Nous publions une tribune de l’opposant cambodgien en exil Sam Rainsy
Malgré un taux de croissance économique officiel d’environ 5 % en 2024, —un chiffre qui, comme les années précédentes, reste très inégalement réparti— la santé financière du Cambodge s’effondre, accablée par un cocktail toxique de dettes croissantes, un secteur immobilier en déroute et un investissement étranger en berne. Le pays souffre du plus haut niveau d’endettement des consommateurs au monde par rapport aux revenus, mais il s’agit en réalité d’un endettement de survie, alors qu’une grande partie de la population peine à joindre les deux bouts.
À cela s’ajoute une crise agricole sans précédent, où les agriculteurs luttent désespérément pour leur survie, sans marché viable pour écouler leurs produits en raison de l’incompétence et de la négligence persistantes du gouvernement. Parallèlement, le secteur touristique autrefois florissant est devenu moribond, les visiteurs étrangers boudant désormais le Cambodge en raison de sa réputation dégradée et des risques perçus liés aux organisations criminelles, aggravant encore davantage la crise économique du pays.
Tout cela survient à un moment où les ressources naturelles du Cambodge, notamment les forêts et les réserves minières, ont été gravement épuisées par des années de surexploitation et de corruption systémique, réduisant encore plus les perspectives de redressement économique du pays.
En conséquence, un nombre record de Cambodgiens fuient le pays à la recherche d’un emploi à l’étranger, notamment en Thaïlande, où plus de deux millions de travailleurs migrants cambodgiens, enregistrés ou non, résident aujourd’hui—un chiffre stupéfiant pour un pays de seulement 17 millions d’habitants, et qui ne cesse d’augmenter. Cet exode massif reflète la gravité de la crise économique du Cambodge, alors que de plus en plus de familles, confrontées à la chute de leurs revenus et à une dette colossale, voient la migration comme leur seule option de survie.
Le piège chinois : Une bouée de sauvetage qui se dégonfle
Depuis des années, le soutien financier de la Chine constitue la bouée de sauvetage économique du Cambodge, offrant des prêts massifs et adaptés aux besoins qui ne sont assortis d’aucune condition en matière de démocratie ou de droits de l’homme. Mais cette bouée de sauvetage se dégonfle :
- Pékin a drastiquement réduit ses investissements dans les infrastructures, refusant même de financer des projets de prestige comme le canal Funan Techo, un projet clé pour la famille dirigeante (Techo est le titre honorifique exclusif de Hun Sen).
- Aucun nouveau prêt chinois n’a été accordé au Cambodge en 2023 et 2024, marquant un tournant majeur dans la stratégie financière de Pékin.
- Les investisseurs et touristes chinois, autrefois un pilier majeur de l’économie cambodgienne, sont loin de retrouver leur niveau d’avant la pandémie de COVID-19.
Alors que les aides et investissements occidentaux se tarissent en raison de la dérive totalitaire du régime en place, le Cambodge est tombé dans un cercle vicieux de dépendance à l’égard de Pékin. Mais la Chine ne veut plus ou ne peut plus financer indéfiniment son petit allié local, forçant l’élite dirigeante cambodgienne à céder toujours plus d’avantages stratégiques à Pékin, notamment dans le domaine militaire—une situation qui attise l’hostilité croissante des États-Unis.
Les exigences grandissantes de la Chine : la base navale de Ream et la pression américaine
Sachant que le Cambodge n’a pas d’alternatives viables, Pékin a relevé ses exigences. Le point de friction majeur est la base navale de Ream, où la Chine est soupçonnée d’avoir pris un contrôle militaire de facto.
- Pour Pékin, Ream représente un actif stratégique clé pour étendre son influence militaire en Asie du Sud-Est, défiant directement la domination américaine.
- Pour Washington, l’idée d’un port militaire chinois au Cambodge est inacceptable, intensifiant les tensions entre les États-Unis et Phnom Penh.
Les États-Unis ont constamment exigé plus de transparence de la part du Cambodge concernant l’implication militaire chinoise à Ream, mais les réponses évasives de Phnom Penh n’ont fait que renforcer leurs soupçons.
Dans une tentative désespérée d’apparaître neutre, le Cambodge a récemment proposé de relancer les exercices militaires conjoints Angkor Sentinel avec les États-Unis, espérant donner l’illusion d’un équilibre entre les deux puissances. Mais Washington ne sera pas dupe de ces gestes symboliques.
Un pacte dangereux avec le crime organisé
Alors que les prêts chinois diminuent et que les sanctions américaines se durcissent, Phnom Penh s’est tourné vers une source de financement plus risquée : la mafia chinoise et son vaste réseau d’arnaques cyber-criminelles.
Ce secteur du crime organisé, basé dans des hubs de casinos comme Sihanoukville, génère environ 12,5 milliards de dollars par an, soit près d’un tiers de l’économie formelle du Cambodge. Ce système illégal est devenu un pilier économique pour l’élite dirigeante, dont les réseaux corrompus tirent profit de milliards de dollars de fonds illicites.
- Sous pression de sa population, le Parti communiste chinois exige que le régime cambodgien réprime ces opérations de cyber-criminalité, qui ont escroqué des dizaines de milliards de dollars à des citoyens chinois ordinaires. Pékin est de plus en plus embarrassé par ces activités criminelles mondiales attribuées à ses ressortissants, ce qui ternit l’image de la Chine et alimente la colère nationale.
- Les États-Unis exigent également une répression, car des citoyens américains ont déjà perdu au moins 100 millions de dollars à cause d’escroqueries basées au Cambodge. La lutte contre le crime organisé reste une priorité pour Washington, qui intensifie la pression sur Phnom Penh pour démanteler ces réseaux criminels.
Un équilibre impossible : la quadrature du cercle pour le régime Hun Sen
La dynastie Hun Sen est désormais piégée entre le feu géopolitique et l’effondrement économique, confrontée à un dilemme impossible—comme l’antique problème mathématique de la quadrature du cercle, où aucune solution ne peut satisfaire toutes les parties aussi importantes les unes que les autres.
Son jeu d’équilibre entre la Chine et les États-Unis est en train de s’effondrer. Phnom Penh est désormais piégé dans un cycle infernal de répression, de dépendance et de déclin économique, où chaque option mène à plus d’instabilité. La question n’est plus de savoir si le Cambodge de Hun Sen peut continuer à jouer sur les deux tableaux, mais combien de temps avant que le système ne s’effondre sous le poids de ses propres contradictions.
Par Sam Rainsy
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