sen semblent avoir été appliqués contre une autre cible : l’ancien député de l’opposition Lim Kimya, qui a été assassiné en plein jour à Bangkok le 7 janvier 2025.

 

La situation se complique pour Hun Sen, habitué à l’impunité au Cambodge, parce que la victime Lim Kimya détenait la double nationalité franco-cambodgienne. Cette donnée ouvre la voie à l’intervention de la police française pour une enquête approfondie et transparente, et à une plainte devant un tribunal français.

 

Un précédent devant la justice française

 

Parmi les multiples assassinats ou tentatives d’assassinat de nature politique pouvant être attribués aux dirigeants actuels du Cambodge, le cas Lim Kimya rappelle mon cas personnel.

 

En 1997, j’ai fait l’objet d’une tentative d’assassinat à Phnom Penh qui a causé la mort de 16 victimes collatérales. Ayant la nationalité française, j’ai déposé une plainte devant un tribunal français et, après de longues années d’enquête, un jugement sera prononcé à Paris en mars prochain à l’encontre des deux chefs des gardes-du-corps de Hun Sen : Hing Bun Heang et Huy Piseth. Mais l’attention va se porter sur Hun Sen lui-même, car ces deux généraux très proches de Hun Sen n’auraient jamais pris l’initiative d’essayer de me tuer sans l’accord de leur chef, c’est-à-dire Hun Sen lui-même qui m’avait inscrit en première position sur sa liste noire.

 

Hun Sen pris dans un piège qu’il s’est fabriqué lui-même

 

Le fait que Hun Sen tarde de plus en plus à démentir l’authenticité du message ci-dessus qui est potentiellement explosif dans les circonstances actuelles ne fait qu’aggraver les suspicions à son égard. Mais on comprend son dilemme : il est difficile de rejeter une pièce à conviction dont l’authenticité paraît effectivement difficile à nier compte tenu des habitudes et des méthodes effectivement employées par Hun Sen. Celui-ci risque de verser de l’huile sur le feu qui menace de le brûler quoiqu’il dise, étant apparemment pris dans un piège qu’il s’est lui-même fabriqué.

 

Une indignation internationale

 

Le silence de Phnom Penh a provoqué une vague d’indignation parmi les organisations internationales et les gouvernements étrangers. Human Rights Watch et Amnesty International ont publié des déclarations appelant à une enquête approfondie et transparente. Le gouvernement thaïlandais, sous pression pour répondre à l’opinion publique, a promis de retrouver les responsables, mais sans coopération claire de la part du Cambodge, leurs efforts risquent d’être limités ou biaisés.

 

Un danger pour les opposants cambodgiens en exil

 

L’assassinat de Lim Kimya a aussi envoyé un message glaçant à la diaspora cambodgienne. De nombreux militants, journalistes et défenseurs des droits de l’homme vivent en exil dans des pays comme la Thaïlande, craignant pour leur vie. Cet événement tragique montre que même hors des frontières cambodgiennes, les dissidents ne sont pas à l’abri. Beaucoup redoutent que ce meurtre ne soit qu’un épisode dans une longue série de violences visant à éliminer ou étouffer toute opposition politique. Cela montre aussi l’intensification de la répression transnationale à laquelle se livrent toutes les dictatures sous toutes les latitudes.

 

Sam Rainsy

 

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